Sur les bords de la route qui mène du Colisée au Circus Maximus, en face du mont Palatin, se trouve une basilique qui porte le nom de Saint-Grégoire. Posée sur le flanc verdoyant de la colline du Caelius, cette église est dédiée au pape Grégoire Ier, qui fit construire en ces lieux un monastère au VIe siècle. Issu d'une des plus prestigieuses familles patriciennes de Rome, et neveu du pape Félix III, cet aristocrate a un temps poursuivi une brillante carrière politique, devenant même préfet de l'Urbs en 572. Cependant, deux ans plus tard, il abandonne le cursus honorum pour se consacrer entièrement à Dieu, et se tourne vers un idéal de vie monastique, ce qui le mènera à être élu pape en 590.
On trouve des témoignages de la vie de ce grand pape dans de nombreux lieux à Rome, à commencer par la basilique qui porte son nom : des fresques dans l'atrium racontent les grands épisodes de sa vie, notamment les processions qu'il ordonna pendant la peste. Il avait fait défiler dans la ville une icône de la Vierge Marie qui est connue aujourd'hui sous le nom de Salus populi romani – 'Santé du peuple romain' – en reconnaissance de son action contre le fléau. Cette représentation de la Vierge, particulièrement vénérée par le pape François, se trouve aujourd'hui dans la basilique Sainte-Marie Majeure.
Un souvenir touchant
Mais un des souvenirs les plus touchants et importants de la vie de Grégoire se trouve à proximité de l'église du Caelius. Plutôt que de monter les marches qui mènent à la basilique, il est possible – le week-end seulement – d'accéder par une petite porte située sur la gauche à un paisible jardin et à trois petits oratoires accrochés les uns aux autres et dédiés à Saint André, Sainte Sylvie et Sainte Barbe.
Les trois oratoires, construits au XVIe siècle sur les ruines du monastère de Saint-André que Grégoire le Grand avait bâti sur son domaine familial, ont été décorés de superbes fresques peintes par des grands maîtres tels que Guido Reni ou le Dominiquin. Il est facile, en les contemplant, de passer à côté d'une grande table de marbre qui se trouve au milieu de l'oratoire de Sainte Barbara, construit sur l'ancien triclinium pauperum – salle à manger des pauvres – de Grégoire.
La tradition raconte que c'est sur cette table que saint Grégoire et sa mère sainte Silvia recevaient chaque jour douze pauvres en souvenir de la dernière Cène du Christ. Une place, laissée libre, fut un jour occupée par un ange. Le Pape n'osa pas demander qui était ce treizième convive dans un premier temps, puis finit par lui poser la question. L’ange se révéla alors à lui et Grégoire y vit alors un signe. Il décida d'inviter désormais treize personnes. Cet épisode est raconté sur la fresque murale signée par Antonio Viviani qui se trouve juste à côté de la table.
Aux origines de l’Aumônerie apostolique
Une inscription latine sur la table rappelle l'épisode : "Bis senos hic Gregorius pascebat egentes angelus et decimos tertius accubuit" Ce qui signifie : "Ici, Grégoire a nourri douze pauvres et un ange s'est assis à la place du treizième." Cette tradition d'inviter treize pauvres pour un repas s'est poursuivie par la suite dans cette chapelle jusqu'au XIXe siècle chaque Jeudi saint. La table fut transférée au Latran avant de revenir dans son lieu d'origine.
Après Grégoire, les papes ont établi plusieurs autres hospices pour nourrir les pauvres, notamment au Campo Santo Teutonico à la fin du XVe siècle. On peut voir dans la “Table des pauvres” un des premiers témoignages de la charité des pontifes, et donc l'ancêtre de l'aumônerie pontificale – l'entité en charge de la charité au Vatican de nos jours.
En sortant de l’oratoire Sainte-Barbara, il n’est pas rare de tomber sur le vêtement blanc à liseré bleu d’une sœur de la Charité. Ces dernières sont en effet installées dans un bâtiment attenant. Elles passent comme des ombres dans le paisible jardin dans lequel jadis sainte Sylvia faisait pousser les légumes pour nourrir ses hôtes. Quelque chose de cette émouvante charité habite encore ces lieux.