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Avec sa mascotte Luce, le Vatican adopte la culture kawaii

Mascotte Luce Jubilé

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Pierre Téqui - publié le 05/11/24
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La mascotte du Jubilé 2025 n’en finit pas de faire parler d’elle. Que l’inspiration japonaise de "Luce" plaise ou non, c’est une tradition catholique de s’adresser à l’Église universelle avec un registre visuel qui ne soit pas uniquement européen, explique l’historien de l’art Pierre Téqui.

Mgr Rino Fisichella, responsable du Jubilé 2025, a fait une annonce ce 28 octobre 2024 largement relayée dans les médias et sur les réseaux sociaux : la présentation d’une mascotte. Celle-ci a même un nom, "Luce" — qui signifie "lumière" en italien. Elle est destinée à accompagner le jubilé de 2025, un événement mondial dont la tradition remonte à l’an 1300 et que Rome organise tous les 25 ans. La Croix nous apprend que Luce a été imaginée par Simone Legno, cofondateur de la marque Tokidoki. Sur sa page Instagram, le créateur a détaillé les éléments symboliques de son personnage : la lumière dans les yeux en forme de coquille Saint-Jacques représente la vision de la lumière divine et le cheminement vers elle ; le chapelet incarne une vie chrétienne imprégnée de prière ; le bâton de pèlerin fait référence au thème du jubilé 2025, "Peregrinantes in spem" ; les bottes sales rappellent les difficultés du parcours ; l’imperméable de marin symbolise la protection divine lors des tempêtes de la vie, et sa couleur jaune évoque celle du Saint-Siège.

Un véritable succès

Enfin, Luce n’est pas seule. Elle a des amis nommés Fe, Xin et Sky, et tous sont entourés de compagnons : un angelot, la colombe du Saint-Esprit et un petit chien symbolisant l’amitié et la fidélité, tout en évoquant également saint Roch, le patron des pèlerins. Les parents qui offriront cette mascotte à leur enfant auront matière à raconter de nombreuses histoires, qui peuvent remplacer les contes du soir. En tout cas, on aimerait que toutes les images catholiques actuelles soient aussi riches de sens que cette mascotte. Soyons clairs : cette image est un véritable succès. Alors que le crucifix créé par Riccardo Izzi pour le même événement était passé inaperçu, tout le monde partage maintenant Luce sur les réseaux sociaux. Beaucoup mettent en avant leurs talents de dessinateurs ou utilisent l’intelligence artificielle pour s’approprier l’image de Luce, la recréer, la transformer et la représenter dans des situations variées. Sur X, le père Matthew P. Schneider s’est amusé à en recenser quelques exemples. À peine créée, Luce a déjà trouvé sa place.

Les mascottes japonaises

Quelques esprits chagrins maugréent. Il est vrai que la ville de Michel-Ange et de Raphaël nous avait habitués à des représentations différentes, mais est-ce pertinent de le relever ? Un jubilé ne s’adresse pas qu’aux Français, ni même uniquement aux Européens. Plus de 32 millions de visiteurs sont attendus, parmi eux des Chinois, des Coréens et des Japonais. Bien sûr, il existe une histoire française des mascottes. Le mot vient du provençal mascoto et a été popularisé en 1880 grâce à l’opéra-comique éponyme d’Edmond Audran. Depuis, on trouve des mascottes pour des équipes sportives, des marques ou des événements, renforçant une identité et favorisant un soutien. Aujourd’hui, les mascottes jouent un rôle central dans notre société de l’image et de la communication.

Faut-il en conclure que le Vatican a cédé aux sirènes de la communication, aux coquilles vides, aux slogans creux ? Ce serait oublier la place spécifique de ces mascottes dans la culture visuelle des catholiques japonais. Au Japon, l’utilisation moderne des mascottes, particulièrement les yuru-chara (personnages doux ou mignons), désigne des mascottes créées pour représenter des villes, des régions, des entreprises et même des services publics. Chaque année, des compétitions nationales récompensent les plus populaires. Ces personnages sont aujourd’hui omniprésents et incarnent des messages de bienveillance, d’éducation ou de soutien social.

Inculturation

Naturellement, il existe aussi des mascottes catholiques au Japon, souvent utilisées par des églises, diocèses ou institutions pour apporter une touche de convivialité et attirer l’attention sur des activités religieuses, éducatives ou culturelles, voire pour encourager la prière et l’intercession. C’est le cas de Justo Takayama Ukon, béatifié par le pape François en 2017. Il fut un samouraï japonais qui se convertit au catholicisme en 1563. Issu d'une famille noble, il se distingua par sa foi chrétienne, qu’il adopta sous l'influence de missionnaires jésuites. Lorsque le Japon promulgua des lois anti-chrétiennes, Ukon choisit de renoncer à sa position et à ses terres plutôt que d'abandonner sa foi. En 1614, il fut finalement exilé à Manille, où il décéda peu après son arrivée. Dans le diocèse d’Osaka, Justo-kun est une mascotte dédiée au bienheureux Takayama Ukon, et possède même une page Facebook sur laquelle on peut lire que la petite peluche travaille pour atteindre la canonisation.

C’est cela l’inculturation : l’idée que le message et les pratiques chrétiennes doivent être adaptées à des cultures spécifiques, de manière à respecter et valoriser les expressions culturelles locales tout en restant fidèles au message chrétien. Ce processus consiste à intégrer la foi chrétienne dans une culture donnée, permettant aux symboles, traditions et expressions culturelles de s’unir harmonieusement aux enseignements et rituels de l’Église. Au Japon, cela peut inclure une mascotte d’un saint béatifié, pour la canonisation de qui un diocèse prie avec ferveur. Il est donc du rôle du Saint-Siège de s’adresser à l’Église universelle avec un registre visuel qui ne soit pas uniquement européen. Et puisque le manga a tant conquis le cœur des jeunes, on ajoutera que Luce est une mascotte qui a toute ses chances de rejoindre leur culture.  

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