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Giscard, la fin d’une époque : le catholicisme populaire

Giscard et pape Jean Paul II
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Jean Duchesne - publié le 08/12/20
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Après le concile Vatican II, l’intériorisation de la foi a entraîné un style de vie chrétienne plus radical et engagé — au détriment de la religion de masse. Ceux qui, comme l’ancien président, n’ont pas suivi le mouvement en ont fait une affaire privée, contribuant à la marginalisation du catholicisme.

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Au risque de surprendre, j’oserai me demander si le président Valéry Giscard d’Estaing, qui vient de disparaître, ne serait pas représentatif d’un phénomène dont on parle ces temps-ci pour le consigner dans un passé révolu, à savoir le catholicisme populaire. Bien sûr, un chef de l’État n’est pas un Français moyen, et d’autant moins que le « d’Estaing » que son père a obtenu d’ajouter au nom familial lui donne des airs aristocratiques. On peut de plus s’interroger sur la conformité à l’enseignement de l’Église d’un homme sous l’autorité duquel l’avortement a été légalisé et le divorce facilité. Mais peut-être y a-t-il lieu de détecter chez lui une privatisation de la foi qui n’est pas sans rapport avec l’érosion de la religiosité de masse.

Un souvenir

Je me permettrai d’évoquer un souvenir personnel. C’était un dimanche matin à New York, à une porte latérale de la cathédrale Saint-Patrick. J’escortais le cardinal Lustiger qui venait de célébrer en français dans une petite chapelle pendant une série de contacts officieux avec des rabbins orthodoxes. Au moment où nous repartions, une voiture s’arrête devant nous et en sort l’ancien président. Exclamations et cordiales retrouvailles inattendues de deux membres de l’Académie française. Valéry Giscard d’Estaing était lui aussi de passage (je ne sais plus pour quelle raison), seul ; il résidait au consulat de France et s’était fait conduire pour la messe dominicale.


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Rien d’extérieur ni de public ne le poussait à remplir cette obligation. Sa motivation ne pouvait être que privée, si ce n’est intime. Ce comportement est en un sens exemplaire. Il est caractéristique de l’intériorisation de la foi qui a sans doute été un des événements majeurs de l’histoire de l’Église au XXe siècle, avec des conséquences aussi bien positives et prometteuses que négatives et problématiques. Essayons de développer ce paradoxe.

Les progrès et leur envers

Après la crise moderniste, le catholicisme s’est sans doute moins raidi qu’on ne le dit. Des recherches ont été menées dans les domaines de l’exégèse et de la théologie. Après la Seconde Guerre mondiale, les fidèles ont découvert la Bible (jusque-là abandonnée aux protestants), la pensée s’est ouverte à la philosophie contemporaine ; on a commencé à parler de spiritualité et à recentrer la liturgie sur ses sources. Tout cela a été avalisé et amplifié par Vatican II. La vie chrétienne s’en est trouvée approfondie, enrichie et refaçonnée. L’ennui est que tout le monde n’a pas pu assimiler tous ces progrès d’un seul coup.


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L’accent mis sur l’authenticité, la sincérité et l’engagement a embarrassé pas mal de braves gens, incapables d’un christianisme intense pour des raisons très diverses. L’anticléricalisme n’en est pas une : il existe depuis plus de deux siècles et a été bien plus virulent. Il y a surtout eu des difficultés à assimiler toutes les exigences, aussi bien intellectuelles que morales, de la foi — sans pour autant la perdre complètement. Il y a encore la sécurité et le confort croissants. Ils favorisent l’individualisme et l’introspection, tout en refoulant les inquiétudes métaphysiques par l’offre d’un choix prodigieux d’investissements libres dans des activités profanes, sociales et « culturelles ». C’est une concurrence qui nuit à la pratique religieuse.

