En soutenant que sa foi catholique resterait strictement privée tout en étant conforme au libéralisme, JFK a inauguré la grande division du catholicisme contemporain.
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Dans les années 1960 et au début de 1970, deux grandes photos trônaient dans le salon de ma famille irlandaise : le Pape Paul VI et John F. Kennedy. L’un était le chef de l’Église catholique ; l’autre, un catholique devenu, contre toute attente, président des États-Unis, une nation fondée et, jusque-là, gouvernée par les protestants.
Kennedy a réalisé ce qui semblait impossible à beaucoup de catholiques américains : être accepté par une nation majoritairement protestante qui, dès le tout début de l’aventure américaine, s’était méfiée de ces catholiques qui font preuve de loyauté envers Rome et croient en des principes religieux en contradiction avec le credo américain.
De nos jours, Kennedy est mieux connu pour avoir ouvert la voie à l’acceptabilité du fait religieux, à laquelle se sont ralliés aujourd’hui de nombreux hommes politiques, intellectuels et citoyens, catholiques et démocrates, qui soutiennent que le catholicisme est un ensemble de croyances privées qui ne devraient pas être prises en compte ou promues publiquement en tant que politique.
Les catholiques de l’aile gauche politique s’appuient sur les arguments que Kennedy avait invoqués dans son discours à l’Association Greater Houston ministérielle, le 12 Septembre 1960, pendant sa course à la présidence (…).
Dans son célèbre discours de Houston, Kennedy a voulu assurer à ses concitoyens protestants qu’il n’y avait aucun conflit entre sa foi et sa citoyenneté, entre sa religion et son serment :
« Je crois en une Amérique où la séparation de l’Église et de l’État est absolue, une Amérique où aucun prélat catholique ne saurait dicter au Président (fût-il catholique) comment agir, et où aucun pasteur protestant ne saurait dire à ses paroissiens pour qui voter. Une Amérique où aucune église ou école religieuse ne saurait recevoir les deniers de l’État ou des faveurs d’ordre politique. Une Amérique où une personne peut exercer des fonctions officielles même si sa religion diffère de celle du président qui le nomme ou des suffrages qui l’élisent. [….] Je crois en un président dont les opinions religieuses sont du domaine de sa vie privée, ne doivent être ni imposées par lui à la nation, ni lui être imposées par la nation comme condition préalable à l’exercice de son mandat [….]
Quelle que soit la question qui me sera présentée dans l’exercice de mes fonctions de président si je suis élu – contrôle des naissances, divorce, censure, jeux d’argent et de hasard, ou tout autre sujet- je prendrai ma décision selon mon jugement, conformément à ce que ma conscience me dicte comme étant de l’intérêt national, sans tenir compte des pressions ou contraintes externes d’ordre religieux. Et aucun pouvoir ni menace de sanction ne saurait me faire changer d’avis ».
Kennedy a réalisé le rêve de sa famille et d’une multitude de catholiques, longtemps regardés avec méfiance par leurs compatriotes protestants –en conséquence de sa promesse que sa religion ne sortirait pas du domaine de sa vie privée et qu’elle n’aurait aucune influence sur son exercice du pouvoir en tant que président.
Les catholiques avaient enfin un président, mais au prix d’une promesse que son catholicisme serait sans conséquence. (…)
La position de Kennedy selon laquelle le catholicisme, à des fins politiques, doit être considéré uniquement comme une affaire de conviction personnelle, est devenue la principale justification des hommes politiques démocrates d’aujourd’hui, qui acceptent sans broncher la protection juridique de l’avortement, la recherche sur les cellules souches et le mandat HHS, et s’opposent aux tickets-repas pour les écoles paroissiales, entre autres.
Ils considèrent le catholicisme comme une simple opinion personnelle, et expriment ainsi une vision totalement fidéiste d’une foi qui (ils doivent sûrement le savoir) se réclame autant de la raison que d’une Révélation.
Mais c’est Kennedy aussi qui, dans un autre discours, a invoqué un argument, aujourd’hui adopté par de nombreux politiciens catholiques républicains, intellectuels et citoyens, qui soulignent la totale compatibilité des principes catholiques avec les principes fondateurs de l’Amérique.
Dans son discours d’ouverture, prononcé à l’Université de Notre-Dame en 1950, Kennedy – s’adressant cette fois-ci non pas à un public protestant méfiant, voire hostile, comme pendant la course à la présidence, mais plutôt à un public admiratif de compatriotes catholiques maintenant qu’il était membre du Congrès – a développé une position qui est celle aujourd’hui de nombreux catholiques conservateurs, et d’hommes politiques de Paul Ryan à des intellectuels comme Michael Novak.
