Il pleut… au cœur de l’automne, la nouvelle ne surprendra personne. Il pleut… Certains y verront même une bénédiction du Ciel : n’est-il pas imploré, le Créateur, pour que la terre s’abreuve ? Mais lui n’est pas d’accord, il y trouve même une raison supplémentaire pour manifester son sentiment que « décidément rien ne nous sera épargné »… il est là assis en face de moi, cet homme dans la maturité de sa vie. Et il grommelle : « Plus rien ne fonctionne aujourd’hui, le monde s’effondre sous nos yeux, c’est quand même dingue… » Il avoue au bout de quelques gémissements qu’il ne ressent plus de goût à rien, que la vie lui semble si absurde.
Une acédie généralisée
« Plus de goût à rien ? » Peut-être, finalement, que la pandémie actuelle est en train d’atteindre une étape, une nouvelle mutation du virus. Ce qui était un symptôme devient une pathologie. La perte du goût et de l’odorat observée chez de nombreux patients depuis deux ans annonce-t-elle une acédie généralisée ? Beaucoup attestent de la difficulté à reprendre le chemin du travail. À l’université, dans les bureaux, dans les commerces, partout ou presque c’est la même incantation : on n’a plus envie de bosser comme avant ! Certains le justifient par le sentiment de travailler trop et de gagner si peu, d’autres vantent les charmes d’un télétravail bucolique, quelques-uns avouent pudiquement que franchement, c’est plus « sympa » d’être payé à rester chez soi que d’aller s’épuiser à des tâches parfois physiquement fatigantes.
Difficile de trouver le sens d’un travail quand on peine à distinguer le sens de sa vie. Difficile de voir autre chose dans le travail qu’une aliénation à combattre, quand depuis quarante ans on nous assène que l’homme est fait pour se reposer et se divertir. Nous redoutions que le plus grand désastre de la crise sanitaire soit la multitude des faillites d’entreprises et l’explosion du chômage. Et si, finalement, la prise de conscience de l’urgent besoin que nous avons de reprendre ensemble une vraie réflexion sur ce que nous voulons vivre personnellement et en communauté, en était l’heureuse conséquence ?
Redonner le goût de la vie
L’acédie est une maladie que l’on cantonnait jusqu’alors aux clôtures des monastères. Cette forme de profonde dépression spirituelle qui fait perdre le goût de tout aux religieux qui en étaient touché semble avoir dépassé ces frontières. Elle s’attaque désormais à des hommes et des femmes très sécularisés. Les abbés et abbesses savent quels conseils prodiguer à ceux de leurs frères et sœurs infectés par ce virus. Les baptisés d’aujourd’hui sauront-ils faire de même envers ceux qui, autour d’eux, se sentent si inutiles et si vides ? Il ne s’agit pas de réenchanter le monde. Mais de lui donner son goût. Le goût de la vie, le goût de l’Espérance, le goût de l’Amour. Et qui mieux que les baptisés peuvent être ce sel-là, qui n’a d’autre fonction que de révéler aux palais des affamés la vraie saveur de ce dont ils se nourrissent ?