Serait-ce devenu une spécialité ? Après l’Éloge d’une guerrière (Grasset, 2023, désormais en poche chez Points), dans lequel il dépoussiérait la statue sulpicienne de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Jean de Saint-Cheron publie en ce début d’année un ouvrage sur une femme moins connue, Yvonne Beauvais (1901-1951). Malestroit, parce qu’Yvonne, devenue Yvonne-Aimée, entre en 1927 au couvent des Augustines de cette ville du Morbihan. Là encore, dans une sorte d’enquête menée tambour-battant, l’auteur semble vouloir montrer que la charité est tout ce qu’il y a de plus courageux, qu’aimer ne veut pas dire s’écraser, que le don de soi est toujours lié à une ascèse, voire à la souffrance.
Yvonne-Aimée le dit elle-même : "On entend souvent dire : ‘Quand on est trop bon, on finit par être bête’". Mais elle s’empresse de préciser à l’adresse de ses sœurs dont elle est devenue la supérieure dès 1935 : "Ce n’est pas vrai. ‘Nous avons cru à l’amour’ s’écriait saint Jean. Nous aussi, croyons à la force de l’amour et de la bonté." Ceux qui connaissent cette figure du XXe siècle savent qu’elle fut une grande mystique, entourée de phénomènes surnaturels nombreux et tout à fait extraordinaires au point d’être troublants, des floralies aux bilocations en passant par les sueurs de sang ou les prophéties. Neuf ans après sa mort, en 1960, le Saint-Siège statuait d’un "trop de miracles" le procès pour reconnaissance de l’héroïcité des vertus d’Yvonne Beauvais.
Une "force de l’amour et de la bonté"
Ces miracles, qui interrogent l’auteur de Malestroit comme ses lecteurs et la possibilité qu’autre chose que la matière prenne place en ce monde, ne doivent pas masquer l’essentiel. Yvonne elle-même a peu parlé des phénomènes surnaturels qui l'entouraient. En revanche, elle n’a cessé d’agir, avec force et persévérance, pour l’amour de Dieu et de son prochain. Dès sa jeunesse, elle court entre deux familles pauvres à visiter, joue des concerts et fait des ménages pour subvenir à leurs besoins. Sans que sa mère ne le sache, sans que ses problèmes de santé, qui la poursuivront jusqu’à sa mort, n’altère cette "force de l’amour et de la bonté".
À neuf ans, déjà, le lendemain de sa première communion, elle écrit au Christ ces mots : "Ô Jésus, je me donne à toi entièrement et pour toujours. […] Je ne vivrai que pour toi je travaillerai en silence – et si tu veux je souffrirai beaucoup – en silence." À neuf ans. Avec son sang. Liant charité et martyre, par amour de Dieu et des autres. Qui peut voir quelconque niaiserie dans cette vive conscience de l’appel des pauvres ? À Malestroit, ces derniers seront les "maîtres" comme disait saint Vincent de Paul. Avec une énergie et un pragmatisme rare, ce qui rappelle que la grâce se sert de la nature humaine pour agir, elle transforme son couvent, rénove bâtiments et règle de vie, fonde de nouvelles maisons.
Dernier exemple de l’élan vital qui la pousse : ses actes de résistance, pendant l’Occupation. La maison de Malestroit accueille des blessés alliés et des hommes du maquis voisin pour les soigner. Avec un aplomb qui force le respect, Yvonne-Aimée tient tête aux Allemands venus inspecter les chambres, et cache même deux Anglais sous des cornettes. Ils s’en souviendront toute leur vie. Rien de doucereux ici. L’Esprit saint n’est-il pas un feu ardent qui brûle le cœur de ceux qui veulent bien le laisser habiter en eux ?
Pratique