Dans ce discours, Kennedy a exprimé sa crainte – qu’il croyait partagée par son public – « d’un grand Léviathan, qui absorberait tout – L’État ». En réponse, il a fait valoir qu’ « il est vital que nous fassions en sorte de maintenir l’autorité du peuple, de l’individu, sur l’État », et que « chaque homme doit être protégé en faisant ce qu’il croit – contre l’influence de l’autorité, de la coutume et de l’opinion ».
Citant Charles Beard (curieusement, pas Jefferson), Kennedy a indiqué trois prémisses qui ont inspiré la Révolution américaine : « – chaque individu est doté par Dieu de certains droits inaliénables ; – les gouvernements existent pour protéger ces droits ; -et quand un gouvernement supprime ces droits, les gens doivent se révolter. » Kennedy a ensuite ajouté : « C’est précisément la philosophie qui vous a été enseignée à Notre-Dame ».
Kennedy a dit cela en soulignant que « l’allégeance des catholiques au Royaume de Dieu interdit l’obéissance aveugle à l’État en tant qu’unité organique ». Autrement dit, la foi catholique en la Cité de Dieu limite nécessairement ce qui peut être entrepris par la Cité des hommes.
Dans son discours de 1950, […] Kennedy fait valoir que la croyance catholique en une sphère politique distincte et limitée a en fait parfaitement coïncidé avec la croyance libérale des Lumières en un gouvernement limité. (…)
Le catholicisme américain aujourd’hui (…) est divisé entre ces deux versions du catholicisme en Amérique. La gauche et la droite d’aujourd’hui ont chacune adopté un aspect des positions de Kennedy.
La gauche cherche à isoler le catholicisme dans la sphère de la croyance privée, et tandis que souvent ses partisans se réclament personnellement de la foi catholique, ils refusent que cela puisse être pris en compte en tant que base pour gouverner.
La droite cherche à fondre, rendre compatibles le catholicisme et le credo américain, sur la base d’une compréhension fondamentalement semblable de la dignité humaine (en raison de laquelle, par conséquent, on devrait s’opposer à l’avortement) et d’un gouvernement limité.
Ces deux positions visent un objectif commun : faire en sorte que le catholicisme soit compatible avec l’Amérique et « chez soi » en Amérique. La gauche transforme le catholicisme en un protestantisme libéral, une conviction personnelle d’ordre privé, qui ne devrait pas interférer dans la vie de nos concitoyens, et insiste bien sur le fait que des questions comme l’avortement ne peuvent pas être influencées par la foi catholique, mais doivent être invoquées haut et fort lorsqu’il s’agit d’inégalité économique.
La droite transforme le catholicisme en un protestantisme conservateur – un ensemble de croyances teintées de théologie qui s’avèrent conformes au libéralisme des Lumières, avec son insistance sur le gouvernement limité sur la base du contrat social et d’autonomie (et donc niant que l’homme est par nature un animal politique), son opposition continuelle à l’avortement, la mise en place d’un système économique avare et une attitude internationale belliqueuse (et un silence dans chaque cas sur les contradictions avec l’enseignement social catholique).
La gauche accuse la droite de ne pas se soucier des pauvres; la droite accuse la gauche de ne pas se soucier de l’enfant à naître. L’une et l’autre le font au nom d’un catholicisme authentique, et les deux ont en partie raison, sont partiellement catholiques, et entièrement américaines.
Dans ses deux discours, sous des formes différentes, l’un prononcé à Houston, l’autre à Notre Dame – Kennedy a énoncé les deux principaux moyens dont les catholiques contemporains disposent pour se sentir chez eux en Amérique. Ce faisant, il a inauguré la grande division du catholicisme contemporain qui résulterait moins d’une division inhérente au catholicisme lui-même, mais plutôt de l’effort des catholiques pour adapter leur religion à des positions politiques dominantes de leur régime. Pour que le catholicisme soit entièrement compatible avec l’Amérique, il faudrait que le catholicisme américain soit incompatible avec lui-même.
Kennedy a remporté la Maison Blanche et inauguré Camelot, mais perdu le catholicisme pour les Américains. La question est maintenant de savoir si ce qui a été mis en pièces peut être recollé. Faire les premiers pas en ce sens requiert des catholiques qu’ils soient prêts à se sentir moins chez eux en Amérique, en s’abstenant de proclamer à la fois que leur foi est une conviction simplement personnelle et que le catholicisme est fondamentalement compatible avec le libéralisme des Lumières.
Ce faisant, nous perdrons peut-être quelques campagnes politiques, mais pourrons unifier l’Eglise et guérir nos âmes, et peut-être même pourrons-nous un jour reconquérir l’âme de l’Amérique non pas en nous y conformant, mais en la transformant..
*L’auteur : Patrick J. Deneen est professeur de sciences politiques à l’Université Notre-Dame (Etats-Unis)
Traduit de l’édition américaine de Aleteia par Elisabeth de Lavigne.