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"Qu’est-ce qu’il nous semblait beau et fascinant, ce pape jeune et sportif !", se souvient une Italienne, étudiante à Rome au moment de l’élection de Jean Paul II. D’octobre 1978 à mai 1981, ce pape élu à 58 ans crève l’écran et donne au Vatican un souffle de fraîcheur inattendu. Avec une énergie et un charisme hérités de son expérience du théâtre, le pontife polonais bouleverse les codes de la papauté, quitte à choquer certains de ses collaborateurs, et se fait rapidement “adopter” par les Romains comme par les millions de fidèles venus l’écouter au fil de ses premiers voyages. Mais son pontificat bascule dans le tragique avec l’attentat du 13 mai 1981. Le Pape survivra aux tirs reçus sur la place Saint-Pierre, mais il est probable que ce choc ait marqué d’une façon définitive le corps et le psychisme de Jean Paul II.
Dès lors, la santé du Pape commence à faire l’objet de nombreuses spéculations, et le monde prend connaissance des maux et des fragilités d’un corps désormais souffrant. Hospitalisé une première fois du 13 mai au 3 juin 1981 au Gemelli, le Pape subit une lourde opération de six heures, se faisant retirer 55 centimètres d’intestin. Il sera à nouveau hospitalisé, plus longuement encore, du 20 juin au 14 août, pour 56 jours qui constituent le record de durée d’une hospitalisation papale. Outre la prise en charge d’une infection liée aux conditions d’urgence de la transfusion sanguine reçue après l’attentat, l’enjeu de cette seconde hospitalisation est aussi de rétablir ses fonctions digestives. Durant près d’un quart de siècle, la santé du pape polonais sera scrutée par la presse internationale d’une façon parfois humiliante et fera l’objet de nombreuses spéculations face auxquelles son porte-parole Joaquin Navarro-Valls, à la fois journaliste et médecin, opposera une communication très filtrée.
Entre souffrance physique et (sur)exposition médiatique
La dégradation de l’état de santé du pontife devient de plus en plus évidente à partir des années 1990, mais le pape polonais, qui intègre pleinement sa maladie dans son magistère moral, fera preuve jusqu’à la fin de sa vie d’une étonnante force de caractère et d’un humour à toute épreuve. Ironisant sur la couverture médiatique de ses hospitalisations successives, il alla jusqu’à confier à son entourage que quand il avait besoin de prendre des nouvelles de sa santé, il lui suffisait de “lire les journaux” ! Reste que pour un homme aussi attaché au soin de son corps et à son autonomie physique, l’exposition de ses fragilités en mondovision fut certainement très humiliante. Mais Jean Paul II a littéralement porté la croix d’un corps douloureux, poursuivant ses activités et ses voyages au-delà des capacités normales d’un homme affaibli. Dans le don radical de sa vie, en poussant son corps jusqu’à des limites extrêmes de fatigue et de douleur, “l’homme en blanc” a ainsi assumé une forme de “martyre blanc”.
En 2023, l’ambassadeur de Hongrie près le Saint-Siège, Eduard Habsburg, faisait appel à cette notion au sujet du cardinal Mindszenty, ancien archevêque d'Esztergom-Budapest décédé en 1975 en exil après avoir été objet de tortures lors de sa captivité dans les années 1940 et 1950, durant la période la plus dure du régime communiste. "Les circonstances de son décès pourraient entrer en ligne de compte pour sa béatification, car un document datant de sa captivité a montré qu’il avait des problèmes cardiaques liés aux mauvais traitements reçus. Ces données peuvent donc être retenues pour un ‘martyre blanc’, un don de sa vie jusqu’à la mort. Même s’il n’est pas mort en captivité, son cœur était usé à cause de la prison", expliquait le diplomate, interrogé par I.Media dans le contexte du voyage de François en Hongrie.
L’union avec la croix du Christ
Ce critère a-t-il été retenu dans le procès en béatification de Jean Paul II ? La notion de “martyre blanc” n’existe pas formellement dans les dossiers étudiés au sein du dicastère pour les Causes des saints, indique une source interne. Cependant, la dimension du martyre demeure omniprésente dans la vie du pontife polonais… y compris celle, en réalité, du “martyre rouge”, puisque son sang a très concrètement coulé, massivement. Dans la dernière décennie du pontificat de Jean Paul II, la souffrance évidente du Pape a suscité un certain malaise, certaines personnalités publiques le poussant ouvertement à se retirer. Mais il engendra aussi de l’admiration et une forme d’identification, notamment parmi les personnes âgées malades et handicapées. "Jean Paul II nous montre, à nous, les malades, que notre vie garde un sens, une dignité, que nous pouvons encore assumer des responsabilités et témoigner de notre foi", nous confiait ainsi, en janvier 2005, un curé de paroisse français atteint par une leucémie.
Bien que le martyre blanc ne soit pas reconnu comme une catégorie officielle d’un point de vue canonique, il demeure donc intéressant de relire cette vie de Jean Paul II et son rapport à la souffrance physique comme le signe d’un don radical et d’un témoignage de vie - ce qui rejoint le sens étymologique du mot “martyr” - qui l’a naturellement conduit vers la sainteté. "Les martyrs blancs sont ceux qui ont vécu leur vie totalement dévoués à Dieu, unis complètement à lui, et ont accepté et enduré d’énormes souffrances tout en les offrant à Dieu, en union avec la croix du Christ", indiquait le journal britannique Catholic Herald en 2015. La vie du pontife polonais semble bien répondre à cette définition.