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Le petit déclic de la foi

Visiteurs Notre-Dame de Paris
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Jean Duchesne - publié le 11/02/25
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La simple présence d’un prêtre disponible peut rendre opérante la grâce d’une cathédrale, observe l’essayiste Jean Duchesne.

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Qu’est-ce qui fait qu’on trouve la foi ? C’est la question qu’on peut se poser en sortant d’une visite à Notre-Dame de Paris. On y est allé pour admirer la restauration de la cathédrale, et on n’est pas déçu. Et puis vers la sortie, on remarque deux prêtres, en aube blanche et avec leur étole. Ils sont là, bien repérables. Ils ne haranguent pas dans la foule qui défile lentement devant eux et ils n’y ont sans doute pas harponné quelqu’un au hasard. Mais ils sont tous les deux occupés, chacun en conversation avec un visiteur. Qu’en sortira-t-il ? Il n’est pas à exclure qu’on ait été le témoin fugitif de deux grâces qui, en se combinant, ont produit des déclics qui ne restent pas sans effets.

Les deux grâces d’une cathédrale

La première grâce est celle de la cathédrale. Elle n’impressionne pas que par sa taille et ses qualités esthétiques. Car son ancienneté, sa singularité architecturale et sa centralité dans le paysage approfondissent l’univers où se situent d’instinct ceux qui la regardent et y pénètrent. Elle contribue à leur identité — non seulement reçue sans qu’ils l’aient choisie, mais encore intimement vécue. C’est un phénomène qui s’est manifesté lors de l’incendie d’avril 2019 et qui est fort bien analysé dans La Grâce des cathédrales (Éditions Place des Victoires, 2023). L’historien Matthieu Lours y récapitule ce qui ressort de la trentaine d’ouvrages déjà parus dans la collection "La Grâce d’une cathédrale", lancée en 2008 par Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, sur les églises mères d’autant de diocèses.

La seconde grâce est la présence visible de ces prêtres. Ils confirment les signes chrétiens qui abondent dans l’édifice : les croix, les scènes bibliques et évangéliques, les figures de saints peintes et sculptées ou sur les vitraux. Tout cela a donné une substance ou une armature à la transcendance insaisissable qui imprègne le lieu, ou a réveillé des souvenirs plus ou moins refoulés. Mais ces ministres du culte, aisément reconnaissables comme tels, même si aucun office n’est en cours, et simplement disponibles au terme du parcours, révèlent que tout cela demeure vivant, accessible, et est bien davantage que les vestiges d’un passé révolu.

De l’ébranlement au basculement

C’est à ce moment qu’au choc souvent confusément perçu qu’a provoqué l’immersion dans le monument peut s’ajouter la découverte imprévue d’un interlocuteur possible, de quelqu’un dont on saisit immédiatement qu’il est là chez lui et qu’il saura peut-être accueillir et aider à interpréter un ressenti qu’on a conscience de ne pouvoir contenir, ou encore écouter les questions qui surgissent, ou seulement encourager à les formuler. Il y a toutes sortes de motivations qui poussent à s’adresser à un prêtre qui n’interpelle pas, mais se trouve opportunément sur un chemin emprunté un peu par conformisme "culturel" : cela peut aller d’une curiosité sans a priori à un désir de régler une bonne fois pour toutes le problème de "la religion", que ce soit en l’évacuant ou à l’inverse en s’engageant pleinement, et alors ou bien en enfant prodigue revenu, ou bien en complet étranger jusque-là.

L’ouverture occasionnée par la visite d’une cathédrale peut donc provoquer un ébranlement plus ou moins clairement éprouvé, lequel peut se transformer en basculement dans la rencontre inopinée d’un prêtre. Celui-ci n’a pas besoin d’attirer l’attention, ni même parfois de prêcher et argumenter pour convaincre, parce que celui ou celle qui vient à lui est déjà inspiré par une intuition encore inexplicite que tout ce qu’il pourra lui être raconté est vrai et forme un tout indivisible et cohérent, même s’il est pratiquement impossible de tout en déployer et saisir en même temps, parce que ce n’est pas maîtrisable.

