Les apparitions de fleurs, ces étonnantes (mais plaisantes) manifestations de Dieu

Sueurs de sang, stigmates, lévitation, bilocation, visions, prophéties… les phénomènes mystiques qui émaillent la vie des mystiques sont divers, souvent liés à la Passion du Christ, à laquelle sont associés de manière particulière ces personnes d’exception, ou défiant les lois physiques du temps et de l’espace. Peut-être un de ces phénomènes surnaturels est-il moins connu, même s’il est aussi spectaculaire que ceux déjà évoqués tout en montrant un visage plus doux de Dieu : les apparitions de fleurs.

Dans Malestroit (Grasset, 2025), Jean de Saint-Cheron retrace le parcours extraordinaire d’Yvonne Beauvais, devenue religieuse augustine dans le couvent de Malestroit (Morbihan) sous le nom d’Yvonne-Aimée. Ce qui saisit l’auteur comme le lecteur, c’est l’immense pragmatisme de cette femme dévouée aux plus pauvres et aux malades, capable de réformer son ordre, de faire bâtir de nouveaux équipements, d’organiser le service des sœurs, associé à une vie mystique impressionnante.

Comme d’autres avant elle, Yvonne a reçu les stigmates plusieurs fois, a sué du sang, s’est trouvée à plusieurs endroits en même temps, a eu des attaques du diable qui ont laissé des traces sur son corps, a fait des songes prémonitoires… mais a aussi vécu plusieurs fois des apparitions de fleurs. Sortant de son côté à un moment où elle revit la Passion, s’échappant de sa bouche en même temps qu’elle parle ou, plus amusant, remplissant sa chambre en plein hiver comme pour des floralies. En voilà un exemple, raconté dans Malestroit : "[le père Labutte] ouvre la porte de la chambre contiguë au bureau, la chambre de la supérieure. Une odeur prodigieuse les saisit d’un coup. Des fleurs, par centaines, jonchent le sol et les meubles. Yvonne-Aimée est étendue sur le lit, immobile, un grand voile blanc sur la tête. Surprise de voir ses amis entrer dans sa chambre, elle se redresse, descend du lit et se met à ramasser les fleurs, à les arranger en bouquets. Elles sont toutes blanches – lys, arums, lilas, tulipes. Nous sommes le 17 février 1943, il est près de dix heures du soir."

Que dire de ce drôle de phénomène surnaturel ? D’abord qu’Yvonne-Aimée n’est pas la seule à l’avoir vécu. Une autre mystique, par exemple, Symphorose Chopin, morte en 1983, a été entourée elle aussi d’apparitions de fleurs. C’est l’historien Joachim Bouflet, qui l’a connue, grand spécialiste de la mystique chrétienne, qui raconte sa vie, notamment dans son Encyclopédie Des Phénomènes Extraordinaires Dans La Vie Mystique (trois tomes !). Il y eut aussi des miracles de roses grâce à l’intercession de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. En 1915, la carmélite de Lisieux apparaît à une novice d’Ustaritz (Pyrénées-Atlantiques) pour guérir d’un mal apparemment incurable après que toute la communauté s’est mise à la prier. Après de longs mois de supplication et d’autres apparitions, sœur Louise est guérie. Entre-temps, le matin du 21 septembre 1916, quand les religieuses entrent dans sa chambre, elles ont la surprise de découvrir un sol jonché de pétales de roses.

La petite Thérèse, avant sa mort en 1897, n’a-t-elle pas dit qu’elle ferait "tomber une pluie de roses" du ciel ? La sainte lexovienne est une grande amie des fleurs, se définissant elle-même comme une fleur, petite, dans le jardin de Jésus. Lui sont attribués de nombreux miracles, dès les années 1900, notamment collectionnés au Carmel de Lisieux et publiés entre 1907 et 1926 sous le titre La Pluie de Roses. 3.200 témoignages, parmi lesquels des récits d’apparitions de fleurs, de pétales de rose qui tombent du ciel ou d’odeurs florales.

Ces "miracles" n’en sont pas au sens restrictif du terme, comme le sont les soixante et onze reconnus officiellement à Lourdes par l’Église ou ceux nécessaires à une canonisation. Par prudence, le Saint-Siège ni les évêques ne sont affirmatifs sur l’immense majorité des phénomènes surnaturels. Et, d’ailleurs, la sainteté n’est pas synonyme de mystique, mais consiste d’abord à vivre la charité hic et nunc. Celui qui accorde du crédit à ces apparitions de fleurs, parce qu’après tout croire en Dieu consiste à accepter une part d’inexplicable en ce monde, pourra y voir la douceur du Créateur qui répand ses grâces sur l’humanité, la bonne odeur de son amour.