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Rares sont les époux portés conjointement sur les autels. Méconnus, tout du moins en dehors de la Provence, la bienheureuse Delphine et saint Elzéar font partie de ces saints dont le mariage a tracé un chemin de sainteté. Une fois n’est pas coutume, l’illustration de cet article ne représente pas Delphine et Elzéar. Néanmoins, il s’agirait d’une commande de la bienheureuse Delphine, dont on comprend aisément les motivations. Datée de 1330, d’artiste inconnu et conservée au Musée Getty à Los Angeles, cette tempera sur bois représente un ange déposant une couronne de fleurs sur sainte Cécile et saint Valérien, couple de martyrs du IIIe siècle ayant fait vœu de chasteté. Ce panneau fait partie d’un diptyque dont l’autre facette représente saint François d’Assise recevant les stigmates.
Selon les archives du musée, il aurait été commandé par Delphine de Signe, comtesse d’Ariano, qui n’est autre que la bienheureuse Delphine, chaste épouse d’Elzéar de Sabran, sans doute après la mort de ce dernier en 1323. Leur appartenance au Tiers Ordre franciscain expliquerait la représentation de saint François. Quant au couple sainte Cécile/ saint Valérien, il est celui qui a inspiré la chasteté conjugale observée par la bienheureuse Delphine et saint Elzéar. Tous deux firent en effet secrètement vœu de chasteté et sacrifièrent leur nom et leur fortune pour mener une vie consacrée au service des plus pauvres.
Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France, ayant lui-même des attaches familiales provençales, vient de leur consacrer un magnifique livre intitulé Le secret de leur vie (Cerf) dans lequel il raconte, actes notariés et procès de canonisation à l’appui, la très chaste histoire d’amour de Delphine de Signe et Elzéar de Sabran. Il livre à Aleteia son précieux éclairage sur ce couple qui peut constituer aujourd’hui non pas un modèle à suivre en tous points, mais un témoignage édifiant de charité, de fidélité et de piété conjugale. Autant de vertus mues par cet idéal de chasteté qui les caractérise, et qui les menèrent tout droit sur le chemin de la sainteté.
Leur mariage
Leur histoire d’amour, pourtant mal engagée, commence le jour de leurs noces, le 5 février 1300, dans l’église d’Ansouis. Le jeune seigneur n’a que 13 ans et Delphine 15. Delphine, orpheline depuis l’âge de 7 ans et élevée par les sœurs du monastère Sainte Catherine de Sorbs, a fait vœu de chasteté pour se consacrer au Seigneur. Mais ses oncles en ont décidé autrement, et après trois ans de fiançailles, ils la mènent à l’autel contre son gré. Les larmes plein les yeux, elle n’a alors qu’une idée en tête : cette parole que le confesseur de la famille, un frère mineur que ses oncles ont fait venir pour essayer de la convaincre, finit par lui dire, à bout d’arguments : "Tant que le mariage n’est pas consommé, tu n’auras rien trahi".
Le soir de leurs noces, Delphine se confie à Elzéar, raconte la promesse faite au Seigneur et lui assure qu’en aucun cas il ne la touchera. L’entreprise est difficile mais pas impossible. Elle en veut pour preuve le mariage de sainte Cécile et saint Valérien, les époux martyrs de Rome. Et elle lui promet que leur accord resterait secret. Pour l’heure, Elzéar accepte sans promettre. "Elzéar ne veut pas tout de suite promettre", souligne Paul de Sinety. "Il est intéressant d’observer le temps que met Elzéar pour accepter pour de bon cette perspective. Cet état de vie était déjà extraordinaire à l’époque, sujet d’étonnement ! Ils attendront finalement l’année 1316, soit 16 ans après leur mariage, pour sceller définitivement leur promesse, à laquelle ils n’auront jamais failli."
Vœu de chasteté
Les années passent, et le couple, dont le mariage n’est toujours pas consommé, s’installe à Puimichel, loin des rumeurs d’Ansouis, où ils administrent leurs terres et gouvernent leurs sujets en se souciant de leur moralité et en prenant soin des plus pauvres. À la mort de son père, Elzéar doit se rendre à la Cour de Naples auprès de Robert Ier. Il est nommé grand Justicier du Royaume. Quelques années plus tard, Delphine le rejoint en Italie. Les années n’ont pas écorné leur vœu, et Elzéar l’a même totalement fait sien. "Au début, Delphine a l’ascendant, c’est elle la première qui le mène sur ce chemin singulier, mais progressivement, Elzéar prend l’initiative", fait remarquer Paul de Sinety. "Il y a une stimulation de l’un à l’autre, mue par un amour commun, pour progresser sur le chemin de la sainteté. Parce qu’il aime Delphine, Elzéar va au-delà des souhaits de son épouse, dans la chasteté conjugale, dans le service des pauvres, dans le soin apporté aux lépreux… C’est un cheminement commun, Elzéar s’appuie sur Delphine et inversement."
