Campagne de Carême 2025
Ce contenu est gratuit, comme le sont tous nos articles.
Soutenez-nous par un don déductible de l'impôt sur le revenu et permettez-nous de continuer à toucher des millions de lecteurs.
Vincent Gelot n’a que 36 ans mais il a parcouru tellement de chemins et sillonné tant de routes qu’il semble avoir eu plusieurs vies. Né à Paris, issu d’une famille catholique tout ce qu’il y a de plus classique, pas grand-chose ne destinait ce jeune trentenaire à vivre à des milliers de kilomètres de la France, dans une région défigurée par la guerre. Baroudeur, pèlerin, vagabond ; on ne sait pas très bien comment le définir. Mais son histoire a le goût grisant de la liberté.
"Qui n’est pas capable d’applaudir des deux mains à l’effondrement de son bien n’est pas totalement mûr pour le vagabondage." Sylvain Tesson avait donc raison. Quand Vincent comprend qu’il n’intégrera pas l’École Spéciale militaire de Saint Cyr pour laquelle il avait bûché trois ans de suite comme un damné, un monde s’effondre sous ses pieds. Pour s’ouvrir sur un autre. "Ça a été le coup dur. Pendant trois ans, on se fixe un seul objectif, Saint Cyr. Quand on se loupe, on se retrouve dans la vie civile, perdu à la fac, sans but précis", se souvient-il. Mais Vincent est aussi un rêveur et un poète. Et surtout, il a la foi. C’est ce qui le conduira à mettre le tout dans un baluchon, et à partir. "Je me suis dit que j’allais faire tout ce que je n’aurais pas pu faire si j’avais fait l’armée."
Faire connaître les chrétiens d’Orient
Été 2012, Paris. À bord d’une 4L modèle Savane, Vincent, 24 ans, s’élance à tout berzingue en direction du Liban. Un peu plus tôt, dans le cadre de ses études spécialisées sur les conflits et le droit humanitaire, le jeune homme a découvert ce pays qui a déjà tant souffert, où il se rend alors dans l’unique but d’achever son mémoire de recherche sur la guerre civile libanaise. Mais c’est le coup de foudre. Syriaques, assyriens, chaldéens, maronites, melchites… Vincent est mordu jusqu’à l’âme, il veut en savoir plus, et surtout faire connaître ces communautés multiséculaires. "Dans les années 2000, très peu de gens s’intéressaient aux Chrétiens d’orient. Les gens étaient très peu sensibilisés à cette minorité", relève-t-il. Le voilà donc reparti en direction du pays du Cèdre, seul, avec pour objectif la venue du pape Benoît XVI à Beyrouth.

Durée du voyage prévue : six mois. "Ça a duré deux ans", confesse Vincent. "Ce voyage a été un peu le déclencheur. J’avais décidé de documenter la vie des chrétiens d’Orient dans un grand livre, que j’ai appelé le Livre d’Orient, où chaque nouvelle rencontre pouvait écrire un mot, un témoignage", explique-t-il. Liban, Turquie, Irak, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Iran, Asie centrale, Afghanistan, Golfe Persique, Corne de l'Afrique, Égypte, Jordanie… Le temps s’étire. Sa “habibimobil” lui fait parcourir, cahin-caha, 60.000 kilomètres. Jusqu’à l’apogée du périple, qui sera aussi son achèvement : la Terre sainte. Un pape a signé le début de ce voyage, un autre la fin : alors qu’il arrive en Israël, Vincent Gelot rencontre le nouveau chef de l’Église catholique, qui couche sur le papier du Livre d’Orient les derniers mots de cette course effrénée. "Ce voyage a transformé ma vie. Il m’a même complètement dépassé", reconnaît aujourd’hui Vincent. Nicolas Bouvier, l’un de ces écrivains voyageurs tant aimé par Vincent le disait : "On croit qu'on va faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait". (L’usage du monde, 1963).
Retour en France, accompagné de Caroline, sa future épouse. Au même moment, Mossoul tombe aux mains de l’État islamique. Et l’appel de l’Orient se fait de nouveau entendre, lancinant. "Je retrouvais tous ceux que je n’avais pas vus depuis deux ans, ma famille, mes amis… Mais il n’y avait rien à faire, je savais que j’allais de nouveau partir"". Vincent reste jusqu'en 2016 à Erbil, en Irak, où il aide à combler les besoins de camps de déplacés par la guerre et anime une radio pour ces derniers, la radio Al-Salam. Il vit aujourd’hui à Beyrouth. Chargé de mission pour l’Œuvre d’Orient au Liban et en Syrie, il partage son temps entre ces deux pays. Depuis, il est devenu père quatre fois, avec une petite fille née sous les bombes il y a trois mois. À Beyrouth, il voit la misère, mais aussi la force d’un peuple qui ne se résigne pas. L’explosion du port, le retour de la guerre, la chute d’Assad en Syrie… "C’est une série d’événements qui m’ont transformé", reconnaît-il. "Lors de la prise d’Alep par les milices d’Idlib, j’en ai pleuré. J'en ai pleuré le soir, dans mon lit. J’ai pensé à tout ce qu’on avait fait, tout ce qu’on avait reconstruit. On a eu peur d’un scénario à la 2014. Émotionnellement, on a vécu pas mal de choses intenses ces derniers mois". La peur ? Si elle a pu exister, ce fut fugace, assure-t-il. "J’ai toujours eu confiance. J’ai un ange gardien et je le sens avec moi tous les jours depuis mon voyage. J'ai toujours le sentiment que Dieu est avec moi."

Alors Vincent reste, même si certains disent que c’est perdu d’avance, même s’il faut tout recommencer. Parce qu’il y croit. "Ma vie et mon engagement sont là. Ce que je fais a du sens. Ma vie n’est plus un voyage lyrique en 4L, mais elle est toujours faite de rencontres, d’itinérance." Et quand tout semble vaciller, "il y a toujours la poésie", sourit Vincent. Son autre amour, dans les bras desquels il se réfugie la nuit tombée entre deux feuilles de papier. Celle qui n’a d’autre but qu’elle-même, disait Baudelaire. Celle qui défie le temps, qui survit aux guerres et résiste à la mort. Comme les chrétiens d’Orient.
