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"Vous savez ce qu’il y a de plus difficile ?" L’homme a pris ma main dans la sienne. Nous nous saluons régulièrement, le dimanche, avant que ne débute la messe dominicale. Pour autant que je le connaisse, il n’est pas du genre à se lamenter et à s’étendre sur ses tracas personnels.
Il m’a d’ailleurs juste avant assuré que tout allait au mieux dans sa famille et pour sa santé. "Vous savez ce qu’il y a de plus difficile ?" La voix s’étrangle soudain et le regard s’embue, un peu. Devant mon air étonné, il poursuit : "Ce qu’il y a vraiment de difficile aujourd’hui, c’est qu’on ne sait plus à qui faire confiance."
À qui se fier ?
Tout est dit. En quelques mots qui aussitôt prononcés, rencontrent en chacun de nous des expériences personnelles, des désillusions, des trahisons... À qui se fier ? Faire don de sa confiance, ce n’est pas rien. C’est même presque tout. Dans l’hyper-communication qui envahit tout l’espace et remplace toute conversation, comment ne pas laisser se développer en nous le sentiment que le mensonge occupe peu à peu l’ensemble de notre environnement ?
Quand la moindre déclaration publique, politique, artistique et même religieuse semble d’abord conçue pour produire un effet plutôt que pour transmettre une information. Quand l’efficacité du contenant est recherchée avec plus de scrupules que la vérité du contenu. Quand l’articulation même entre vérité et mensonge se dilue au nom de la recherche du résultat. Quand, enfin, trahissent ceux qui ont promis sans vergogne, par des discours ou des engagements solennels, mais qu’ils refusent même de le reconnaître. Alors, oui, à qui faire confiance ?
Nos "pharisiens light" d’aujourd’hui ne reconnaissent à la morale qu’une vertu utilitaire
S’ouvre une ère de la défiance, où les rapports humains se trouvent profondément modifiés. Les fausses publicités sur Internet bernent même les plus sérieux, les séductions du complotisme gagnent même les plus pragmatiques. Tous ceux qui portent la responsabilité d’une parole, voire même de la Parole, se retrouvent entraînés par le discrédit général. Il faut dire qu’ils y sont bien aidés par l’hypocrisie de ceux qui "commandent en maîtres" et font peser des fardeaux sur les épaules d’autrui, fardeaux qu’ils ne lèveraient pour rien au monde. On pourrait les ramener, ceux-là, au rang des pharisiens de l’Évangile.
Mais les pharisiens étaient, eux, des hommes obsédés par une forme de rigueur morale et légaliste, qu’ils veillaient à s’appliquer à eux-mêmes ! Nos "pharisiens light" d’aujourd’hui ne reconnaissent à la morale qu’une vertu utilitaire : elle permet d’être rappelée, tout en s’abstenant de croire que le prédicateur doit se laisser d’abord convertir par la parole qu’il cherche à annoncer et expliquer. La violence gagne : c’est celui qui vocifère le plus ou qui assène avec le plus de force ses arguments, qui a, de plus en plus, le dernier mot.
La contagion de l’humilité
À l’heure où il n’y a sans doute jamais eu autant de défi prodigieux à relever par l’homme et pour lui, comment retrouver cette confiance ? Certainement pas par un énième plan de com’ ! Mais dans la confession, chacun, de son infinie petitesse. En commençant, chacun, sans attendre qu’un autre inaugure cette démarche, qui n’est pas repentance, mais vérité. Oui, nous sommes de pauvres gens, tous, tels que nous sommes. À commencer par ceux qui se sont hissés, ou qui ont été placés, sur les plus hautes marches des dignités mondaines. De pauvres gens, oppressés par notre désir de faire un bien que nous jugeons souvent inatteignable, et sujet à commettre un mal que, pourtant, nous désapprouvons.
C’est la seule manière pour Dieu de remplir une vie : qu’elle accepte de se vider de soi pour s’ouvrir en vérité à une autre présence.
Cette contagion de l’humilité véritable n’est pas un vœu pieux. Je me souviens, jeune curé, avoir entendu les murmures d’une assemblée de gens "biens nés" approuver gravement la parole prophétique du jésuite Pierre Ceyrac leur disant sans ambages, tout en pleurant sur lui-même : "Nous sommes des pauvres types."
Qu’un seul le dise, avec sincérité, et beaucoup le reconnaissent. Gardons-nous bien de canoniser subitement tel ou tel dont la vie nous apparaît exemplaire, mort ou vif : les seuls hommes fiables sont ceux qui n’ont jamais renoncé à être ces pauvres types, humbles et qui ne cherchent pas à entrer dans l’histoire, sans cacher de trop leurs fragilités et leurs pauvretés. Car c’est la seule manière pour Dieu de remplir une vie : qu’elle accepte de se vider de soi pour s’ouvrir en vérité à une autre présence.