Les mots sont parfois très étonnants. "Dire merci" a pour synonyme le verbe "remercier", lequel a un double sens. Remercier quelqu’un est une action de reconnaissance mais remercier un autre de ses services veut tout simplement dire qu’il est "viré". Les mots changent de sens selon le contexte, le ton ou les interlocuteurs. La langue française est pleine de charme, les mots sont ses couleurs qui varient avec la lumière.
Détournement
Le vocabulaire utilisé dans l’Église n’échappe pas à ces subtilités de la langue française et le peuple de Dieu, comme le peuple tout court, est parfois étonné, voire choqué de l’utilisation de certains mots ou expressions comme les "visites fraternelles", à propos de l’enquête menée par un évêque chez un autre évêque. On les imagine remplies de bienveillance, organisées dans le sens de l’aide, de l’échange d’expériences et de savoir-faire, et l’on voit le résultat. Pour le commun des mortels, visite fraternelle signifie désormais un audit sévère qui conduit à des sanctions. Celui qui reçoit cette visite est comme mis en examen, on crée le doute, la peur même. Le mot fraternel, s’il est au départ certainement rempli de bonnes intentions est détourné, comme il le fut dans les "pays frères" dans une époque encore récente.
De la même façon, le mot démission (d’un évêque) n’est pas entendu comme tel. On en revient au verbe remercier parce que la lettre de démission a été demandée comme un passage obligatoire pour transformer ce qui ressemble à un licenciement en un départ volontaire. On cherche à pacifier (tiens, encore un mot qui rappelle des choses) alors que la situation est conflictuelle et se termine par une décision qui est souvent violente.
Vœux pieux
Je ne remets absolument pas en cause les faits, s’agissant de telle affaire ou de tel diocèse, n’ayant pas les tenants et aboutissants pour porter le moindre avis autorisé. Je m’interroge juste sur les mots utilisés qui ne trompent personne et mettent un voile de méfiance. À l’issue du triste épisode de l’enquête de la Ciase sur les abus sexuels dans l’Église, on n’a entendu : "Plus jamais de langue de bois et la transparence !", on a espéré une libération de la parole en parlant vrai, en commentant les faits, en assumant les décisions. Qu’en est-il ? D’aucuns peuvent dire qu’il s’agit d’un langage usité dans l’Église. Peut-être mais reconnaissons que cela la dessert et cache sa maternité universelle.
La réflexion sur la synodalité a créé des espérances et a proposé des modes de fonctionnement différents, plus transverses, plus à l’écoute de tous : qu’en est-il ? Serait-ce un mot déjà détourné, un vœu pieux englué dans des fonctionnements ancestraux et obscurs ? Le père de Sinety rappelait dans sa dernière chronique son origine : "Rien sans la responsabilité personnelle de l’évêque, rien sans l’avis des presbytres, rien sans le consentement du peuple de Dieu" (saint Cyprien de Carthage). Je doute que les récentes décisions aient été prises en consultation et avec de l’information, les deux vont ensemble. Si l’on en revient à la visite fraternelle, que disent les habitants, les paroissiens, la diaconie des diocèses déstabilisés et dont la mitre a été changée sans concertation préalable, sans rémission possible ? Les mots auraient donc perdu leur sens ?
Prendre soin de l’Église
Le mode de l’entreprise — je sais, on va me dire que l’Église n’est pas une entreprise — s’est ouvert et fonctionne de façon transverse, matricielle, et il y a peut-être des inspirations, des idées concrètes à regarder et adapter. Les embauches comme les licenciements sont expliqués, accompagnés… et financés. C’est clair, pas toujours facile, violent parfois, mais clair en utilisant des mots dans leur sens précis. Redonnons aux mots leur valeur, donnons un sens aux actions, aux faits, l’Église se montrera plus courageuse et mieux comprise par tous.
Mais attention ! il ne faut pas profiter de cette question de forme pour critiquer le fond. "Je crois en l’Église, une sainte catholique et apostolique" et nous devons prononcer ces paroles avec fermeté et foi. Certes, comme institution humaine, l’Église n’est pas parfaite, elle n’est pas telle que chacun l’imagine, nous en sommes des membres vivants et comme tels, nous devons en prendre soin. C’est dans cet état d’esprit et uniquement ainsi que l’on se pose des questions sur le sens mots tout en priant pour chaque membre de notre Église, le Pape, les évêques, les prêtres, religieux et religieuses, les diacres, le peuple de baptisés et nos frères en ce monde.

