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Comment les Américains ont-ils pu élire Donald Trump ?

US - AMERICANS - VOTE - IN - THE - 2024 - PRESIDENTIAL - ELECTION

Bureau de vote le 5 novembre 2024 à Las Vegas, Nevada.

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Jean Duchesne - publié le 12/11/24
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La victoire plus nette que prévu de Donald Trump n’est pas à prendre pour un plébiscite, estime l’essayiste Jean Duchesne, agrégé d’anglais et bon connaisseur des États-Unis.

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On a entendu ces derniers temps tellement de commentaires sur l’élection présidentielle aux États-Unis que l’on peut douter qu’il reste encore un petit quelque chose d’original à murmurer sur un sujet aussi rebattu. S’il est simplement sage de présumer que tout n’a pas été dit, c’est parce qu’une réponse satisfaisante à la question est d’emblée déclarée impossible. Le problème est en effet de comprendre comment les Américains ont pu faire confiance à un individu qui, chez nous, n’aurait eu aucune chance. C’est inexplicable ! On a là une variante actualisée de l’étonnement incrédule et méprisant des Parisiens d’il y a deux cents ans dans un célèbre roman épistolaire de Montesquieu, anonymement publié à Amsterdam en 1721. "Comment peut-on être persan ?" devient : "Comment ont-ils pu élire Donald Trump ?".

Un précédent anecdotique

Si l’on essaie de garder la tête froide en s’en tenant à du quantitatif, la victoire en 2024 du président élu en 2016 et battu en 2020 peut paraître historique, puisqu’il n’y a qu’un seul précédent : le démocrate Grover Cleveland a fait deux mandats non consécutifs (1885-1889 et 1893-1897), avec entre deux un républicain à la Maison blanche — sans que cela change grand-chose. Et le récent succès de Donald Trump n’a rien d’exceptionnel par son ampleur. Son avance est certes nette, alors que les sondages annonçaient un résultat incertain et serré. Il l’a aussi emporté dans le vote populaire, contrairement à 2016 où avait obtenu moins de suffrages à l’échelon national, mais plus de "grands électeurs" que sa rivale Hillary Clinton. 

Huit ans après, il a gagné dans tous les États-clés, où d’ordinaire quelques petits milliers de citoyens font basculer d’un côté ou de l’autre, le vainqueur raflant tous les votes électoraux. C’est pourquoi, en gagnant de justesse dans quelques-uns de ces États, on peut être élu même si l’on perd largement ailleurs : l’écart local n’est pas pris en compte. En l’occurrence, avec un peu plus de 50% des voix (contre à peine moins de 48% à Mme Harris, de "petits" candidats se partageant le reste), Donald Trump a obtenu un peu plus de 57% des délégués à l’élection finale et formelle en décembre.

Quand un tiers en vaut deux

Ce n’est cependant pas un raz-de-marée. Rien à voir avec les élections triomphales de Franklin D. Roosevelt, bénéficiant de près de 90% des votes électoraux dans les années 1930-1940. Dwight D. Eisenhower en 1952 et 1956, Lyndon B. Johnson en 1964, Richard Nixon en 1972, Ronald Reagan en 1980 et 1984 et George H. Bush en 1988 ont dépassé les 80%, ce qui amplifiait le soutien d’au moins deux tiers des votants dans tout le pays. Ce système peut sembler bizarre et injuste, mais on a pu dernièrement voir "pire" dans une démocratie reconnue exemplaire : au Royaume- Uni en juillet 2024, un tiers des votes exprimés a procuré aux travaillistes les deux tiers des sièges à la Chambre des Communes.

Un autre élément qui relativise la victoire de Donald Trump est la participation électorale. Elle semble avoir été de l’ordre de 65%. C’est mieux que récemment chez les Britanniques (60%), et aussi que précédemment aux États-Unis. Le taux a pu descendre là-bas sous les 50% au milieu du XXe siècle et remonte régulièrement depuis. On peut voir là, contre les idées reçues, un indice de ré-européanisation de l’Amérique. Ce qui confirme une telle inversion du mimétisme entre le Nouveau Monde et l’Ancien est que clivage entre les deux grands partis ressemble de plus en plus à l’antagonisme idéologique "droite-gauche" sur le vieux continent. À quoi on pourrait ajouter une sécularisation qui progresse sensiblement : en 2000, un Américain sur dix était "sans religion" ; aujourd’hui, c’est près d’un sur cinq.

