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Fratelli tutti : la voie prophétique de la “philia”

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Henri Hude - publié le 12/10/20
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Prophétiquement, l’encyclique “Fratelli tutti” place l’amitié entre frères et nations, la “philia”, au-dessus de la liberté et de l’égalité. Le philosophe Henri Hude, qui vient de publier « Pour surmonter la crise de l’éducation » (Mame), montre comme le pape François propose de faire de cette “philia” une nouvelle clé de voûte à la civilisation globale humaniste, en lieu et place de la liberté d’autonomie radicale. Quand nous, Français, lisons ou entendons le mot « fraternité », le sens qui nous vient immédiatement à l’esprit est fortement associé à la philosophie des Lumières, reflétée dans notre devise nationale. C’est pourquoi, face à l’encyclique Fratelli tutti, des interprétations erronées se forment dans nos esprits, et deux réactions automatiques dans nos volonté ou sensibilités : à gauche, celle de ceux qui se réjouissent sans motif ; à droite, celle de ceux qui s’alarment sans raison. Car quel est le titre de l’encyclique ? Non pas simplement « sur la fraternité », mais « sur la fraternité ET l’amitié sociale ». Le second terme (défini au n. 99) est essentiel pour éviter tout contresens. 

La fraternité, c’est d’abord l’amitié sociale

Cette encyclique est adressée en priorité aux « hommes de bonne volonté », et c’est pourquoi la « fraternité » dont elle parle est d’abord d’ordre naturel. La « fraternité » en question n’est pas d’abord celle des enfants du Père céleste, devenus enfants de Dieu dans le Christ , et bien moins encore l’affectio societatis liant les membres d’associations philosophiques réputées progressistes. La « fraternité », c’est ici premièrement l’amitié sociale elle-même ; deuxièmement cette même amitié en tant qu’elle se développe d’abord dans la communauté familiale ; Et enfin cette amitié sociale et familiale en tant qu’elle s’enracine dans le flux de la vie, dans la continuité des générations. Mais, c’est le quatrième point, parce que le genre humain forme une grande famille, aussi physiquement, biologiquement, le sentiment de la fraternité peut devenir universel, alors que l’amitié sociale reste forcément plus limitée aux sphères plus concrètes de compagnonnage social. Les deux forment un couple de valeurs en tension mais solidaires (n. 142).


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Ce que les Grecs appelaient la philia

Les deux forment ainsi ce que les Anciens grecs appelaient philia (cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, livres 8 et 9). Autrement dit, la « fraternité » est essentiellement le lien social de l’homme, qui est central dans sa nature. Sa nature, c’est son dynamisme orienté vers son but essentiel, qui est justement la philia, forme centrale de la vie bonne et heureuse, pour l’homme par nature animal non seulement raisonnable (« ayant le logos »), mais social, civique, politique. La vie bonne et heureuse, c’est la vie d’amitié authentique. Cette amitié politique possède un noyau éthique central, si bien que l’amitié constitue aussi la matrice de toutes les vertus morales, en particulier de la justice, absolument impossible sans un minimum de fraternité. 


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Cette vertu d’amitié est susceptible d’un élargissement indéfini, qui tend à l’établissement d’une harmonie universelle entre tous les hommes, tous les êtres en dessous de lui et même avec Dieu (encore qu’Aristote en doute, parce que Dieu, dit-il, est si différent de nous). La culture de l’amitié civique est le premier commandement de notre loi naturelle et rien mieux que la philia ne permet autant de raviver notre intelligence de cette notion de « loi naturelle », indispensable à toute morale non névrosante et à toute conception non asociale de l’autonomie. 

Le fondement naturel de l’idéal surnaturel

Le Pape explique quel doit être le fondement naturel de cet idéal surnaturel, que ses prédécesseurs ont nommé « civilisation de l’amour » (n. 183). Sans ce fondement naturel et raisonnable, l’idéal chrétien d’amour universel se dégraderait en moralisme abstrait, ou en utopie. Mais, à partir du n. 164, donc dans la seconde moitié, la notion de charité, c’est-à-dire de cette amitié surnaturelle fondée sur la foi au Christ, jusqu’alors sous-jacente, s’introduit progressivement et s’impose, sans que son entrée en scène se trouve signalée par le système des titres ou sous-titres (n. 26, 100, 127, 141, 205).

Le caractère prophétique de l’encyclique consiste à placer au-dessus de la liberté et de l’égalité cette amitié entre frères et entre nations, dans l’unique « famille humaine »

Ainsi fournit-il une nouvelle clé de voûte à l’édifice entier de la civilisation globale humaniste, qui aujourd’hui menace ruine, parce que sa clé de voûte actuelle, la liberté d’autonomie radicale, est devenue friable, se séparant toujours plus des valeurs transcendantales du vrai et du bien. 

La condition de la paix universelle

Cette encyclique, faisant de l’amitié un concept absolument déterminant, permet d’apercevoir la solution de nombreux problèmes-clés, notamment autour des oppositions naturel/surnaturel ; temporel/spirituel ; universalité humaine/enracinement historique ; éthique/politique ; identité catholique/dialogue interreligieux. 

Il importe que cette encyclique ne soit pas réduite, inintelligemment, par réflexe obtus ou par malveillance, à un tas de banalités vaguement progressistes et politiquement correctes (ou incorrectes). Car cette encyclique est plus qu’une encyclique ordinaire, tout comme François d’Assise était plus qu’un saint parmi d’autres. Sa bonne intelligence conditionne la paix universelle, l’avenir d’une civilisation humaniste, la préservation de la liberté religieuse et le règne du Christ.  

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