Les élections présidentielles reportées sine die, la Somalie est au bord de la guerre civile. La situation sécuritaire empire, avec un retour du terrorisme. Le pays est devenu le théâtre d’une lutte d’influence entre puissances islamiques régionales.
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En Somalie, une élection est toujours un moment à risque, celui de voir le pays basculer dans les troubles. L’élection présidentielle de cette année n’a pas échappé à la règle. Elle devait initialement se tenir en novembre 2020 puis fut reportée à février 2021 ; elle est désormais reportée sine die. Au même moment devait se tenir des élections législatives, qui ont-elles aussi été reportées. La situation politique est donc confuse, les mandats du président et des députés ayant expiré sans que de nouvelles élections puissent être organisées.
Le système électoral est complexe puisque le suffrage n’est pas unipersonnel, mais indirect et clanique. Ce ne sont pas les Somaliens qui votent pour élire leur président, mais les chefs de tribus qui nomment des parlementaires, ceux-ci étant ensuite électeurs du président. Pour les candidats, l’enjeu n’est donc pas de présenter un programme et de convaincre la population, mais de séduire les chefs de clans pour qu’ils nomment des parlementaires qui leur seront favorables. D’où l’existence de corruption et de faveurs pour s’attacher les bonnes grâces des chefs et ainsi disposer des voix nécessaires. L’un des candidats, francophone et marié à une Française, Abshir Aden-Ferro, proposait donc de modifier la constitution pour établir un système démocratique reposant sur le système « un homme, une voix ». Un système qui ne semble pas prêt de voir le jour.
Un pays écartelé et fragilisé
La Somalie est composée à 95% par une ethnie, les Somalis, ce qui est un avantage certain par rapport aux pays africains composés de plusieurs ethnies et donc davantage susceptible de connaître des rivalités internes. Cela n’a pas empêché le pays de subir de nombreuses guerres depuis son indépendance en 1960, conflictualité accélérée depuis 1991 et la fin de la Guerre froide. La Somalie s’est rangée dans le camp soviétique jusqu’en 1977, avant de rompre avec lui à la suite d’un changement de président. L’invasion de l’Éthiopie lors de la guerre de l’Ogaden (1977-1978) a conduit à une réplique des troupes cubaines qui protégeaient alors ce pays et à une défaite de Mogadiscio.
Le pays est donc particulièrement fragilisé et déstabilisé, entre clans qui ne trouvent pas d’accord pour la présidentielle, régions autonomistes coupées de la capitale, mouvements de piraterie et attaques des shebabs qui associent terrorisme et islamisme.
C’est ensuite le Somaliland, région du nord du pays et ancienne colonie britannique, qui a proclamé son indépendance. Si celle-ci n’est reconnue par aucune puissance internationale, la région vit toutefois en marge de Mogadiscio. Puis est venue la proclamation de l’indépendance du Puntland, non reconnue elle aussi, mais largement autonome par rapport au pouvoir central et lieu de nombreux repaires de pirates qui attaquent les bateaux dans l’océan indien (dont la célèbre prise d’otages du Ponant en 2008).
À cette fragilisation politique et territoriale s’est ajoutée, à partir de 2004, l’irruption des militants shebabs. Très présents dans le sud du pays, à la frontière avec le Kenya, ils ont lancé plusieurs raids et attaques contre la capitale Mogadiscio, dont la dernière, le 30 janvier 2021, leur a permis d’éliminer un général ennemi. Le pays est donc particulièrement fragilisé et déstabilisé, entre clans qui ne trouvent pas d’accord pour la présidentielle, régions autonomistes coupées de la capitale, mouvements de piraterie et attaques des shebabs qui associent terrorisme et islamisme. La Somalie est à la fois un État fantôme et un État failli.
Les Shebabs : entre islamisme et terrorisme
Le schéma classique en Afrique d’une opposition entre groupes chrétiens et groupes musulmans ne se retrouve pas en Somalie, la population étant musulmane de façon quasi exclusive. La colonisation européenne n’a pas réussi à implanter le christianisme, en dépit de la présence de missions italiennes jusque dans les années 1960, lorsque le pays fut une colonie puis un protectorat italien. La population chrétienne était composée essentiellement des missionnaires et colons italiens, sans que le christianisme n’infuse dans le reste du pays. Après leur départ, il n’est plus rien resté du christianisme, hormis quelques populations sporadiques de chrétiens éthiopiens et de chrétiens somaliens estimés à un millier. La fracture religieuse somalienne est donc interne à l’islam.
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Au sein de cette population musulmane émerge en 2006 le groupe nommé Harakat al-Chabab al-Moudjahidin (mouvement des jeunes combattants) plus connu sous le nom de shebabs. Rattachés au djihadisme, affilié à Al-Qaïda, les shebabs ont officiellement la volonté de créer un État islamique en Somalie, même si pour l’instant leurs actions se limitent à de la rapine, du terrorisme et de la criminalité, avec des attentats organisés notamment à Mogadiscio et des enlèvements. On trouve parmi eux des cadres passés par Al-Qaïda au Pakistan et d’autres, formés directement en Somalie. Organisant une corruption massive dans l’administration et rackettant les entreprises, les shebabs sèment la terreur dans plusieurs parties du territoire somalien, y compris à Mogadiscio. Organisateurs de nombreux attentats, ils contribuent à déstabiliser le pays et à empêcher son redressement. L’un des enjeux de la présidentielle, si elle a lieu, est la lutte contre ces mouvements afin de rétablir l’ordre dans le pays, corolaire indispensable à son développement.
La puissance turque
Mais autour des shebabs, ce sont aussi les influences musulmanes qui se mettent en place. La Somalie est une place privilégiée de l’influence turque. Nombreux sont les dignitaires somaliens à bénéficier d’un passeport turc et la Turquie finance bon nombre d’associations caritatives qui œuvrent dans des hôpitaux et des écoles. Pour Ankara, l’objectif est d’accroître son influence dans le monde musulman et de damer le pion à l’Arabie saoudite toute proche, d’une part pour une question d’influence interne à l’islam, mais aussi pour bénéficier d’un appui dans l’océan Indien. Nonobstant sa désagrégation intérieure, la Somalie est un État géographiquement intéressant puisque son territoire donne sur la mer Rouge et s’ouvre largement sur la façade océanique indienne. Pour la Turquie, affermir sa puissance en Somalie est un moyen d’accroître son influence en Méditerranée orientale en disposant d’un regard sur les entrées et sorties de la mer Rouge. Avec le retrait des troupes américaines décidées par Donald Trump en décembre 2020 et non démenties par Joe Biden, la place laissée vacante pourrait être occupée par Ankara — toutefois alliée des Américains dans le cadre de l’OTAN. Le pays a donc beaucoup plus d’intérêt et d’atouts que ne le laisse présupposer à première vue son instabilité chronique.
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