Alors que la transmission de la foi demeure un sujet essentiel pour nombre de croyants, Adrien Candiard, frère dominicain, a publié en mars son premier roman “Maman voudrait que je croie en Dieu” dans lequel il espère contribuer à faire découvrir aux adolescents leur vie intérieure et aux parents le vrai sens de l’éducation : permettre aux jeunes d’avoir une relation libre avec Dieu. Entretien. Campagne de soutien 2025
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Connu pour ses livres de spiritualité, le dominicain Adrien Candiard s’essaye désormais au genre romanesque. En ce mois de mars, il publie aux éditions du Cerf une fiction écrite pour les adolescents, Maman voudrait que je croie en Dieu. Pour leur faire découvrir leur vie intérieure. Et à leurs parents le vrai sens de l’éducation : permettre aux jeunes d’avoir une relation libre avec Dieu. Le lecteur suit le narrateur, Guillaume, en classe de seconde, envoyé à une retraite de confirmation par sa mère, toute soucieuse de lui transmettre ce qui la fait vivre. Jusqu’à la libre décision de ce fils aux tourments de son âge, le livre pose les questions intéressantes de la place de l’éducateur dans la transmission de la foi et de la difficile place de la liberté. "Je crois qu’il est nécessaire d’aider les jeunes à prendre conscience qu’ils ont déjà une vie intérieure et que c’est elle qui compte et non un univers lointain que l’on peut plaquer sur leur existence", explique-t-il à Aleteia. "Nous avons réellement des choses à leur apporter, mais cela ne peut être utile que si l’on est à leur hauteur. Il faut les aider à prendre leur vie au sérieux en la prenant nous-même au sérieux."
Aleteia : Vous dédiez votre roman à votre mère, en ajoutant quelle "n’a d’ailleurs jamais spécialement tenu à ce que je croie en Dieu". Comment avez-vous vous-même reçu la foi ?
Adrien Candiard : J’ai eu des parents représentatifs de la société française, qui avaient reçu une éducation catholique et qui l’ont gentiment laissée tomber, croyant modérément et ne pratiquant pas du tout. En revanche, je suis passé avant l’effondrement du catéchisme. Ça m’a bien plu, j’ai fait ma première communion, on m’a dit d’aller à la messe et j’y suis allé. J’ai expérimenté que le contact de Jésus-Christ était vivifiant. J’ai été nourri à l’aumônerie du collège puis du lycée, mes parents comprenant mon désir sans fort enthousiasme.
J’ai préféré raconter une histoire plutôt que d’essayer de donner des leçons.
Pourquoi être passé de l’essai de spiritualité au roman ? Que permet le style romanesque ?
Pour parler aux adolescents, lecteurs que je vise. Ils lisent peu, surtout des essais ! Le roman est donc plus approprié, d’autant plus que je voulais parler d’une tension. Comment faire de la foi une chose personnelle chez un enfant ? J’ai préféré raconter une histoire plutôt que d’essayer de donner des leçons. Au fond, je ne sais pas qu’en penser, je ne défends pas une idée mais je me mets à la hauteur d’un adolescent, Guillaume.
Au fond, le livre s’adresse-t-il aux jeunes ou à leurs éducateurs ?
Maman voudrait que je croie en Dieu est d’abord écrit pour pouvoir être lu par des adolescents, avec des efforts de construction et de vocabulaire. Je l’ai fait relire par plusieurs jeunes : quand ils butaient sur un mot, je l’enlevais. J’ai cherché à ne pas singer le langage ou les références adolescentes – de toute façon je n’y arrive pas ! – et j’ai renoncé à tout effet de mode. Les façons de parler, les références musicales… sont déjà dépassées quand elles arrivent jusqu’à moi. J’ai simplement évité de « parler trop vieux ». Ce n’est pas un essai déguisé. Il est aussi pour les éducateurs, évidemment. Mon rêve le plus fou ? Que de la lecture naissent des discussions pour se mettre à hauteur d’adolescent.
La vie spirituelle n’a pas d’âge.
Qu’est-ce qui vous semble le plus difficile lorsque l’on transmet la foi ?
J’ai une conviction difficile à expliquer… La vie spirituelle n’a pas d’âge : enfants et adolescents ont une vie spirituelle. Or l’adolescence est l’âge complexe de la découverte de sa propre intériorité au milieu d’autres découvertes, avec une grande difficulté à mettre des mots dessus. Si tant est que l’on souhaite en parler. Les jeunes donnent ainsi l’impression qu’ils se moquent de la question de Dieu, que tout cela est très loin. Et les éducateurs désespèrent d’en tirer quelque chose. Je crois, pourtant, qu’il est nécessaire de les aider à prendre conscience qu’ils ont déjà une vie intérieure et que c’est elle qui compte et non un univers lointain que l’on peut plaquer sur leur existence. Nous avons réellement des choses à leur apporter, mais cela ne peut être utile que si l’on est à leur hauteur. Il faut les aider à prendre leur vie au sérieux en la prenant nous-même au sérieux.
