Antoine, le fondateur du monachisme, le grand ascète du désert, a eu fréquemment affaire aux démons et il connaissait bien leurs ruses et leurs menaces. Un jour, de jeunes recrues de la vie solitaire font appel à lui pour les aider au discernement (ce qu’on appelle dans les textes : la "discrétion"). Leur histoire qui nous est racontée est assez curieuse :
Des frères se rendirent chez l’abbé Antoine pour lui parler des visions qu’ils avaient : étaient-elles véritables, ou étaient-ils le jouet du démon ? C’est ce qu’ils voulaient apprendre de l’ancien. Ils avaient avec eux un âne qui mourut en route. À leur arrivée, avant qu’ils aient pu rien lui dire, l’abbé Antoine leur demanda : “Comment l’âne est-il mort en route ?” Et eux de l’interroger : “Père, comment le sais-tu ?” Il répondit : “Les démons me l’ont montré.” — “Précisément, s’écrièrent-ils, nous voulions te parler de nos visions ; la plupart du temps elles se réalisent, mais nous avons peur d’être dupes.” L’ancien les convainquit par l’exemple de l’âne que leurs visions venaient des démons (Sentences, Antoine, 12).
Le démon dit parfois des choses exactes
Antoine aurait donc eu une vision du Démon lui révélant un fait (la mort de l’âne qui accompagnait des visiteurs venus l’interroger). Or ce fait se révèle exact. Mais alors dans quel but le lui a-t-il montré ? Nous ne savons pas, mais sans doute cet incident était-il une tentative pour faire échouer la démarche de ces jeunes moines. Toujours est-il que Antoine peut sans hésiter leur dire : "Je le savais, le Diable me l’avait révélé !"
Ce qui compte pour le Diable, c’est l’effet obtenu sur le psychisme de sa victime potentielle : est-il hésitant, impressionnable, mal assuré sur les principes ?
Et ceci devient un enseignement salutaire, car on peut comprendre que le démon dise parfois des choses exactes pour tenter d’égarer ceux qui lui prêtent l’oreille et, par ce moyen, leur donner confiance, comme les guérisons réelles qui ont lieu et que s’attribue un charlatan pour authentifier ses prescriptions. Nous voilà donc prévenus. Satan a plus d’un tour dans son sac, il peut dire le vrai comme le faux pour tenter d’égarer. Ce qui compte pour lui, c’est l’effet obtenu sur le psychisme de sa victime potentielle : est-il hésitant, impressionnable, mal assuré sur les principes ? Il devient une proie facile. Il résiste d’autant moins qu’il se dit qu’en refusant, il perd peut-être une occasion inespérée de voir ses souhaits se réaliser…
Ne pas se laisser abuser
Dans les dossiers de canonisation, les miracles sont certes importants, mais pas autant que la stricte orthodoxie du candidat à la sainteté. Saint Antoine est un vrai maître, il sait à quoi s’en tenir avec l’Ennemi. Il ne se laisse pas abuser : même s’il voit d’où vient le renseignement et qu’il en fait malgré tout usage, il n’en continue pas moins à mettre ses disciples en garde contre les pièges de Satan.
