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Ceux qui ont connu les manifestations contre la "PAC 92", réforme de la politique agricole imposée par les eurocrates il y a plus de trente ans, savent combien nos agriculteurs ont changé. En 1992, un air de fête régnait sur les ronds-points, malgré le coup de gueule d’une profession qui savait ce qu’elle devait au Marché commun et mesurait ce qu’elle avait à perdre avec la mise en cause d’un système qui lui avait trop bien réussi. La réforme PAC 92 a été finalement adoptée : Jacques Chirac avait cédé la place à Michel Rocard. Michel Rocard était moderne. Il croyait aux bons sentiments.
Les bons sentiments
En politique comme en littérature, il faut se méfier des bons sentiments : ils ont vite fait de virer à la catastrophe. La PAC 92 fut le commencement d’une longue série d’ajustements qui menèrent progressivement à la destruction du système d’inspiration française qui avait rendu à l’Europe sa souveraineté alimentaire. La dernière réforme agricole en date, la fameuse stratégie "Farm to Fork", tend à donner le coup de grâce au soutien de l’agriculture par les prix. Et à présent la perspective de l’accord avec le Mercosur annonce l’adoption d’une vision cette fois explicitement suicidaire, livrant notre agriculture à une concurrence déloyale et la planète à un bilan carbone absurde. Les bons sentiments sont devenus destructeurs. Les échéances redoutées sont advenues : les agriculteurs français n’ont jamais été aussi pauvres. Nous sommes redevenus importateurs nets de produits agro-alimentaires. Nos fermes sont ruinées. Nos campagnes sont des lieux de mélancolie.
S’il y a aujourd’hui en Europe un divorce entre le peuple et les élites, on le doit beaucoup aux trente dernières années de politique agricole.
Comme toujours, les élites eurocratiques autocentrées manifestent dans cette affaire une candeur péremptoire. Ces élites urbaines se croient modernes. Elles sont puériles. Elles se disent universalistes. Elles sont étriquées. Cynique en apparence, naïf en réalité, leur angélisme a fait faillite. Car ce sont exactement les mêmes élites bruxelloises qui, dans les années 2000, ont désarmé notre économie face au réalisme des États-Unis et de la Chine, légèreté dont nous payons le prix tous les jours. Ce sont les mêmes qui ont liquidé nos fondamentaux culturels. Et ce sont les mêmes qui dénoncent le populisme qu’elles ont suscité. Le peuple, dont nos agriculteurs ruinés sont désormais l’avant-garde, le ressent de plus en plus clairement. S’il y a aujourd’hui en Europe un divorce entre le peuple et les élites, on le doit beaucoup aux trente dernières années de politique agricole.
Nous ne touchons plus la terre
Au fil des ans, la colère de nos paysans s’est transformée en tristesse, puis la tristesse a tourné au désespoir. Ce qui était un combat corporatiste en 1992 est devenu en 2024 un combat de civilisation. Jacques Chirac aimait à dire qu’il n’y a pas de pays sans paysans. Il n’y a plus de paysans. En 1930, le sociologue Siegfried affirmait que le jour où les agriculteurs représenteraient moins de 50% des actifs, la France serait ébranlée. En 1970, René Hugues annonçait qu’avec la perspective d’une population agricole réduite à 15% de la population active, la France vivrait une "crise de civilisation". Nous avons aujourd’hui moins de 3% de la population active qui travaille la terre. Qui peut nier que nous vivons une crise de civilisation ?
Nos agriculteurs se battent pour leur survie et aussi pour la nôtre. Pour affirmer que l’homme ne vit pas seulement de pain, il faut savoir le prix du pain. Pendant des millénaires, nos ancêtres ont consacré plus de la moitié de leur revenu à se nourrir tandis que plus de la moitié d’entre eux travaillait à produire les nourritures terrestres : c'était cohérent. Dans les années 1970, la part de l’alimentation dans le budget des ménages français était tombée à 20%. Aujourd’hui elle est de 14%. Nous perdons pied. Nous ne touchons plus la terre. Nous oublions la valeur des choses.
Nos derniers paysans surmenés travaillent souvent à perte. Il faut espérer que le Premier ministre qui sait parfaitement tout cela, qui a été ministre de l’Agriculture et qui connaît l’eurocratie, se mettra en travers des folies que certains voudraient imposer à nos agriculteurs à l’agonie. Il aura avec lui le pays dans ce combat.