La référence à la conscience morale est universellement répandue dans la communauté humaine. Continuellement nous approuvons et désapprouvons notre comportement et celui d’autrui, et c’est une attitude que l’on retrouve dans toutes les cultures, dans tous les temps, sous toutes les latitudes. Lorsque nous désapprouvons ainsi notre propre comportement, nous éprouvons ce qu’on nomme communément un remords. Le remords est un signe les plus clairs de la réalité de ce phénomène qu’est la conscience morale.
L’Église interprète ce phénomène universellement répandu de la conscience morale comme le lieu d’une relation privilégiée entre Dieu et le cœur de l’homme : « La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (Gaudium et Spes, 16). C’est notamment dans ce sanctuaire de la conscience que le Verbe de Dieu « éclaire tout homme » (Jn 1,9).
Voici ce que déclare le concile Vatican II : « Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité de son cœur : “Fais ceci, évite cela.” Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme ; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (Gaudium et Spes, 16).
L’Église fait confiance à la raison humaine. Elle invite tous les hommes à chercher la vérité et espère par là un progrès vers un monde plus juste et plus fraternel.
La plupart des hommes perçoivent grâce à leur conscience les grands principes moraux qui permettent à l’homme de progresser en humanité, ce que l’on appelle communément la loi naturelle. L’Église fait confiance à la raison humaine. Elle invite tous les hommes à chercher la vérité et espère par là un progrès vers un monde plus juste et plus fraternel. C’est ce qui est enseigné toujours au même paragraphe de Gaudium et Spes : « Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. Plus la conscience droite l'emporte, plus les personnes et les groupes s'éloignent d'une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité. »
C’est notamment dans le sanctuaire de la conscience que Dieu par son Verbe « éclaire tout homme » (Jn 1,9). Comme le dit le Catéchisme de l’Église catholique (n. 1777) : « Présente au cœur de la personne, la conscience morale (Rm 2, 14-16), lui enjoint, au moment opportun, d’accomplir le bien et d’éviter le mal. Elle juge aussi les choix concrets, approuvant ceux qui sont bons, dénonçant ceux qui sont mauvais (Rm 1, 32). Elle atteste l’autorité de la vérité en référence au Bien suprême dont la personne humaine reçoit l’attirance et accueille les commandements.
Quand il écoute la conscience morale, l’homme prudent peut entendre Dieu qui parle ». La conscience « est la messagère de Celui qui, dans le monde de la nature comme dans celui de la grâce, nous parle à travers le voile, nous instruit et nous gouverne. La conscience est le premier de tous les vicaires du Christ » (Newman, Lettre au duc de Norfolk, 5).
Mais l’éducation, la culture ambiante, nos conditionnements et les évènements de notre vie ont un rôle qui est loin d’être négligeable pour rectifier ou fausser la conscience morale. Notre jugement de conscience s’exerce dans un environnement concret qui peut le perturber. Dieu veut se faire entendre de chacun de nous, mais en général il agit à travers ce que l’on appelle les « causes secondes ». Il passe par la communauté humaine et plus particulièrement par notre entourage proche. C’est pour cela que la formation concrète de notre conscience morale dépend pour une part de cet entourage.
Le jugement de conscience suppose aussi une attitude d’intériorité qui n’est pas évidente dans notre monde contemporain.
En raison des structures de péché présentes au cœur du monde, nous ne sommes pas toujours orientés vers le vrai et le bien. Ensuite, les décisions de chacun d’entre nous exercent une influence sur notre manière de juger. Cette influence, dont nous sommes responsables, contribue à façonner de façon plus ou moins droite notre jugement moral. Le jugement de conscience suppose aussi une attitude d’intériorité qui n’est pas évidente dans notre monde contemporain. « Cette requête d’intériorité est d’autant plus nécessaire que la vie nous expose souvent à nous soustraire à toute réflexion, examen ou retour sur soi : “Fais retour à ta conscience, interroge-la... Retournez, frères, à l’intérieur et en tout ce que vous faites, regardez le Témoin, Dieu” (saint Augustin, Ep. Jo. 8, 9) » (CEC, 1779).
La conscience morale ne détermine pas notre manière d’agir. Nous subissons aussi les influences de nos passions (nos désirs et nos peurs). Nous pouvons agir contre notre conscience en acceptant de suivre ces passions. Mais alors nous n’agissons pas conformément à notre dignité d’êtres raisonnables. C’est toujours une faute morale et un péché. Saint Thomas d’Aquin, dans un texte célèbre, souligne que cela reste vrai même si la décision prise comme telle est bonne. Ainsi, dit-il, si quelqu’un se convertit au Christ contre sa conscience (en agissant par intérêt ou par peur, alors que la prédication ne l’a pas convaincu), il pèche nécessairement.