Le vote "contre" plutôt que "pour"

Toujours est-il que ces chiffres montrent qu’un tiers seulement des électeurs potentiels (la moitié des deux tiers qui se sont donné la peine de voter) a choisi Donald Trump. Par comparaison, la participation en France aux présidentielles est proche des trois quarts. En 2017, Emmanuel Macron (moins bien réélu en 2022, car le pouvoir use) a recueilli au second tour les deux tiers des suffrages, soit quasiment la moitié des inscrits — mais pas tout à fait, car un peu plus de 3% des votants au premier scrutin se sont abstenus, ne voulant d’aucun des deux candidats qualifiés.

Tous ces chiffres suggèrent que les choix des citoyens sont loin d’être unanimement des adhésions enthousiastes. On ne vote pas toujours pour le candidat idéal. Et quand on se décide, on prend généralement le moins mauvais, ou plutôt celui qui paraît porter plus de promesses que de menaces. Il est fréquent aussi que l’on vote carrément contre quelqu’un que l’on juge inacceptable, fût-ce sur un seul point non strictement politique (tel l’avortement). Et l’option si étroitement motivée s’inverse vite une fois l’élu au pouvoir. L’échec de Donald Trump en 2020 en est une illustration. Son come-back (son retour) ne signifie pas que tous ceux qui l’ont préféré à sa rivale l’exonèrent de tous ses défauts et lui attribuent l’infaillibilité pour son second mandat.

Le domaine du relatif

On est donc dans le domaine non pas de l’absolu, mais du relatif, de l’immédiat provisoire et de l’irréfléchi. Les exagérations grossières de Donald Trump, son obstination à nier sa défaite en 2020, la désaffection de nombre de ceux qui ont travaillé pour lui et toutes les casseroles qu’il traîne n’ont pas pesé lourd, du moins chez les versatiles influençables ou les impulsifs, face à des slogans aussi simplistes et vagues que "Rendons sa grandeur à l’Amérique" (Make America Great Again) ou "Trump va tout réparer" (Trump Will Fix It). Son adversaire n’a pas trouvé de formules symétriques. Et surtout, elle n’a pas su y opposer un idéalisme mobilisateur, à la fois généreux et patriotique (comme y a réussi John Kennedy en 1960), ni se démarquer du progressisme minoritaire mais culturellement oppressif de l’idéologie woke.

On passe ici du quantitatif au qualitatif. On peut trouver fâcheux, voire choquant, que ce soit finalement quelques poignées d’esprits à la mémoire aussi courte que la vision qui décident quasi négligemment, sur des critères flous, à qui sont confiées des pouvoirs considérables. Mais peut-on regretter le temps des tyrannies et des batailles rangées pour trancher les différends entre factions ? On peut reprendre la boutade de Winston Churchill en 1947 (alors qu’il était dans l’opposition pour avoir perdu les élections après avoir gagné la guerre) : "La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes celles qui ont été essayées."

Péguy et Bernanos contre Lénine et Maurras

On peut même se demander s’il n’y a pas une espèce de sagesse involontaire chez ceux qui, en soupirant plus ou moins, ont opté pour Donald Trump comme moindre mal. Un choix aussi réticent ou résigné envoie un message subliminal : c’est que l’essentiel ne se joue pas au niveau du politique. Le mot d’ordre "Politique d’abord !" est lancée par Charles Maurras en 1919. Mais l’idée se trouve déjà, à l’autre extrême, dans le Que faire ? de Lénine en 1902. 

Les chrétiens Péguy et Bernanos, venus l’un de la "gauche", l’autre de la "droite", ont, chacun à sa manière, souligné que la politique relève des moyens et s’égare si elle est érigée en fin, si l’ambition se limite à la conquête puis la conservation du pouvoir. Il ne s’ensuit pas que les empoignades politiciennes sont vaines ou méprisables. Car faire d’un candidat aux plus hautes fonctions un sauveur (ou inversement un guignol), c’est tout autant s’aveugler (et ainsi nier le concret de la charité) qu’imaginer le bien commun se passant de serviteurs.

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