Soulagement. La clause de conscience spécifique des soignants subsiste (encore ?). Le dernier coup de boutoir en date, porté par la loi Gaillot « visant à renforcer le droit à l'avortement » adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée le 30 novembre dernier, n’a pas abouti à démanteler ce droit fondamental. Des députés l’ont réintroduit in extremis dans la loi. Même si l’adoption définitive de ce texte, impliquant un passage au Sénat, reste incertaine, n’en doutons pas, l’assaut reviendra, tôt ou tard, ici ou là.
Une liberté constitutionnelle
L’objection de conscience consiste à refuser d’accomplir un acte prescrit, soit par un supérieur hiérarchique, soit par la loi, parce qu’il est contraire à des normes morales, éthiques ou religieuses fondées sur la liberté de conscience. La clause de conscience est la reconnaissance par l’État de ce « droit d’opposition », dans certains cas précis où des valeurs fondamentales sont en jeu. Cette clause est dans le viseur, et depuis longtemps. Pourquoi ? Trois raisons essentiellement sont revendiquées par les ennemis de cette liberté constitutionnelle depuis un avis Conseil constitutionnel de 1977 et constamment rappelé depuis.
D’abord, la clause de conscience spécifique constituerait un obstacle pour l'accès à l'IVG. C’est faux. Le Code de la santé publique prévoit que celui qui invoque sa clause de conscience doit informer, sans délai, l'intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention. Cette injonction se voit renforcée par un texte réprimant l'entrave à l'IVG de 2 ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende. Par ailleurs, les chiffres démentent aussi cet argument : le nombre d’IVG reste très élevé. 220.000 chaque année, c’est une grossesse sur quatre, avec même un pic à 232.000 en 2019, son plus haut niveau en trente ans selon la DREES. Son accès n’est donc pas entravé. Les signataires de la proposition de loi discutée admettent elles-mêmes que les Agences régionales de santé reconnaissent ne pas rencontrer de difficultés d'accès à l'IVG spécifiquement liée à l'exercice d'une clause de conscience.
Cette clause n’est pas superflue
Ensuite, cette clause spécifique serait « superflue », car il existe déjà la clause générale. C’est faux. Elle n’est pas inutile. Si cette clause spécifique a été créée dès la loi Veil de 1975, c’est bien en raison du caractère particulier de cet acte, dont la portée ne change pas avec les années. La clause spécifique stipule qu’« un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ». La clause générale est, quant à elle, de portée plus restreinte. Elle commence par le principe suivant : « Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. » Ce principe limite le pouvoir d’appréciation du médecin dans au moins deux circonstances citées dans le texte : « le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité ». Ce cadre juridique est de fait plus restrictif et plus contraignant pour le médecin.
Autre différence de taille, la clause spécifique est consacrée par la loi. Alors que la clause générale a une valeur juridiquement inférieure. Elle n’est que de nature réglementaire, et peut donc être modifiée du jour au lendemain par le gouvernement. Supprimer la clause spécifique fragiliserait juridiquement la protection des soignants. Enfin, point majeur, la clause spécifique bénéficie à l'ensemble du personnel médical, alors que la clause générale ne protège que les médecins, les sages-femmes et les infirmiers.
Un acte pas ordinaire
Enfin, cette clause de conscience serait jugée « stigmatisante » à l'égard des femmes. Faut-il comprendre en cela que la clause permet de ne pas dénier à cet acte son caractère particulier ? Dans son avis de décembre 2020, le CCNE met en garde : « La pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire [...]. Le poids psychologique de la technique chirurgicale porté par le médecin n’est pas négligeable. »
La politique sortirait grandie de mieux prendre soin de ceux qui prennent soin de nous.
Un vibrant appel à tous les soignants pour défendre la clause de conscience, porté par le professeur Emmanuel Sapin, chef du service de chirurgie pédiatrique et néonatale au CHU de Dijon, a été signé par des milliers de soignants. Quant au Collège national des gynécologues et obstétriciens français, le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, l’Ordre des médecins et le CCNE, ils se sont fermement opposés à sa suppression. Les soignants sont, à juste titre, attachés à cette clause de conscience, symbolisant la liberté de penser, fondement des droits de l’homme. Interrogés par la journaliste Bénédicte Lutaud du Figaro, certains soignants sont sortis du silence. Ils évoquent des situations d’IVG ou d’IMG, qu’ils ont douloureusement vécues, les poussant à arrêter cette pratique.
Prendre soin de ceux qui nous soignent
Une sage-femme va même plus loin, expliquant que la clause de conscience permet également de protéger les soignants déjà fragilisés par une épreuve liée à la maternité : « Il y a des soignantes confrontées à des fausses couches — j'en ai moi-même eu deux — ou à la perte d'un bébé, qui peuvent ne pas se sentir aptes. On a des sages-femmes qui ont été confrontées elles-mêmes à un IVG dans leur vie. Cela convoque des souvenirs personnels. » Des soignants confrontés personnellement à l'infertilité témoignent aussi ne pouvoir participer à un avortement. Ces souffrances là aussi, doivent être entendues.
Les soignants ne sont pas des robots ou des prestataires de service. L’enjeu va d’ailleurs au-delà de l’avortement. Dans le domaine médical, la clause de conscience englobe des actes qui mettent en jeu la vie et la mort ou l’intégrité physique des personnes. Si demain l’euthanasie est légalisée, contraindrons-nous aussi des soignants à pousser la seringue ? La politique sortirait grandie de mieux prendre soin de ceux qui prennent soin de nous.