Faute d’un accord entre députés et sénateurs, la proposition de loi visant à « renforcer le droit à l’avortement » revient en troisième lecture ce 10 février. Le texte prévoit l’allongement des délais de 12 à 14 semaines de grossesse, sans porter attention à l’aide aux femmes qui veulent garder leur bébé. La commission des affaires sociales a rejeté la proposition de loi, et donc aucun amendement n’a été déposé. Il reste que le rapport de la sénatrice Laurence Rossignol (PS), ancien ministre de la Famille et des droits des femmes, devant les membres de la commission, a relancé la question de la clause de conscience spécifique en matière d’IVG, dont elle regrette que l’Assemblée nationale ne l’ait pas supprimée, contrairement au souhait des rédacteurs du texte. Elle estime que cette clause de conscience est « redondante avec la clause de conscience générale applicable à l’ensemble des professionnels de santé intervenant dans l’exécution de l’acte ».
Il était attendu que cet argument ressorte, et il faut s’attendre à son retour dans les débats ultérieurs, ou lors de la lecture définitive ou dans le cadre d’une nouvelle proposition de loi, tant la pression des partisans de son abolition est forte. « Près d’un demi-siècle après l’adoption de la loi [Veil], écrit Laurence Rossignol dans son rapport, le contexte a profondément changé et ne justifie plus le maintien d’une clause de conscience spécifique. » Or la suppression de cette clause fragiliserait le principe même de la liberté de conscience. Cette liberté, rappelle le Pr. Emmanuel Sapin, est un « principe fondamental (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, art. 10) non négociable dans une démocratie ». Supprimer cette clause revient à faire l’impasse sur le respect de la vie humaine qui est une norme supranationale, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme (art. 2).
Un devoir et un droit
Le médecin n’est pas une machine. Il est un homme doué d’une conscience et capable de former un jugement moral. L’objection de conscience est à la fois un devoir et un droit. Un devoir d’abord, car les médecins bénéficient d’une « autonomie générale dans l’exercice de leur profession afin de pouvoir exercer leur jugement comme l’exige le serment qu’ils prêtent » (Droit et Prévention de l’avortement en Europe, Études hospitalières, 2016). Le médecin, et par extension tous les membres des professions médicales, ont vocation à prendre soin de l’autre. « Il s’agit du fondement même de l’éthique médicale, qui figurait déjà dans le serment d’Hippocrate au Ve siècle avant Jésus-Christ » (op. cit.). L’avortement contrevient frontalement à cette vocation.
Le droit doit protéger l’autonomie de conscience, il ne doit pas contraindre ceux qui nous soignent à la démission.
L’objection de conscience est également un droit. L’objectif de la clause de conscience spécifique à l’avortement est de protéger les médecins. En supprimant cette clause du corpus législatif, la loi ne protège plus les médecins, elle les contraint à trahir leur conviction. Le droit doit protéger l’autonomie de conscience, il ne doit pas contraindre ceux qui nous soignent à la démission.
L’argument du « doublon inutile »
Les promoteurs de la suppression de la clause de conscience spécifique à l’avortement soutiennent comme Laurence Rossignol que cette clause est un doublon inutile, car il existe déjà une clause de conscience générale dans le code de déontologie des médecins et celui des sages-femmes.
Cet argument est irrecevable pour deux raisons. Alors que la clause spécifique à l’avortement qui serait supprimée par la proposition de loi a une valeur législative, la clause de conscience générale n’a qu’une valeur réglementaire. Ainsi, la clause générale a une valeur juridique plus faible que la clause spécifique. Cette valeur réglementaire signifie que la clause peut être supprimée du jour au lendemain, en dehors de tout débat parlementaire, par un simple décret. C’est-à-dire sur simple décision du pouvoir exécutif sans contrôle du Parlement. Cela induit pour les soignants, les médecins et les sages-femmes notamment, une incertitude sur les conditions futures de l’exercice de leur métier.
Si une femme est proche du délai pour avorter, « l’urgence » contraindra le médecin, la sage-femme, à réaliser l’acte d’avortement contre sa volonté.
Ensuite, la clause générale de conscience qui subsisterait dans notre droit a un champ d’application plus restreint car les soignants ne peuvent pas s’en prévaloir en cas d’urgence. Autrement dit, si une femme est proche du délai pour avorter, « l’urgence » contraindra le médecin, la sage-femme, à réaliser l’acte d’avortement contre sa volonté. La proposition de loi de Mme Gaillot porte donc une atteinte réelle à la volonté des soignants de s’opposer à l’avortement. À titre d’illustration, si cette proposition de loi devait être adoptée, cela signifie concrètement qu’un médecin ne pourrait pas refuser d’avorter un enfant trisomique qui a 9 mois de vie gestationnelle, si l’urgence est caractérisée.
Absence de consensus
L’avortement n’est pas un acte anodin, il porte atteinte à la vie humaine. C’est pourquoi il est important de conserver une clause de conscience spécifique. Tous les actes qui portent atteinte à la vie ou à l’intégrité du corps humain font l’objet d’une clause de conscience spécifique dans notre droit. C’est le cas par exemple de la recherche sur l’embryon et de la stérilisation.
Il ne faut pas se méprendre, l’objectif des défenseurs de la proposition de loi de Mme Gaillot est d’affaiblir la liberté de conscience des professionnels de la santé. La suppression de la clause de conscience ne fait que mettre en lumière l’absence de consensus en matière d’avortement. « Plutôt que de mettre en cause la liberté de conscience, il serait judicieux de s’interroger sur les causes de l’objection. C’est-à-dire, sur la nature de l’acte en cause » (Gregor Puppinck, op. cit.). Le respect de la vie de l’enfant à naître, c’est le principe qui guide les objecteurs de conscience en toute circonstance. Il est plus facile de voter une loi que d’être celui qui est chargé de l’exécuter.