Normalien, agrégé de philosophie, Frédéric Guillaud publie en 2015 un essai sur la vérité du christianisme : Catholix reloaded, qui montre que la foi catholique se défend par l’exemple et la raison. Alors qu’il réédite cette année sa réponse aux objections régulièrement opposées aux chrétiens sur la vérité de leur foi, le philosophe se félicite du retour de l’apologétique chrétienne, sans complexe devant les faiblesses des arguments que lui oppose la "matrice" idéologique qui veut enfermer les hommes dans une fausse liberté déshumanisante.
Aleteia : Catholix reloaded fait référence au film Matrix. Selon vous, nous vivons dans l’univers d’une "matrice" dont le système de pensée vise à extirper le christianisme des esprits en enfermant les hommes dans une dépendance qui s’oppose à la liberté chrétienne. Comment fonctionne cette machine de guerre idéologique ?
Frédéric Guillaud : Il y a un moment qu’elle tourne, cette machine ! Tout a commencé à la fin du XVIIIe siècle, où les bases théoriques ont été installées et les premières applications pratiques mises à exécution — c’est le cas de le dire. Elle a deux régimes de fonctionnement : en régime doux, elle diffuse, par tous les canaux possibles, la philosophie relativiste, selon laquelle il n’y a pas de vérité en matière religieuse (c’est à cette thèse que répond mon livre) ; en régime dur, elle attaque frontalement le christianisme, soit par l’action contre le clergé, comme pendant la Révolution française ou au moment de la Séparation de l’Église et de l’État, soit par l’action contre les symboles, les coutumes et surtout les mœurs chrétiennes, comme c’est le cas depuis les sixties.
Depuis quelques années, l’apologétique catholique fait son retour en France après soixante ans d’éclipse.
Sur ce dernier point — les mœurs — la récente inscription du droit à l’avortement dans la Constitution de la République, transformée en Anti-Décalogue, représente un paroxysme. Non seulement l’infraction à la loi naturelle est autorisée, mais elle est véritablement sacralisée. C’est très impressionnant, et presque fascinant. Bien sûr, la matrice est rusée ; elle est capable, dans le même temps, de célébrer massivement la réouverture de Notre-Dame de Paris. Mais qu’y avait-il de chrétien là-dedans ? C’est un peu comme quand le secrétaire général du Parti communiste chinois rend un petit hommage verbal au marxisme-léninisme. Cela ne veut plus rien dire. Il faut regarder les faits, les mœurs, les croyances. Pas les sunlights. Cela étant dit, je m’empresse de le dire au passage, la rénovation de la cathédrale est une très bonne chose, y compris sur le plan religieux, car elle pourra continuer d’attirer à elle et de convertir du monde, en dépit des détournements divers dont elle peut faire l’objet. Si maintenant j’en reviens à votre question, je dirai que la matrice a non seulement un contenu (l’idéologie relativiste voire anti-religieuse que charrient la plupart des productions "culturelles" diffusées massivement) mais aussi une forme : la soumission grandissante du psychisme humain au défilement des écrans. Cette forme de vie — la vie du spectre qui ne voit plus le monde, qui ne voit plus autrui, et dont l’âme est littéralement pulvérisée par le défilement du vide — est bien pire encore que tous les effets de l’idéologie anti-chrétienne. Ce n’est même plus de la déchristianisation, c’est de la déshumanisation radicale.
Depuis 2015, date de la première édition de votre livre, qu’avez-vous observé de nouveau dans les arguments opposés au christianisme et à la foi catholique en particulier ? Sommes-nous toujours devant les mêmes objections, par exemple sur le Jésus historique, ou sur la contestation de la "rationalité" de l’existence de Dieu ?
Ce qui est réjouissant, au milieu du tableau très sombre que je viens de dresser (le genre apocalyptique est mon péché mignon), c’est qu’on observe un peu partout de jeunes pousses qui sortent de cette terre craquelée qu’on croyait morte. Quant à moi, je suis comme le coq Chantecler : je me plais à croire que mon livre, paru dans l’indifférence générale, a fait son chemin silencieux auprès de quelques âmes. Une chose est sûre en tout cas : depuis quelques années, l’apologétique catholique fait son retour en France après soixante ans d’éclipse (des livres paraissent, des sites Internet se montent, des formations ont lieu, des publications voient le jour) ; même l’épiscopat français semble s’aviser du fait que, tout bien considéré, il serait peut-être opportun de défendre rationnellement la crédibilité du christianisme. Comme quoi, rien n’est impossible à Dieu !
