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La piété populaire est "la spiritualité incarnée dans la culture des humbles", écrivait François dans La Joie de l’Évangile, son premier grand texte, par lequel il exprimait la vision et les enjeux de son pontificat. La dernière encyclique, Il nous a aimés – "Dilexit nos", nous invite à revenir au cœur : "Il faut affirmer que nous avons un cœur, que notre cœur coexiste avec les autres cœurs qui l’aident à être un “tu”…"
N'est-ce pas précisément cette capacité à reconnaître, nourrir et écouter son cœur qui fait de l’homme un homme ? N’est-ce pas la croyance que son cœur sera sans cesse désaltéré par la source de Vie qu’est le cœur de Dieu, qui donne au chrétien la capacité d’espérer et ainsi de manifester sa foi ? "Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur" (Mt 6, 21) : le verset résonnait il n’y a pas si longtemps dans toutes les églises du monde. Il devrait être pour chacun le mantra que l’on ne cesse de se répéter, du jour à la nuit et de la nuit au jour.
La petite flamme du pardon
Corneille, il y a des siècles de cela, grava dans nos mémoires de collégiens dès le premier acte de son Cid la tragique question : "Rodrigue, as -tu du cœur ?" La métonymie utilisée par le tragédien nous incite depuis à associer le cœur à une forme de courage. Au courage de venger l’honneur d’un père, de partir au combat, de prendre tous les risques y compris celui de sa vie non pas simplement physique mais aussi morale en renonçant à l’amour.
Si les brûloirs de nos églises sont si chargés devant les statues du Sacré Cœur de Jésus, n’y a-t-il pas un signe puissant pour nous ?
L’autre jour, un ami me conseillait de regarder une interview du cinéaste Claude Lelouch sur une chaîne de télévision qui fait, comme beaucoup d’autres, son miel de l’anxiété populaire entretenue à grand renfort de plateaux où chacun voit pour demain la fin d’un monde. Disons-le d’emblée, je n’ai jamais eu de fascination pour le cinéma de ce réalisateur et je n’ai donc jamais cherché à l’écouter particulièrement. Aux premières minutes du dialogue avec l’animateur, je ne regrettais pas mon manque de curiosité à son égard : banalités, grossièretés avec des propos faussement légers sur les femmes et en tous points accablants de vulgarité... Et tout d’un coup, il y eut comme une petite flamme : interrogé sur la montée de l’antisémitisme, le voici qui se met à parler de pardon. Lui le fils d’un juif et d’une catholique, d’une voix toujours douce, refuse la surenchère et la posture victimaire. Il dit qu’il faut dépasser la loi du talion qui ne mène à rien qu’à un aveuglement des combattants après qu’ils se soient arrachés mutuellement leurs yeux...
La certitude du cœur
Si les brûloirs de nos églises sont si chargés devant les statues du Sacré Cœur de Jésus, n’y a-t-il pas un signe puissant pour nous ? Il y a, profondément inscrit dans le bon sens du croyant, la certitude que le cœur ne peut pas se laisser enfermer par la versatilité des sentiments humains. Ou plutôt qu’il faut l’assurer auprès d’un cœur fiable, qui ne trahira pas. Un cœur qui ne se laisse pas aller au gré des colères et des peurs mais qui maintient, réguliers et rassurants, le rythme de ses battements pour que le sang circule dans tout le corps, pour tous les membres. Le cœur ne se révèle pas dans la perte de sens où conduit la vengeance. Il s’y perd.
"La culture des humbles", comme l’écrit François, est la culture de l’homme qui mesure chaque jour le prix de sa vie tant il sait son existence précaire. Elle est celle de celui qui sait bien qu’il ne peut rien seul et que ses jours sont recueillis dans la main de son Créateur. Il le sait par la rigueur de son travail, par la dureté du pain à gagner, il l’éprouve par sa fragilité de sentiments, de désirs, de fidélité... Cette culture-là devrait être celle de l’Église dans toutes ses composantes. Car le triomphe de l’Amour invaincu sur la mort s’y révèle bien plus sûrement que dans les mondanités d’un entre-soi de puissants.
Aimer en vérité
"Offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse" (Dilexit nos, 200) ; "la proposition chrétienne est attrayante lorsqu’elle est vécue et manifestée dans son intégralité, non pas comme un simple refuge dans des sentiments religieux ou dans des rites somptueux" (Dilexit nos, 205) : à nous d’avoir l’humilité que s’incarne en nous la présence de Celui dont le Cœur ne cesse d’aimer en vérité. Et plutôt que de chercher à tout prix à lui plaquer nos traits, d’accepter qu’il puisse amoureusement revêtir les nôtres.
Pratique