"Il ne s’agit pas d’imiter en tous points Delphine et Elzéar ! Mais d’interpréter, dans leur vie amoureuse, des signes de l’amour de Dieu."
Pour Paul de Sinety, la chasteté du couple de Delphine et Elzéar n’est pas une fin en soi. Elle agit comme un moteur, pour accéder à davantage de renoncement, de détachement aux biens matériels. "Ce qui est édifiant, c’est leur fidélité absolue, leur quête de Dieu qui se traduit dans le service aux plus pauvres", relève l’auteur. "La chasteté n’est pas qu'une question de continence, elle définit plutôt un rapport au monde : elle permet à l’homme de se libérer de certaines inclinations qui lui font oublier Dieu et son prochain. Il ne s’agit pas d’imiter en tous points Delphine et Elzéar ! Mais d’interpréter, dans leur vie amoureuse, des signes de l’amour de Dieu."
La promesse secrète
En 1316, avec la permission du Roi, ils retournent brièvement en Provence. Le jour de la fête de Marie-Madeleine, patronne de la Provence, dans la chapelle du château d'Ansouis, les deux époux se font la promesse de respecter le vœu de chasteté formé 16 ans plus tôt par Delphine. Dès lors, ils mènent, de manière cachée, une vie fondée sur la prière, la charité et la pénitence. Ils ne veulent susciter aucune admiration. Ils entrent comme tertiaires dans l’Ordre de saint François d’Assise.
En 1323, Elzéar est envoyé à Paris par le roi Robert Ier comme ambassadeur extraordinaire pour négocier avec le roi de France le mariage du prince Charles de Calabre avec Marie de Valois. Sur le pont du bateau qui les mène en France, Delphine et Elzéar formulent un vœu : quitter la Cour de Naples et vivre dans la pauvreté en Provence. Mais leur projet commun ne pourra aboutir. À Paris, Elzéar est atteint par une forte fièvre, et meurt le 27 septembre 1323, âgé de 38 ans.
Veuvage de Delphine, l'accomplissement
Une fois veuve, Delphine décide, chose incroyable à l’égard de son rang, de vendre, malgré de vives oppositions familiales, tous ses biens et toutes ses terres, aussi bien en Provence qu’en Italie, pour épouser la pauvreté la plus radicale. "Elle aurait pu entrer au couvent, remarque Paul de Sinety, mais non, tout se passe comme si elle parachevait la promesse faite avec Elzéar, elle garde son état laïc et vit dans le plus grand dénuement, à l’image du Christ, dans les pas de saint François, qui irradie à l’époque." Elle rentre en Provence, à Cabrières puis à Apt. Elle soigne les malades alors qu’une épidémie de peste fait rage. Elle va même jusqu’à poser son front contre le front des malades. Elle obtient des guérisons, souvent à son insu.
"Mon époux était le gardien de mon âme."
Thaumaturge, conseillère du Pape, accompagnatrice spirituelle, elle a aussi un rôle politique. Elle joue le rôle de médiateur dans la guerre des Baux, une guerre civile entre des factions de seigneurs provençaux. Impotente, elle est transportée en litière jusqu’à Cavaillon, où elle réconcilie les deux parties. Elle témoigne lors du procès de canonisation d’Elzéar, en Avignon. "Mon époux était le gardien de mon âme", confie-t-elle au pape Clément VI.
À la fin de sa vie, la comtesse vit comme une mendiante, selon l’image du Christ outragé. Elle meurt le 26 novembre 1360 à l’âge de 78 ans, en disant : "Désormais je ne veux plus que Dieu". Les deux époux sont ensevelis dans l’église des frères mineurs d’Apt. Leurs reliques sont conservées dans la cathédrale d’Apt et dans l’église d’Ansouis. "Par la promesse secrète qu’ils se firent, pleins d’amour l’un pour l’autre, ils ont sacrifié condition, fortune et renommée en reléguant les honneurs à une juste place secondaire", résume Paul de Sinety. "On n’aime jamais trop Dieu : quand on l’a rencontré, on est prêt à tout pour ne jamais le perdre."
Elzéar est canonisé le 15 avril 1369, à Rome, par le pape Urbain V, son filleul. Le culte de Delphine a été approuvé par le pape Innocent VII en 1694, mais son procès de canonisation, ouvert en 1363, n’a jamais été achevé. Créée en mars 2024, l’association Les Amis de la bienheureuse Delphine et de saint Elzéar, est en train de traduire les plus de 600 pages du procès de canonisation de Delphine du latin en français avec une équipe de médiévistes. "Dans le procès, tout est déposé et vérifié, les miracles sont enregistrés, les témoignages sont édifiants, on découvre une femme très libre dans une société médiévale très organisée", confie Paul de Sinety. Il ne reste plus qu’à un évêque provençal de présenter à Rome la vie édifiante de Delphine, une comtesse devenue mendiante par amour pour le Christ !
Pratique
Pour rejoindre l'association Les Amis de la bienheureuse Delphine et de saint Elzéar : bienheureusedelphine@gmail.com.