Philosophe, enseignant et père de quatre enfants âgés de 2 à 14 ans, Martin Steffens livre dans un ouvrage délicatement illustré des pensées lumineuses et réconfortantes sur la place de parent. Entretien.
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Bien loin d’une quelconque méthode d’éducation, Naissance d’un parent est un recueil de pensées sur cette belle et mystérieuse aventure qui consiste, à chaque naissance d’un petit être, à (re)devenir parent. Martin Steffens nous invite à investir cette place de parent dans la joie : joie d’apprendre à être parent, et joie d’apprendre à son enfant à être un habitant du monde. Un apprentissage au long cours, qui se fait par esquisses, comme l’expriment si bien les tendres illustrations d’Émilie Angebault. Un livre qui se lit d’une traite, et qui donne envie d’aimer et d’élever “ces petits êtres qui, en grandissant, viendront élargir ma vie”.
Aleteia : vous espérez que Naissance d’un parent soit accueilli comme une recette, et non comme un guide éducatif. En effet, le lecteur a l’impression de rentrer dans votre tête et de suivre le cours de vos réflexions. Pourquoi avoir opté pour ce style très personnel ?
Martin Steffens : Les méthodes, les guides, les modes d’emploi en matière d’éducation peuvent parfois laisser croire que la relation parent-enfant est maîtrisable, prévisible dès lors qu’on suit correctement les instructions. Nous sommes invités à être plus humbles : un kit de relation à l’autre, cela n’existe pas. On construit ensemble ce qui nous lie. Et ce non-savoir est précieux, car c’est une forme d’attention à l’autre. En même temps, il faut bien une parole qui accompagne l’acte éducatif. J’aime cette idée de recette, de don d’expérience, — d’ailleurs, étymologiquement, une recette, c’est ce que l’on “reçoit”, — qui laisse la liberté à chacun de rajouter son grain de sel. C’est une parole qui se propose sans s’imposer. Et les traits très peu appuyés des illustrations vont dans ce sens.
Oui, il arrive qu’on se trompe dans ses choix éducatifs, mais un enfant n’est pas un QCM à réussir !
Vous parlez de recette, quel est selon vous l’ingrédient indispensable pour élever un enfant ?
Pour moi, ce qui est fondamental, c’est d’abord la structure offerte autour de l’enfant, la fidélité amoureuse des parents. Parfois, mon épouse me demande : “A-t-on bien fait de faire ceci ou cela…”. Et je lui réponds : “Mais on est là, ensemble, c’est ce qui compte !”. Oui, il arrive qu’on se trompe dans ses choix éducatifs, mais un enfant n’est pas un QCM à réussir ! C’est une personne à accompagner dans cette chose très mystérieuse qu’est l’existence, si mystérieuse qu’elle ne cesse, à nous aussi, de nous échapper. La fidélité amoureuse des parents offre, non pas une garantie contre les risques de l’existence, mais un cadre stable pour les vivre.
Vous comparez l’éducation à une coquille d’œuf. Dans quel sens ?
C’est étonnant ! Il n’y a rien de plus fragile qu’une coquille d’œuf dont la fonction est pourtant de protéger ce qu’elle contient. Elle protège, mais sans enfermer. C’est tout l’enjeu de l’accueil de l’enfant : ouvrir ses bras, le prendre dans ses bras, puis les rouvrir pour le laisser aller. Faire en sorte qu’un jour il puisse se passer de ses parents. Tout l’art de l’éducation, et c’est particulièrement fort au moment de l’adolescence quand l’enfant brise cette coquille, c’est de ne pas s’assimiler à la coquille. Certains parents pensent, ça y est, il ne m’aime plus… En réalité, c’est expressément parce qu’il a une grande confiance dans ce qu’on lui a donné qu’il commence à casser cette protection qu’on a dû mettre mais qui n’était pas une fin en soi.
L’éducation, c’est comme une coquille d’œuf. Il n’y a rien de plus fragile et pourtant sa fonction est de protéger ce qu’elle contient.
Le titre Naissance d’un parent suppose que le parent aussi est appelé à grandir, mais dans quelle direction ?
Je pense en fait à deux directions : à la fois, on est amené à grandir, même en tant qu’adulte, à inspirer la confiance, et en même temps, on s’en tire assez joyeusement à être aussi un peu dépassé. Grandir, c’est aussi rapetisser, pour laisser la place à l’enfant qui grandit. C’est dans l’ordre des choses ! Il s’agit de savoir doser pour trouver un juste équilibre, un peu comme si on avait deux jambes : la jambe ferme de l’adulte, qui demeure l’adulte debout, en avant, et l’autre jambe de l’adulte qui cède la place.
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À quel moment peut-on se dire qu’on a “réussi” sa mission d’éducateur ?
Il y a sans doute quelque chose de réussi lorsque son enfant a lui-même envie d’avoir des enfants et d’être éducateur à son tour. Comment Jésus vérifie-t-il sa mission ? Justement par le fait que d’autres sont en mission. Les apôtres ne sont pas seulement convaincus, ils acceptent d’être envoyés de par le monde.
Que faire face à un enfant qui rejette tout ce qui a trait à la religion ?
La transmission de la foi est ce qu’on peut le moins réussir dans l’éducation dans la mesure où elle fait appel à une relation qui se passe dans le secret. La seule réussite consiste à tenir bon, à suggérer sans cesse, à continuer à être des témoins lumineux quand bien même son enfant remettrait tout cela en cause. C’est à ce moment-là que nous sommes amenés à vivre quelque chose du martyre du Christ : il y a une obligation d’annonce (éduquer chrétiennement) mais pas d’obligation de résultat.