"On appelle anges gardiens les anges que Dieu a destinés pour nous garder et nous guider dans la voie du salut. Ils nous assistent par leurs bonnes aspirations, et, nous rappelant nos devoirs, ils nous guident sur les chemins du Bien. Ils offrent à Dieu nos prières et nous obtiennent ses grâces. Nous devons être reconnaissants à la divine bonté de nous les avoir donnés et à eux du soin qu’ils prennent de nous." Tel est l’enseignement traditionnel de l’Église à propos des esprits bienheureux chargés, dès leur naissance, de veiller sur tous les êtres humains. Si nous ne percevons pas leur présence, ou sommes incapables de les reconnaître quand ils se manifestent à nous, de nombreux saints, au cours de l’histoire, ont vécu à leurs côtés comme à celui de leur ami le plus proche. Non sans heurts ! mais aussi, parfois, de belles surprises…
Nous sommes sans doute en 176, à Rome, dans le quartier du Champ de Mars, une zone résidentielle qui abrite bon nombre des belles demeures du patriciat. Là où s’élève aujourd’hui l’église Santa Maria del divin’amore, Notre-Dame du divin amour, se dresse à l’époque le palais d’une des plus anciennes familles romaines, les Caecilii Metelli. Cette lignée illustre, qui a donné à la République et à l’Empire nombre de grands hommes, consuls et généraux qui l’ont couverte de gloire, l’ignore encore mais grandit alors sous son toit une adolescente qui dépassera en renommée tous ses ancêtres. Elle s’appelle Caecilia, Cécile ; c’est-à-dire qu’elle porte simplement le nom de famille au féminin, les filles n’ayant pas, en latin, de prénoms propres. Quand elles sont plusieurs, on précise qu’il s’agit de l’aînée, Major, ou de la cadette, Minor, et s’il y a plusieurs sœurs dans l’intervalle, on les numérote, voilà tout : Secunda, Tertia, Quarta…
La visite de l’ange
Cécile a seize ans environ, ce qui signifie qu’elle a largement atteint l’âge de se marier, que la loi fixe à douze. Tel est le sort normal de toutes les jeunes Romaines dans une société où le célibat, spécialement féminin, est inconcevable. Et c’est tout le drame… Cécile, en effet, va épouser dans quelques jours un jeune homme de son milieu, au demeurant charmant, aimable, beau et fortuné, Caius Valerius, l’aîné d’une famille aussi célèbre que la sienne. Union idéale qui réjouit ses parents mais qui a plongé la jeune fille, au demeurant la dernière informée, dans la consternation. Convertie, dans des conditions mal élucidées, peut-être par sa nourrice, Cécile est chrétienne, la seule de son entourage familial. Nul ne le sait parmi ses proches, et cela vaut mieux car l’empereur Marc Aurèle déteste les tenants de cette foi qu’il tient pour une absurde superstition et réprime avec cruauté.
Cécile est donc chrétienne, ce qui contrevient à la loi. Quelque chose encore la soucie bien davantage : elle a voué sa virginité à Dieu, ce qui lui interdit d’avoir jamais un autre époux que celui qu’elle a élu, le Christ. Et il est évidemment impossible qu’elle l’explique à ses parents… Consternée, prise au piège, elle se débat seule dans ce dilemme impossible : doit-elle tout avouer, au risque du martyre, qu’au demeurant, elle ne craint pas ? Doit-elle se taire ? Elle ne sait. Or, à la veille de ses noces qui l’effraient tant, Cécile, en prière dans sa chambre, suppliant le Ciel de lui dicter la conduite à tenir, voit son ange gardien lui apparaître. Il lui donne un conseil inattendu : qu’elle obéisse à ses parents et qu’elle épouse Valerius. Pour le reste, qu’elle ait confiance : son mari ne la touchera pas.
"Montre-moi cet ange"
Même si elle ne comprend pas comment cette promesse pourrait bien se réaliser, Cécile obéit et, le lendemain soir, se retrouve seule dans la chambre nuptiale avec son jeune et séduisant époux, qui s’est épris d’elle au premier regard. Gentil garçon, incapable de brutalité, amoureux de cette toute jeune fille manifestement très effrayée de se retrouver en sa compagnie, Caius ne veut pas la brusquer mais sa patience est mise à rude épreuve quand, très calmement, son épouse lui déclare : "Écoute, très doux et très aimant époux : j’ai pour protecteur un ange de mon Dieu qui veille sur moi avec sollicitude. S’il voit que tu cèdes avec moi à l’entraînement des passions sensuelles, sa colère s’enflammera contre toi et, sous les coups de sa vengeance, tu succomberas aussitôt dans la fleur brillante de ta fraîche jeunesse."
Oui, Cécile en aime un autre, mais Celui qu’elle aime et auquel elle a voué sa foi n’est pas un homme comme les autres et Caius n’a aucune raison d’en être jaloux.
C’est du moins en ces termes fleuris que l’auteur de la Passion de sainte Cécile rapporte ses propos. Comme le texte est tardif, l’original ayant disparu dans les persécutions de Dioclétien, comme bien d’autres documents irremplaçables, il est impossible de garantir que Cécile les ait bien tenus sous cette forme, mais, ce qui est sûr, c’est qu’elle se refuse au devoir conjugal et que Valerius le prend assez mal… Sa première réaction, compréhensible, est de s’imaginer un rival : "Tu en aimes un autre ?" demande-t-il, refrénant sa colère. Oui, Cécile en aime un autre, mais Celui qu’elle aime et auquel elle a voué sa foi n’est pas un homme comme les autres et Caius n’a aucune raison d’en être jaloux. Effaré, le pauvre garçon comprend enfin que sa femme est chrétienne, désastre auquel il ne s’attendait pas, mais, faisant preuve d’une bonne volonté louable, il réclame des explications, et surtout des preuves : "Si c’est vrai, montre-moi cet ange de ton dieu qui veille sur toi."
Deux couronnes de fleurs venues du Ciel
À en croire sa passion, Cécile envoie alors son mari se faire "purifier", autrement dit baptiser, par le prêtre Urbain, en fait le pape du même nom, et, au retour de cette visite aux effets miraculeux, puisque le jeune homme se convertit aussitôt, l’ange lui apparaît, tenant dans ses mains deux couronnes de fleurs magnifiques, aux parfums enchanteurs, telles qu’il est de coutume d’en poser sur le front des jeunes mariés. En les leur donnant, il déclare : "Je vous les apporte du Paradis. Jamais elles ne se faneront mais nul ne les verra s’il n’aime la chasteté comme vous l’avez aimée."
Ces couronnes miraculeuses, un seul les verra : Tiburce, le jeune frère de Valerius, dont il a demandé la conversion et qui, d’ici peu, partagera son martyre. Trop belle pour être vraie, cette histoire ? Peut-être mais il aura bien fallu au moins une intervention angélique, et beaucoup d’amour, de part et d’autre, pour qu’un jeune païen respecte le vœu de virginité de sa femme et se convertisse à son contact… Et puis, des fleurs venues du Ciel apportées par les anges, l’on en verra d’autres à l’avenir ! Mais ceci est une autre histoire que je vous raconterai peut-être !