Intériorisation de la foi : entre radicalisation et repli

Le résultat a été deux types contrastés d’intériorisation, qui ont tous deux contribué à une marginalisation du catholicisme dans l’espace public. D’un côté, ceux qui ont pu assimiler les avancées polarisées autour du concile ont tendu à un engagement radical, dans des formes permettant d’exprimer ou confirmer le ressenti. De l’autre, ceux qui n’ont pas suivi sont devenus des pratiquants de plus en plus intermittents, livrés à eux-mêmes, avec des doutes souvent mêlés de nostalgie, et trop lancinants pour verser dans l’incroyance convaincue.

Le « catho » sans complexe sait devoir témoigner, aussi bien au sein de l’Église qu’au dehors, tandis que l’indécis qui n’a sa place nulle part se tait prudemment.

Le premier modèle de privatisation débouche sur une appartenance expressionniste à une minorité critique mais « créative », dans un style soit conquérant, soit défensif, selon les circonstances. Le second engendre à l’inverse une discrétion qui est analysée comme une attitude résiduelle et négligeable, puisque bien peu en affleure sur les radars médiatiques ou sociologiques. Le « catho » sans complexe sait devoir témoigner, aussi bien au sein de l’Église qu’au dehors, tandis que l’indécis qui n’a sa place nulle part se tait prudemment. Son Credo personnel est trop global ou trop approximatif pour le rendre bavard.

La religion populaire

Ce qui creuse le fossé est que la transmission de la foi n’est plus assurée que par les plus déterminés. Quand on prend ses distances par rapport à ce qu’on a appris au catéchisme, y envoyer ses enfants n’est pas une priorité, même si l’on reste conscient d’y avoir été éveillé à bien des vérités. Le défi à relever est assurément de retrouver le respect de la religion populaire. Il n’y a rien à en craindre : elle se nourrit de formes qui émeuvent — pas du tout forcément celles du passé –, sans être capable de théoriser. Elle n’a donc rien d’idéologique. Elle n’a rien à voir non plus avec le populisme : elle ne se révolte pas contre l’élite qui impose son style dans les communautés. Cette sensibilité largement irraisonnée se trouve simplement mal à l’aise dans une vie ecclésiale rénovée et prenante, sans être tentée de s’y investir.



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Ceci ne signifie nullement que la foi pourrait être périphérique dans la vie, mais que les vocations sont diverses. Les prêtres, les consacrés et certains laïcs sont impliqués à temps plein. Les autres le sont à des degrés quantitativement (mais pas qualitativement) moindres et moins régulièrement, jusqu’à la participation occasionnelle. Ce sont pourtant eux qui constituent « le peuple » sans lequel l’Église n’est qu’une secte. Il importe qu’ils ne soient pas rebutés par l’expressionnisme qui caractérise les communautés les plus dynamiques et qui ne correspond ni à leurs moyens ni à leurs besoins. Les grâces reçues ne sont pas à tout coup accompagnées de celle de les partager sur un mode démonstratif. 

Les brebis perdues

L’information sur le christianisme est également nécessaire. Mais il n’est pas évident que l’ignorance soit aujourd’hui pire que du temps de la foi massivement reçue en bloc sans filtre personnel. Cependant, comment restaurer des réflexes quand les conformismes (toujours aussi puissants) ont changé ? Beaucoup se joue probablement dans la « pastorale » du baptême, du mariage, des obsèques, et aussi dans la prédication. Les prêtres (et laïcs) qui en sont chargés font un travail admirable dans l’accueil des survivances de l’élusive religion populaire. Le discernement est délicat. L’Évangile dit à la fois : « Qui n’est pas pour nous est contre nous » (Lc 11, 23 et Mt 13, 20) et : « Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Lc 9, 50 et Mc 9, 40). L’arbitrage pourrait être rendu par la consigne de Jésus à ses disciples qui partent en mission. Il les envoie « vers les brebis perdues » — celles d’Israël et aussi, peut-on croire et espérer, celles qui n’ont pas réussi à suivre la marche de l’Église depuis un bon demi-siècle.


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