Transmettre la foi, est-ce contraindre ? La liberté de conscience est-elle la même pour un enfant et un adulte ?
Il y a ici une tension. Proposer la foi, bien sûr. Contraindre, certainement pas. En revanche, il y a plusieurs manières de proposer la foi, de la transmettre. Quand on envoie son enfant chez le dentiste, par exemple, on le contraint mais parce que l’on croit que c’est pour son bien, il y a une confiance. Toute la difficulté pour l’éducateur est d’entendre chez chacun des jeunes le moment à partir duquel sa conscience commence à être brutalisée, parce qu’il y a une différence entre celui qui préfère simplement regarder la télé et celui pour qui la foi n’a rien à voir avec ce qu’il vit. Je n’ai ni une réponse absolue à la question ni l’expérience suffisante pour trancher. En tous les cas, si la liberté de conscience est absolument première pour tout le monde, un enfant a besoin d’être formé et la tâche de l’éducateur est d’aider à faire des choix libres. Sur la manière de faire, on peut discuter.
À la fin, c’est une affaire entre Dieu et eux.
Comment tenir la ligne de crête entre liberté et transmission ?
Première chose : la liberté est l’objectif de la transmission. Même s’il est difficile de donner à des jeunes des instruments dont ils font ce qu’ils veulent. Parce qu’à la fin, c’est une affaire entre Dieu et eux. Cela n’empêche pas que l’on a beaucoup à leur donner. Et c’est avoir une fausse conception de la liberté que de ne rien vouloir leur dire. Dans tous les domaines de la vie, aider à faire des choix n’a rien à voir avec un désintéressé "fais ce que tu veux mon chéri !".
N’y a-t-il pas une peur ou une déception des adultes face aux choix des jeunes ?
Dans le roman, la mère de Guillaume devrait-elle être déçue par le choix final de son fils ? Bien sûr que non ! Si elle lit le livre, elle devrait être heureuse car son fils a désormais une vie de foi. S’il n’est pas confirmé maintenant, il le sera un jour. Ce n’est pas le moment. Et l’enjeu est bien celui de la confirmation et non de respecter le désir de sa maman. Quelle serait la morale de l’histoire sinon ? Qu’il faut écouter ses parents ? Pour Guillaume, la question de la foi doit s’extraire du bras de fer avec ses parents – habituel et normal – pour n’être qu’entre Dieu et lui. Cela demande en fait un très grand esprit de chasteté, au vrai sens du terme, de n’aimer l’autre que pour lui-même.
En quoi peut-on s’inspirer de la manière de faire du Christ ?
Il y a dans le livre une référence à l’attitude du Christ avec Bartimée (Mc 10, 46 et sq.). Puisqu’il est aveugle, Jésus sait ce dont il a besoin. Pourtant, Jésus le lui demande, il laisse exprimer son désir. Veut-on ce que Dieu veut nous donner ? Dieu fonctionne comme ça avec nous.
L’essentiel est de garder à l’esprit, dans cette aventure de la transmission de la foi, que le résultat ne nous appartient pas.
Donner l’exemple, est-ce la meilleure des éducations ?
Vous remarquerez que, dans le livre, la mère de Guillaume se met la pression à elle-même, elle a besoin de réussir son rôle de mère et d’éducatrice. En fait, la question est un peu dangereuse si donner l’exemple consiste en une pression supplémentaire. L’exemple fonctionne d’autant mieux qu’on ne cherche pas à en être un, sinon l’on risque de se demander sans cesse : "À quoi je ressemble ?". Naturellement, cependant, les jeunes regardent beaucoup plus ce que l’on fait que ce qu’ils n’écoutent ce que l’on dit. Surtout à l’adolescence, âge d’exigence et de recherche d’une certaine cohérence, du rejet de l’hypocrisie. Ce qui a quelque chose d’évangélique d’ailleurs.
Une recette miracle ?
Il me semble que l’essentiel est de garder à l’esprit, dans cette aventure de la transmission de la foi, que le résultat ne nous appartient pas. Pour relâcher la pression, d’abord, parce que nous n’avons pas d’obligation de résultat. Par définition, cela se passe entre Dieu et le jeune. L’influence existe, mais le fond ne nous appartient pas.
Y aura-t-il une suite... ?
À vrai dire, écrire de la fiction est assez différent d’un essai. Il faut créer une situation et des personnages qu’on laisse s’exprimer, prendre le temps de les écouter, les regarder agir sans chercher à les manipuler. Dans Maman voudrait que je croie en Dieu, il est arrivé que Guillaume me surprenne, que je me demande si sa parole n’allait pas rebuter tel ou tel lecteur, mais je l’ai laissé parler. Pour la suite, on verra bien. Si Guillaume a encore des choses à me dire, je le laisserai parler !