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La culture du rugby peut-elle aider à la cohésion nationale ?

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Thomas Ramos lors du match de la France contre le Pays de Galles, samedi 18 mars 2023.

Xavier Patier - publié le 22/03/23
Plus les années passent, plus l’écart culturel entre le monde du foot et le monde du rugby semble s’accroître en France, en dépit de la professionnalisation commune à ces deux sports.

Au commencement, il y a un siècle et davantage, le foot était un sport de patronage encouragé par l’Église catholique dans le nord de la France tandis que le rugby s’épanouissait dans les terres anticléricales du Sud-Ouest. Il y avait à ce phénomène une cause technique : on pouvait jouer au foot partout, même avec une boîte de conserve dans une cour de presbytère en bornant les buts avec deux écharpes posées par terre, alors que pour jouer un rugby, il fallait de l’herbe pour plaquer l’adversaire et aplatir un essai. 

Les paroisses du Nord n’avaient pas de prairie. Les communes radicales socialistes des terres calcaires de Gascogne en avaient. Elles mettaient à la disposition des clubs de rugby de vastes terrains de jeux enherbés. Les entraînements de rugby étaient d’ailleurs souvent programmés le dimanche matin, à l’heure de la messe, sauf chez les jésuites qui avaient, eux aussi, assez de foncier pour mettre de vastes terrains d’herbe à la disposition de leurs sportifs méridionaux de bonnes familles. Le rugby est ainsi devenu le sport de la ruralité heureuse quand le foot devenait peu à peu celui de la banlieue en souffrance. Ce n’est pas un hasard si une ville de football comme Auxerre avait donné à son stade de foot le nom d’un prêtre, l’abbé Deschamps, alors qu’une ville de rugby comme Brive donnait au sien le nom d’un anticlérical notoire, immense joueur mais aussi franc-maçon assumé, Amédée Domenech, qui s’était présenté aux élections municipales contre la maire catholique Jean Charbonnel.

Au rugby, on ne gagne presque jamais contre le cours du match, et le cours du match ne dément presque jamais le niveau relatif des équipes. Pas de loterie ! Le rugby est un sport de franchise.

Mais les choses n’en sont pas restées là. L’argent est arrivé dans le foot professionnel plus tôt, et surtout beaucoup plus massivement que dans le rugby. Les jeunes joueurs de foot sont devenus les victimes d’un système qui devenait fou. Transformés en professionnels payés des millions, plongés dans un matérialisme dévorant, condamnés à une superficialité écrasante et au culte de l’instant, les grands joueurs de foot sont devenus des modèles mortifères pour une jeunesse déboussolée qui ne croyait plus qu’aux coups du sort. 

Un sport de franchise

Car le foot est un sport de hasard autant que le rugby est un sport de maçons. Au foot, on joue aux dés. Au rugby, on fait un bras de fer. Les paris sportifs ont prospéré avec le foot, jamais avec le rugby, car dans ce sport de combat, l’équipe la plus forte, la mieux préparée, la plus ascétique finit par gagner. Au rugby, on ne gagne presque jamais contre le cours du match, et le cours du match ne dément presque jamais le niveau relatif des équipes. Pas de loterie ! Le rugby est un sport de franchise. Au foot, on simule la souffrance pour tenter de faire pénaliser l’adversaire. Au rugby, on dissimule sa souffrance : même pas mal ! Au foot, quand le ballon sort en touche, l’arbitre désigne l’équipe qui perd le ballon ; au rugby, il montre celle qui le gagne : difficile d’imaginer deux philosophies plus éloignées. 

Fabien Galthié est un éducateur de la trempe d’Aimé Jacquet, dernier entraîneur de foot à avoir porté l’idéal des pères fondateurs catholiques, il y a plus de vingt ans. Le foot a perdu avec l’argent l’idéal que le rugby a su construire malgré l’argent.

Le rugbyman qui marque un essai a le triomphe modeste, il sait ce qu’il doit au collectif, quand le footballeur qui a eu le bonheur de marquer un but se livre à une chorégraphie narcissique en exhibant ses tatouages. Le rugby est un sport infiniment plus collectif que le foot. Regardons nos joueurs du XV de France : ce sont des hommes modestes. Ils portent en eux une humilité née de l’expérience commune. Ils disent : "Une passe, c’est une offrande." Ils ne cessent de se renvoyer la balle, au propre comme au figuré. Quand ils deviennent des stars, ils restent comme ce garçon surdoué né à Castelnau-Magnoac au pays des chasseurs de palombes (tout le monde ne naît pas dans le 93) capitaine humble et homme vrai, qui se soucie de ne jamais sombrer dans la vaine gloire. Regardons les entraîneurs : Fabien Galthié est un éducateur de la trempe d’Aimé Jacquet, dernier entraîneur de foot à avoir porté l’idéal des pères fondateurs catholiques, il y a plus de vingt ans. Le foot a perdu avec l’argent l’idéal que le rugby a su construire malgré l’argent.

Une culture positive

Les publics aussi sont devenus différents. On disait autrefois que le foot représentait la France de la bière et le rugby la France du vin. Il en est resté quelque chose avec la professionnalisation : on ne brûle pas de voitures après les matchs de rugby. On ne fait pas de troisième mi-temps après les matchs de foot. Bref, les valeurs du rugby venues de notre laïcité rurale, portent désormais l’idéal des prêtres qui autrefois aidaient les jeunes à s’épanouir par le football. La culture positive a changé de camp ou plutôt de terrain : elle se joue désormais à quinze, dans l’herbe. Il nous faut ardemment désirer que nos Bleus gagnent la prochaine coupe du monde. Ce serait pour le pays un exemple autrement inspirant que les états d’âmes de Karim Benzema.

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