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Pourquoi les Évangiles n’ont-ils pas publié une seule phrase de saint Joseph ? En cette année qui lui est dédiée, on aurait aimé une idée, voire seulement un mot, du père terrestre de Jésus. A-t-il été si discret qu’on n’ait pas un seul mot dans sa vie, pas un mot sur sa mort ? Comme le dit le pape François : « Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour remplir le silence de l’Évangile à ce propos » (Patris corde, 5) alors, on peut se risquer à deviner quelques scènes…
Allons déjeuner !
Les yeux embués de larmes, Joseph entre dans sa chambre. Il vient d’apprendre que sa fiancée est enceinte. Dans sa tête, le déshonneur le dispute à l’absurde. Son père, Jacob, qui avait aperçu la peine de son fils, lui avait simplement dit : « Allez, viens déjeuner. » Quelques mois après, les yeux rougis par le vent, Joseph entre dans la grotte de Bethléem. Il sait l’imminence de l’accouchement de Marie. Dans sa tête, l’anxiété rivalise avec la confiance. Et puis, il sort de son sac quelques provisions, lâchant à mi-voix à son épouse : « On va quand même déjeuner. » Quelques jours après, le nez et le front en avant, Joseph accélère le rythme de ses enjambées pour fuir le massacre des innocents. Dans sa tête, les questions succèdent aux questions. Et puis, sur la route, un aubergiste leur propose de déjeuner.
Quelque temps après, de retour d’Égypte, Joseph retrouve son clan à Nazareth. Combien de mois se sont écoulés ? Dans sa mémoire, les souvenirs se confondent à présent avec le futur. Et puis comme s’il ne s’était rien passé, il prend plaisir à inviter ses proches : « Restez donc déjeuner ! »
Les raisons d’un silence
La vie cachée de Nazareth s’organise ensuite dans une succession de grands travaux, et de modestes repas. Comme dans les familles de ce temps-là, et comme dans toutes les familles de tous les temps, sonne régulièrement l’appel… à table ! Et puis il y a la fugue de Jésus au Temple et l’inquiétude de ces trois jours sans le retrouver. Cette phrase de Marie : « Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » avait fait plaisir à Joseph, parce qu’elle l’avait présenté comme le père de l’enfant, et la réponse de Jésus : « Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? » lui avait fait, inversement, moins plaisir... Et Marie, de retour à la maison, s’était remis à la cuisine, avant que Joseph ne s’exclame : « Jésus, veux-tu bien t’occuper — aussi — des affaires de ta mère, et venir à table ? »
Oh, bien sûr, tout cela n’est que pure conjecture… Mais peut-être possible… ou probable ! Car Joseph a bien dû parler. Il convenait que le charpentier fasse un grand berceau de silence pour accueillir le Verbe. Il fallait préparer une table sans mots pour donner une place à la Parole. Imagine-t-on le Fils de Dieu s’incarner au beau milieu d’un bavardage ? Il y a peut-être une autre raison : le Bon Dieu était exaspéré par ces gens qui disent et ne font pas (Mt 23, 3). Il fallait à Jésus un papa sur terre qui ferait beaucoup et ne dirait pas trop. Une providence active et discrète pour contrebalancer les homélies désincarnées des siècles passés et à venir. Ce qui parle le plus dans la vie de Joseph, ce sont encore ses quatre songes qui disent tous la même chose : « Prends Marie… Prends Marie et l’Enfant… » Sa vie fut consacrée à obéir à cette injonction. Voilà, chrétiens, ce qui fut demandé à Joseph, comme à l’apôtre Jean au pied de la Croix, et à chacun de nous : accueillir Marie chez nous, pour recevoir Jésus chez soi.
La théologie de l’assiette
Mais Joseph, témoin de l’inattendu, compagnon du désastre, ami de Dieu, tu sais que rien n’est jamais si grave qu’on puisse faire l’impasse sur le déjeuner. Après la Passion et la Résurrection, après l’envoi en mission, comment Jésus a-t-il conclu son Évangile ? Par ces deux mots : « Venez déjeuner ! » (Jn 21, 12). C’est en effet la dernière phrase de Jésus aux disciples réunis, dans l’évangile de Jean. Le plus mystique des évangélistes achève le récit de la vie nouvelle autour d’un feu, d’un poisson grillé et d’un pain. La théologie la plus élevée se termine dans une assiette !
On peut sans peine imaginer que Jésus a emprunté cette conclusion à la bouche de son père adoptif. Ce « venez déjeuner » est un hommage discret à celui qui lui avait répété tant de fois cette invitation, à celui qui l’avait élevé au beau milieu de tant de péripéties… C’est au fond, une phrase que Jésus a dû entendre de ses deux Pères, Celui du Ciel et celui de la terre, Celui-là à qui on demande notre pain de ce jour et celui-ci qui le Lui donna, chaque jour. Nous croyons en un Dieu qui nous attend impatiemment pour le Banquet éternel, parce qu’il l’apprit lui-même de la table et des impatiences mêmes de son père Joseph !