Tout au long du XIXe siècle, Notre Dame s’est beaucoup manifestée en France. Mais, alors même que certains de ces événements ont fait grand bruit en leur temps et que quelques-uns ont été reconnus par l’Église, ils ont cependant, à la différence de la rue du Bac, La Salette, Lourdes et Pontmain, fini par sombrer dans l’oubli. Parmi eux, une série d’apparitions commencée le 6 novembre 1882 dans le quartier lyonnais de La Croix Rousse, achevée le 22 septembre de l’année suivante.
Bien qu’elles se soient accompagnées de signes et prédictions réalisées, bien que la sincérité de la voyante, Anne-Marie Coste, entrée ensuite chez les sœurs de Saint-Joseph où elle mourra en 1924 entourée d’une réputation de sainteté incontestée, soit indéniable, ces manifestations mariales, sur lesquelles l’archevêché de Lyon n’a pas enquêté, se sont effacées des mémoires, et avec elles, le message qu’elles transmettaient au monde.
L’abandon à la Providence
Anne-Marie Coste est née à Lyon le 3 août 1861. Elle est première d’une vaste famille que, rapidement, les parents, pauvres, ont bien du mal à nourrir. À sept ans, elle découvre le pouvoir de l’abandon à la Providence. Alors que son père ne sait où trouver l’argent qui réglerait sa dette chez le boulanger, lequel ne fait plus crédit, Anne-Marie a l’œil attiré par un objet brillant dans une flaque d’eau. Elle le ramasse : c’est une pièce d’or équivalent au montant dû. Des interventions analogues, il y en aura d’autres. Tel ce jour où, enlevée par un vilain monsieur qui lui a offert des bonbons, elle est délivrée par un jeune homme barbu au doux sourire. Il la ramène chez elle. Elle l'identifiera plus tard comme saint Joseph venu à son secours.
La petite est pieuse, mystique même. Elle est attirée par Dieu, toute dévouée aux autres pour lesquels elle se sacrifie sans cesse. Âme réparatrice, elle ne va pas tarder à connaître des épreuves effrayantes. À quatorze ans, elle chute sur le pavé, se donnant une très mauvaise fracture dont elle ne guérit pas. Les médecins diagnostiquent un cancer des os. Fin août 1882, la jeune fille est hospitalisée dans un état pitoyable, à l’hôpital de la Croix Rousse. Sa tumeur a métastasé au sein et aux poumons. Elle se sait mourante et l’accepte.
« Je suis venue te consoler »
Le 6 novembre au soir, elle y est toujours, incapable de se lever. Soudain, alors que la demie de onze heures vient de sonner, la malade s’entend appeler : "Anne-Marie !". Persuadée qu’il s’agit de la sœur surveillante et tombant de fatigue, elle feint de n’avoir pas entendu et se rendort. La voix retentit de nouveau. Mlle Coste rouvre les yeux et voit, dans une lumière magnifique Notre Dame de Fourvière, protectrice de Lyon. Elle tient l’Enfant Jésus dans les bras. La Vierge déclare :
"Mon enfant, j’ai pris la forme sous laquelle tu aimes le mieux m’implorer. Tu souffres beaucoup. Je suis venue te consoler."
La Vierge et son Fils ont les cheveux blond roux. La robe de Notre Dame est blanche avec des étoiles argentées ; par-dessus un manteau blanc et une ceinture bleue. Sur le front de Notre Dame brille une double couronne, copie de celle que porte Jésus. Dans la main de l’Enfant, un globe terrestre surmonté d’une croix sur laquelle l’on semble s’être acharné, tentant de la briser en trois endroits…
La Vierge tend à Anne-Marie une couronne de fleurs blanches. Elle lui explique qu’elle l’a méritée par sa dévotion mariale, l’amour des pauvres, la prière pour les âmes du Purgatoire et sa totale obéissance à Dieu. Puis Elle l’incite à rapporter à son directeur de confiance tout ce qu’elle entendra :
"Je m’en vais te dire trois secrets. Le premier, il y aura des inondations très nombreuses mais J’en préserverai Lyon, ma ville privilégiée ; c’est la troisième fois que Je la préserve du courroux de mon Fils, mais c’est aussi la dernière… Si l’on ne se convertit pas, Je serai obligée de le laisser aller."
Marie demande le silence sur les autres secrets, sauf envers le prêtre et annonce une guerre terrible. Puis elle demande à Anne-Marie de l’attendre tous les jours à compter du 8 décembre. Effectivement, fin novembre, des pluies continuelles provoquent de terribles inondations. Contre toute raison, Lyon est épargnée, alors même que la crue du Rhône et de la Saône s’annonce dévastatrice.