La conscience joue un rôle absolument essentiel mais il ne faut pas en faire la référence ultime en matière morale. L’enseignement de saint Thomas que nous venons d’évoquer a profondément influencé le monde moderne. Nombreux sont ceux qui s’appuient sur cet enseignement pour affirmer que l’on doit toujours suivre sa conscience. Cette manière de penser s’est tellement répandue que pour la plupart de nos contemporains et même pour de nombreux fidèles catholiques, la conscience semble être la référence ultime en matière morale. Saint Thomas a aussi clairement affirmé que si quelqu’un agit selon sa conscience, son action n’est pas nécessairement bonne.
Il faut travailler à corriger la conscience morale de ses erreurs.
Il n’est pas difficile de se convaincre que Thomas a raison. Beaucoup de gens ont une conscience erronée et nous estimons juste de chercher à corriger leur erreur. Cette capacité d’erreur a été reconnue dans le paragraphe déjà cité de Gaudium et Spes : « Toutefois, il arrive souvent que la conscience s'égare, par suite d'une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Ce que l'on peut dire lorsque l'homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l'habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle. » L’expérience nous fait alors découvrir que cette erreur ne se présente pas toujours de la même manière.
Certaines personnes dont le jugement moral est erroné cherchent sincèrement la vérité. Cela se manifeste quand ces personnes acceptent de modifier leur jugement lorsqu’on leur présente des arguments convaincants. D’autres, malgré leur sincérité, ne parviennent pas à comprendre les arguments qu’on leur donne : on parle alors d’« erreur invincible ».
Dans ces deux situations, il n’y a pas à proprement parler de faute morale ou de péché. On parle alors d’ignorance « non coupable ». Cette ignorance n’en demeure pas moins un mal, une privation, un désordre. Il faut donc travailler à corriger la conscience morale de ses erreurs. Quand cette erreur porte sur des questions de morale naturelle sanctionnées par la loi civile, on reconnaît à la société le droit de contraindre les fautifs. La conscience individuelle ne peut dans ce cas précis être invoquée pour se soustraire à l’autorité légitime.
Par exemple, si de bonne foi ou en raison d’une ignorance invincible une personne ne considère pas le vol comme moralement répréhensible, et si cette personne commet un vol, on n’attend pas du tribunal qu’il renonce à punir cette personne. On voit sur cet exemple combien est fragile l’idée selon laquelle la conscience serait juge en dernière instance. Mais il y a aussi l’erreur coupable, l’aveuglement spirituel, conséquence dramatique du péché dont Dieu seul peut nous délivrer.
Pour mettre en lumière cette erreur coupable, saint Thomas, en sa Somme théologique (IIae q19 a6) cite Jn 16,2 :
Songeons aussi à saint Paul qui était de bonne foi et qui se croyait juste et qui a découvert au moment de sa conversion la miséricorde de Dieu et la réalité de son péché d’orgueil et de violence (1 Co 4,4). Blaise Pascal a admirablement décrit cette expérience à la fois jubilante et douloureuse où la découverte de la miséricorde de Dieu s’accompagne de la découverte du péché jusqu’alors méconnu. Dans un dialogue qui met en scène Jésus et lui, il écrit : « — Jésus : “Si tu connaissais tes péchés tu perdrais cœur.” — Pascal : “Je le perdrai donc, Seigneur, car je crois leur malice sur votre assurance.” — Jésus : “Non, car moi, par qui tu l’apprends, je t’en peux guérir, et ce que je te dis est un signe que je veux te guérir. À mesure que tu les expieras, tu les connaîtras et il te sera dit : vois les péchés qui te sont remis” » ( Le mystère de Jésus, Pensées, La Pléiade, p. 1061).
Le drame du péché ce n’est pas tellement l’acte désordonné du pécheur, c’est la tendance du pécheur à se justifier. Cette autojustification fausse le jugement moral. Elle provient de l’orgueil. Et c’est la raison pour laquelle l’élément le plus radical du péché est le mouvement d’orgueil par lequel la créature prétend se suffire à elle-même. La conséquence de l’orgueil est l’obscurcissement progressif de la conscience morale. C’est pour nous libérer de cet orgueil et de cet aveuglement que Dieu s’est engagé comme il l’a fait. La conversion s’accompagne d’une lumière capable de rectifier le jugement de conscience.
Il y aussi un devoir moral de former sa conscience et c’est une tâche de toute la vie. « Dès les premières années, elle éveille l’enfant à la connaissance et à la pratique de la loi intérieure reconnue par la conscience morale. Une éducation prudente enseigne la vertu ; elle préserve ou guérit de la peur, de l’égoïsme et de l’orgueil, des ressentiments de la culpabilité et des mouvements de complaisance, nés de la faiblesse et des fautes humaines. L’éducation de la conscience garantit la liberté et engendre la paix du cœur » (CEC, 1784).
Dans la formation de la conscience la Parole de Dieu est la lumière sur notre route : « Il nous faut l’assimiler dans la foi et la prière, et la mettre en pratique. Il nous faut encore examiner notre conscience au regard de la Croix du Seigneur. Nous sommes assistés des dons de l’Esprit Saint, aidés par le témoignage ou les conseils d’autrui et guidés par l’enseignement autorisé de l’Église » (CEC, 1785).