L’enseignement catholique se distingue-t-il par l’éducation aux « valeurs » ou par la transmission de la « foi » ? Et si la vie morale n’allait pas sans vie spirituelle ? On connaît les débats qui renaissent régulièrement autour de la question du caractère propre de l’enseignement catholique : quel est ce caractère “propre” évoqué par la loi Debré de 1959 ? Est-ce la mise en pratique des valeurs chrétiennes : sens du partage, accueil de tous y compris des plus fragiles, respect de la personne ? Certes, mais ce serait faire injure à l’enseignement public que de le soupçonner de ne pas partager ces valeurs, communes à toutes les écoles de la République. Ce serait également oublier que les valeurs de la République sont en réalité des préceptes chrétiens sécularisés. Ainsi la reconnaissance des efforts ou du mérite, pour ne parler que d’elle, est une forme moderne de la parabole des talents : la même chance est donnée à chacun, sans distinction d’état, quel qu’ait été son point de départ.
Et la liberté de conscience ?
Ce caractère propre ne serait-il pas plutôt l’adhésion pleine et entière aux vérités de la foi catholique ? Cependant celle-ci ne peut être exigée des chefs d’établissement, professeurs, parents ou élèves, au nom de la liberté de conscience présentée par cette même loi comme indissociable du caractère propre. D’ailleurs l’adhésion à la foi catholique n’est généralement pas la raison prioritaire pour laquelle les parents inscrivent leurs enfants dans une école catholique, ce n’est pas non plus la raison majoritaire pour laquelle les enseignants y postulent. Mais alors peut-on encore parler d’un “caractère”, d’un réel marqueur identifiant, lorsque dans un établissement on peine à trouver en nombre suffisant les acteurs censés le faire exister ? est-ce un caractère essentiel ou une étiquette “autocollante repositionnable” ?
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On connaît ce débat. En revanche, ce que l’on sait moins, c’est que cette controverse est en réalité la traduction et la caisse de résonance d’une question théologique fondamentale. En traitant en amont cette question théologique, on se donne les moyens de tirer au clair nos problèmes d’identité. La question est la suivante : y a-t-il une morale, ou dit autrement un mode de vie qui soit spécifiquement chrétien ?
Faut-il séparer la morale de la spiritualité ?
Une erreur récurrente, soutenue cependant par certains moralistes, consiste à séparer la morale de la spiritualité. D’un côté les normes et préceptes portant sur les comportements : ce sont les vertus morales telles que la justice, la fidélité, l’honnêteté, le respect de la parole donnée. On peut considérer à juste titre que ces normes sont exigibles : on attend par exemple d’un éducateur qu’il se tienne à ses engagements. De l’autre côté, la spiritualité, le mouvement de l’âme qui nous tourne vers le Christ et nous inspire la foi, l’amour de Dieu et du prochain, le désir du salut, et la vie sacramentelle. Elle ne peut de toute évidence être imposée.
En ménageant la chèvre et le chou, on aboutit à nier l’existence d’un mode de vie spécifiquement chrétien, et on justifie l’effacement de la transmission de la foi.
À quoi aboutit cette distinction ? En apparence elle fait plaisir à tout le monde, non-chrétiens comme chrétiens : les valeurs chrétiennes sont considérées comme étant d’abord pleinement humaines, universelles, et ne sont donc pas la chasse gardée des baptisés catholiques portés sur le mysticisme. Et on accorde aux catholiques fervents le droit de penser qu’ils mènent leur vie, ou leur enseignement, “à la lumière de l’Évangile”, on ne voit pas qui cela pourrait déranger. En ménageant la chèvre et le chou, on aboutit à nier l’existence d’un mode de vie spécifiquement chrétien, et on justifie l’effacement de la transmission de la foi.
Une séparation incompréhensible
En réalité cette séparation rend totalement incompréhensible la nature même de notre vie morale : nos engagements profonds, comme nos choix quotidiens. Au fond, il ne s’agit pas de séparer la morale humaniste de la spiritualité pour les vendre ensuite en pièces détachées. Il existe bien une morale spécifiquement chrétienne, nourrie par la foi, l’espérance et la charité, nourrie par une vision théologique du corps, des fins dernières, et de l’anthropologie. L’attachement au Christ et à l’Église engage toute la personne, et se réalise pleinement dans nos actes concrets : l’enfant qu’il nous est donné de soigner, c’est Jésus lui-même que nous accueillons. Voilà pourquoi l’héroïcité des vertus est la signature des saints : le Christ ne nous demande pas moins que de le suivre jusqu’au don total, et sa croix, qu’il nous invite à porter, n’est pas une vue pour l’esprit.
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À l’inverse, nos décisions petites et grandes ont un impact profond sur notre vie intime, au point de nourrir ou d’affecter notre relation à Dieu et le regard que nous portons sur les autres : elles engagent la personne dans sa totalité. Ce qui définit précisément le chrétien ? Cette rencontre avec Jésus, ce coup porté au cœur par le visage du Christ qui transforme toute une vie, qui porte à faire le bien au-delà du “raisonnable”, qui insuffle le désir brûlant d’amener à Dieu tous ceux qui ne le connaissent pas encore. Voilà son caractère propre.