Une nouvelle vie
Début décembre, Anne-Marie, dont l’état se dégrade, est cependant autorisée à sortir quelques jours, dans l’attente d’une nouvelle intervention chirurgicale. Reçue chez les parents d’une amie, elle est logée dans une "soupente". Infirme comme elle est, elle s'y hisse à grand peine. La journée du 31 décembre, veille de son retour à l’hôpital, a été terrible. Mais, en dépit de ses souffrances, Anne-Marie s’agenouille au pied de son lit pour ses prières du soir. Soudain, Notre Dame est devant elle :
"Mon enfant, Je veux que vous fassiez des neuvaines dans toutes les paroisses et communautés de France en disant neuf pater, neuf ave Maria, et neuf fois ces invocations : Mère abandonnée, priez pour nous ! Mère affligée par des cœurs ingrats, priez pour nous !"
Ensuite, comme rue du Bac, Notre Dame lui montre une médaille la représentant. Elle porte à l’avers, "Notre Dame de Fourvière, priez pour nous !". À l’envers, "Dernières prières pour apaiser mon Fils : Mère abandonnée, priez pour nous !" "Je veux que tous mes fidèles serviteurs la portent sur leur poitrine et leurs vêtements, poursuit-elle. Tu auras bien à souffrir, on essaiera même de te faire passer pour une insensée mais que la pensée de me revoir bientôt te console et te soutienne. Tu ne souffriras pas seule, Je serai toujours avec toi."
Comme il faut une preuve que la jeune fille n’a pas tout inventé, Notre Dame pose sa main sur son front. Elle dit alors : "Nouvelle année, nouvelle vie !" et disparaît. À cet instant, Anne-Marie Coste se relève, guérie. Même si elle connaîtra au cours de sa vie d’autres maux, son cancer métastasé ne reparaîtra jamais. Décontenancés, les médecins établiront un certificat de parfait rétablissement, afin de lui permettre de trouver du travail.
Le miracle reconnu
Curieusement, les instances ecclésiastiques reconnaîtront sans difficulté le caractère miraculeux de la guérison de la jeune fille. Sa bonne foi ne sera jamais mise en cause, ce qui lui permettra de vivre sa vocation religieuse. Toutefois, rien ne sera fait concernant les apparitions qui perdureront encore plusieurs mois car, consulté, le supérieur du grand séminaire "les voit avec défiance".
En 1890, sous prétexte que de mauvais plaisants troublent les réunions de prière dans la chambre de la seconde apparition, le sanctuaire improvisé est fermé. Cela n’a pas empêché le message, relayé par quelques fidèles riches, d’être diffusé, tout comme la médaille, en France et à l’étranger. En Italie et en Espagne, elle concurrence un temps celle de la rue du Bac. La guerre de 14, dont Anne-Marie affirme qu’elle est seulement le prélude à celle annoncée par sa Dame, achèvera d’en effacer presque entièrement le souvenir.
Le message de la Mère abandonnée, titre que le pape Pie VII, lors de sa captivité en France, à partir de 1809, a décerné à Notre Dame, n’a rien de contraire à la foi, ce qu’ont reconnu les ordinaires italiens et espagnols qui ont approuvé la dévotion. Et, quand même ils sonnent comme la continuation des demandes faites à Paris en 1830 et à La Salette en 1846, ses propos n’en constituent pas de simples doublets.
On préféra se taire
Pourquoi, alors, ce silence autour des faits ? Gilles Lameire, dans La Croix brisée sur le globe (ed. Résiac), touche probablement à la vraie raison de l’embarras de l’archevêché. En cette fin du XIXe siècle, la IIIe République affiche au grand jour son anticléricalisme. La municipalité lyonnaise n’est pas en reste. Elle refuse de monter à Fourvière pour honorer le fameux Vœu des échevins. Elle s’ingénie à faire disparaître du paysage urbain croix et signes religieux, dont la fameuse Croix-Rousse qui a donné son nom au quartier.
Cela sans provoquer grandes réactions dans une population lyonnaise tenue pourtant pour très mariale. Reconnaître les apparitions à Anne-Marie Coste, ce serait admettre que, même à Lyon, Marie est en effet une mère abandonnée, victime des cœurs ingrats de ses enfants, et critiquer, en évoquant la croix brisée sur le globe tenu par l’Enfant Jésus, la politique de déchristianisation en cours… On préférera se taire. Mais, comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, et qu’il n’y a rien que de parfaitement catholique dans cette invocation, pourquoi ne pas dire, en effet : "Mère abandonnée, priez pour nous !"