Rome, 218. Cela fait quelques heures que Calixte dicte à son scribe son projet de jeûne des Quatre-Temps. L’idée lui est venu au petit matin, avant même le lever du soleil. Il a tiré le pauvre Etienne de son lit pour lui faire prendre note. Mais alors que les idées deviennent plus fluides, voilà qu’on frappe avec insistance à la porte. Calixte tente d’abord de l’ignorer mais on continue de frapper et d’appeler le pontife. Grommelant dans sa barbe, ce dernier finit par laisser entrer le serviteur.
- Saint père, dit ce dernier à bout de souffle. Venez vite ! On demande audience d’urgence.
Calixte prend une profonde inspiration pour contenir son agacement. Ses aides du palais épiscopal ont la fâcheuse tendance à le solliciter pour des affaires futiles. De quoi peut-il s’agir cette fois-ci ? Il se résout à suivre le serviteur jusqu’à l'amphithéâtre. Quelques évêques ainsi qu’une dizaine de diacres sont rassemblés, et au milieu d’eux, se trouve un homme d’une trentaine d’années.
- C’est donc toi, l’élément perturbateur, dit Calixte en s’approchant et prenant place sur un siège de bois. Qui es-tu pour semer le trouble chez les serviteurs de Dieu ?
- Saint pontife, s'exclame l’homme en tombant à genoux, je me nomme Aurélius Decimus. Je suis venu servir le Christ.
- N’écoutez pas ces sornettes, saint père ! s’exclame l’un des diacres, en pointant un doigt accusateur en direction d’Aurélius. C’est homme n’est qu’un païen qui cherche à infiltrer notre Église !
Le reste de l’assemblée n’hésite pas à exprimer son mécontentement. Faisant abstractions du brouhaha, Calixte observe l’accusé de plus près. Il n’a ni barbe, ni cheveux, porte une simple tunique et n’a pas de sandales à ses pieds. Son corps est couvert de vieilles cicatrices, y compris sur son visage.
- D’où te viennent ces blessures ? demande alors Calixte.
- Il y a peu, j’étais encore légionnaire au service de l’empereur, répond Aurélius en baissant la tête.
- Il a voulu nous dissimuler son identité, reprennent les diacres de plus belle. Mais quelqu’un l’a reconnu. Ce n’est que pour cela qu’il avoue. Jetons le dehors !
Las des commentaires de l’assemblée, Calixte réclame le silence. Devant le regard noir du saint pontife, les bavards se taisent bien vite. Tous savent qu’il n’est pas sage d’attiser la colère du pape.
- Est-il vrai que tu as menti pour entrer ici ? dit Calixte en se tournant vers l’accusé.
- Je n’ai pas menti, affirme Aurélius, la main sur le cœur et les yeux criants de vérité. J’ai dit être venu pour servir le Christ, et c’est la vérité.
Devant cette déclaration, l’assemblée s’égosille une fois de plus. Comment un serviteur de l’empire qui les persécute depuis toujours, qui a sans doute le sang de leurs frères et sœurs sur les mains, peut-il prétendre vouloir servir le Seigneur ? Il mérite la mort pour cet affront, ainsi que tous les supplices qu’il a infligés aux chrétiens. Combien en a-t-il tué ? Combien d’églises a-t-il impunément brûlées ?
- Il suffit !
La voix de Calixte retentit et est vite suivie d’un silence de mort. Le pape s’est levé de son siège et jette à présent un regard brûlant de colère sur son entourage.
- Qui êtes-vous pour porter un jugement sur cet homme ? Lequel d’entre vous est-il assez audacieux pour se déclarer saint devant cette assemblée ? Honte à vous, pécheurs qui vous croyez dignes de chasser qui que ce soit de la maison de Dieu !
- Mais saint père, proteste-t-on, nos fautes ne sont pas aussi graves…
- Existe-t-il une faute que Dieu soit incapable de pardonner ? continue Calixte. Voilà une bien piètre opinion de la miséricorde divine. Le Christ lui-même ne jetait pas de pierre aux pénitents. Et vous souhaitez me voir le faire ? Moi, pécheur parmi les pécheurs ?
De vieux souvenirs lui viennent à l’esprit : ces années passées au bagne de Sardaigne, à payer pour avoir perdu l’argent de son maître et perturbé la cérémonie d’une synagogue... La honte de ses fautes passées le font rougir et les larmes lui montent aux yeux. D’un prière intérieure, il supplie le Seigneur de l’aider à trouver les mots justes. Il inspire profondément pour se ressaisir avant de pointer Aurélius du doigt.
- Cet homme est venu non seulement avouer ses fautes, mais se faire serviteur de Dieu. C’est pour ceux comme lui, que le Christ est mort en croix. C’est pour ceux comme lui, que l'Église existe. Je vous le dis, je ne le chasserai pas.
Calixte descend alors de son siège et rejoint Aurélius toujours à genoux. Il le revêt de son manteau et le relève.
- Fils pénitent, soit le bienvenu dans la maison de ton père.