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Vous avez dit “décivilisation” ?

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Xavier Patier - publié le 27/05/23
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La décivilisation est à nos portes, mais à qui la faute ? De toutes les violences dont se plaint le président de la République, c’est bien celle de la morale libertaire de la déconstruction qui est responsable, estime l’écrivain Xavier Patier.

Illibéralisme, déconstruction, ensauvagement, incivilités, disruption, et maintenant "décivilisation": on peut dire qu’à défaut d’avoir apporté le bonheur aux Français, Emmanuel Macron aura inlassablement contribué à enrichir leur vocabulaire. Lors du conseil des ministres du 24 mai, il a déclaré, selon la presse : "Depuis un certain temps et dans l’ensemble des pays, il y a une forme décivilisation."

Décivilisation, donc. À raconter ses maux souvent on les soulage, disait Polyeucte, et nul doute qu’après avoir parlé de décivilisation, nous nous sentons mieux. D’autant que l’emploi du néologisme par la bouche présidentielle a suscité une de ces polémiques dont les Français sont friands et qui sont leur divertissement favori par temps de brouillard. Le mot "décivilisation" aurait été prélevé par Emmanuel Macron dans la musette lexicale de l’extrême-droite, paraît-il, ce qui est sûrement exact si l’on veut bien considérer, par exemple, que Bruno Retailleau est un dangereux extrémiste. Le Parisien s’en est amusé, Le Figaro a levé un sourcil, Libération s’est scandalisé. La routine. 

N'ayons pas peur des mots

Mais n’ayons pas peur des mots. La décivilisation, autrement dit le retour vers un état de barbarie, est un fait. On peut se disputer sur ses causes, se quereller sur l’identité des coupables, s’écharper sur les remèdes ; on ne peut pas nier le diagnostic. Chaque jour en apporte la preuve. Un artisan accablé par la désinvolture d’un de ses employés me disait il y a déjà quelques années : "Nous sommes en train de redevenir des bêtes." Ceux qui empruntent les transports en communs peuvent aussi en parler : les regards sont devenus plus méfiants, parfois franchement haineux. Qui ose encore faire une remarque à un jeune qui met ses pieds sur la banquette du train ? Même dans ma campagne, une certaine manière de se dire bonjour, de prendre des nouvelles et d’offrir ses services régresse. Les anciens viennent réparer votre tracteur, la jeune génération hésite à emprunter une brouette. La solitude gagne même les terres dépeuplées, ces lieux où les hommes avaient coutume de faire bloc. 

Nous sommes en train de redevenir des bêtes.

Il y a trente ou quarante ans, on pouvait légitimement désespérer de l’ordre moral bourgeois. Les gens comme il faut, les familles à principe étaient l’ennemi à abattre pour les nouvelles classes dominantes gravitant autour du Parti socialiste, classes progressistes qui bâtissaient leur pouvoir sur le slogan de mai 1968 : il est interdit d’interdire. La déconstruction de ce monde insupportable dans lequel le curé s’invitait chez la comtesse était une urgence nationale de la fin des années soixante.

Le pilonnage des règles élémentaires de la vie en société devint systématique dans les films, dans les journaux et dans les romans. Mauriac avait eu du courage pour écrire le Nœud de vipères et André Gide du mérite pour affirmer "Familles je vous hais". Mais désormais, on pouvait haïr sans danger des familles tombées à terre. Les parents ont été poussés à céder à la tentation de tout lâcher dans l’éducation de leurs enfants. L’Éducation nationale a renoncé à éduquer. Les politiques, fatigués d’être détestés, ont sombré dans la démagogie. 

La plus violente des morales

L’Église elle-même s’est parfois crue obligée de capituler devant la pulsion libertaire des nouveaux maîtres, sans s’apercevoir que cette pulsion était la plus implacable, la plus culpabilisante, la plus violente des morales. En trois générations, nous sommes passés du "catholique et Français toujours" au "catholique et Français, jamais" ! Dans l’esprit de ce monde, notre Sainte Église est désormais reconnue par ce triptyque : inquisition, colonisation, pédophilie, et notre État par ce slogan : racisme, corruption, incompétence. Là-dessus est arrivée l’angoisse climatique, la peur de voir le ciel nous tomber sur la tête, comme si après vingt siècles de civilisation chrétienne, nous n’avions plus que des superstitions gauloises à nous offrir. 

Des siècles d’efforts contre la tentation des hommes de céder à leurs instincts ont été balayés par quelques années de complaisance.

Le résultat de trente ans de déconstruction de la morale bourgeoise est désormais devant nos yeux : il s’appelle décivilisation. Car la morale imbécile de "nos familles", avec leur oncle prêtre et leur cousin officier de cavalerie, avec leur manie ridicule de servir la France sans demander rien en retour, avec leur idée grotesque d’apprendre aux enfants à se maîtriser, à prendre sur soi, à être généreux, à se tenir à table, à ignorer l’argent, à montrer du panache, à rester humble, bref à servir, avait un nom : elle était la civilisation. Les sages et les intelligents du Parti socialiste, de France Inter et de Libération ont réussi à nous déciviliser. Des siècles d’efforts contre la tentation des hommes de céder à leurs instincts ont été balayés par quelques années de complaisance. "Il faut être intraitable face aux violences", conclut Emmanuel Macron. Chiche ?

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