La foi incrustée dans l’environnement

Qu’il s’agisse d’une adhésion soudaine suite à une illumination (comme Paul Claudel derrière un pilier le jour de Noël 1886 à Notre-Dame de Paris, ou Jacques Fesch une nuit de février 1955 dans sa prison de meurtrier d’un policier), ou d’un retour ou approfondissement plus ordinaire après des démissions et des doutes, toute conversion repose ainsi sur un déclic, qui bien sûr peut n’être pas irréversible, mais laisse toujours au moins une nostalgie et peut être renouvelé jusqu’au dernier souffle. Ce constat peut avoir quelque utilité pour la "propagation de la foi", qui ne concerne pas que les lointaines terres "païennes", mais aussi les nations qui se sécularisent, et même les "chrétientés", dont aucune n’est le Royaume promis et où il reste toujours des progrès spirituels à faire.

Les cathédrales ont un rayonnement particulier au sein de l’Église locale (diocèse), et même aux niveaux national et international.

Une première piste est l’encore ineffaçable incrustation historique et esthétique de la foi dans l’environnement. Les cathédrales, on l’a vu, ont un rayonnement particulier au sein de l’Église locale (diocèse), et même aux niveaux national (quand c’est celle de la capitale : Paris) et international (Chartres, Reims, Amiens, Strasbourg, Rouen…) en raison de leur réputation et des foules qu’elles attirent. Mais on peut en dire autant des humbles et parfois pauvres églises de village : municipalités et populations ne se résignent pas à les voir se détériorer, même si la messe n’y est que rarement célébrée, et avec de maigres assistances. Et cela vaut jusque pour les croix de carrefour et celle qui couronne à Paris le Panthéon laïque, sans parler d’une bonne partie du patrimoine artistique.

Une rencontre personnelle

La sociologie a beau signaler la dislocation chez nous de la "matrice chrétienne" (Jérôme Fourquet, L’Archipel français, puis Métamorphoses françaises, Seuil, 2019 et 2024), notre pays reste de "marque chrétienne", comme l’ont montré le philosophe Pierre Manent (Situation de la France, DDB, 2015) et le regretté historien de l’art Dominique Ponnau (sur Aleteia en 2021). Pour indélébiles qu’elles demeurent, ces empreintes restent cependant des rappels qui rendent seulement possible le déclic de la foi, sans l’entraîner automatiquement.

Car il est encore besoin non pas d’une preuve ni d’un signe de plus, mais d’une rencontre personnelle. Celle du Christ, bien sûr. Mais, pour ne pas se fabriquer une idole, il faut réaliser qu’il n’est jamais seul, et envoie l’Esprit qui l’unit à son Père et le rend solidaire d’une multitude de frères et de sœurs. La conversion introduit certes dans une communion. On n’y entre cependant pas rien qu’en le décidant ou en s’y faisant inviter. On n’y est reçu que par un de ceux dont c’est la mission donnée par le Christ lui-même, autrement dit un prêtre.

Le témoignage d’une simple présence

C’est ce que perçoivent fort bien celles et ceux qui, touchés par "la grâce de la cathédrale" dont ils viennent de faire le tour, sont poussés à s’arrêter auprès d’un homme dont ils pressentent que cette même grâce qui les a effleurés s’est emparée de lui et peut œuvrer directement et concrètement par son ministère. Ce qui veut dire, si le dialogue se développe et par-delà le consentement de l’intéressé, l’intégrer au moyen de gestes et de paroles institués par le Christ, qui initient et purifient, nourrissent et réconcilient.

Le christianisme vivant, qui fait d’une cathédrale bien plus qu’un musée ou une attraction touristique, ce n’est pas seulement le témoignage de la communauté qui s’y assemble pour célébrer en demandant aux visiteurs de ne pas déranger. C’est aussi — et sans doute d’abord pour ceux en qui le déclic peut se produire — la présence d’un clergé simplement visible. On peut se dire que ce n’est pas une grâce uniquement dans une belle et célèbre cathédrale, et qu’il y a donc là un don du ciel à accueillir et soigner sans cesser de le réclamer.

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