En face, puisque vous me posez la question, les arguments sont toujours très faibles — pour le moment. C’est normal : le parti majoritaire finit toujours par s’endormir sur ses lauriers, il ne travaille plus, et ne sait plus pourquoi il croit ce qu’il croit (ou plutôt ne croit pas ce qu’il ne croit pas, en l’occurrence). Concrètement, aujourd’hui, l’anti-chrétien le plus en vogue reste Michel Onfray. Son argument majeur : nier l’existence historique de Jésus de Nazareth ! Cette thèse est tellement absurde qu’elle ne vaut pas le papier pour l’imprimer, et à peine l’encre pour la réfuter. Les anti-chrétiens sérieux, de l’autre côté de l’Atlantique, ont abandonné depuis longtemps de telles billevesées. Nous devons donc nous préparer à leur répondre à eux, et non aux chevaux de retour du laïcisme à la française qui, passez-moi l’expression, sont intellectuellement à la rue. Cela signifie essentiellement que nous devons faire de la métaphysique pour répondre aux arguments de ceux qui prétendent qu’il est impossible de prouver l’existence de Dieu (c’est ce que j’ai essayé de faire dans Dieu existe : arguments philosophiques, paru en 2013), ou que le concept de Dieu est contradictoire ; mais il faut aussi faire de l’histoire, des langues anciennes, de l’archéologie, bref, mettre à jour la bonne vieille apologétique catholique.
La naissance de Dieu dans une crèche, comment cela peut-il "tenir la route" ?
Je pense que les évangiles sont des documents fiables ; la naissance d’un certain Jésus de Nazareth dans une crèche vers -6, sous l’empereur Auguste, au moment d’un conjonction astrale remarquable, me paraît donc crédible. De là à dire que ce nourrisson était aussi le Verbe incarné, il y a évidemment un grand pas. Pour s’en convaincre, il faut lire le reste du livre. Or, qu’y trouve-t-on essentiellement ? Deux choses : premièrement, que ce nourrisson, une fois adulte, a affirmé sa propre divinité, par ses paroles et par ses actes (c’est si vrai qu’il a été livré aux Romains pour cette raison) et deuxièmement, qu’il est mort et qu’il est ressuscité. Maintenant, admettez une minute que cette histoire de résurrection soit véridique. Il s’ensuivrait qu’un homme, qui prétendait être Dieu, a vu ses prétentions confirmées par Dieu lui-même ! Comme disait Saint Pierre : "Dieu nous a offert à tous un motif de foi en le ressuscitant des morts" (Ac. 17, 31). Bref, la Résurrection — si elle est un fait historique — est la preuve de la divinité de Jésus : le nourrisson, dans sa crèche, c’était Dieu. Dès lors, notre programme est tout tracé : étudier les témoignages sur la résurrection et nous faire une idée de leur validité. C’est ce que je fais dans le livre.
Ma conclusion : la meilleure explication disponible de l’ensemble des faits dont nous disposons — le tombeau retrouvé vide, les rumeurs de vol du cadavre, les expériences d’apparition, le retournement psychologique des apôtres, l’abandon du shabbat pour le dimanche — ce n’est ni un complot, ni des hallucinations collectives, mais la Résurrection. Une autre façon de présenter les choses, plus rapide, est de dire, comme Tertullien : Credibile quia ineptum est — "J’y crois parce que c’est absurde" (De Carne Christi 5, 3-4). Mais attention ! il ne faut pas prendre cette déclaration pour un éloge de l’irrationnel. Ce que Tertullien veut dire, c’est que l’union de Dieu avec la nature humaine est tellement improbable que jamais les hommes ne l’auraient inventée. Jamais un homme juif, aussi fou soit-il, n’aurait osé prétendre être Dieu. Bref, cette histoire est trop inconcevable pour être fausse !
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
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