Sélectionner votre futur enfant en fonction de son quotient intellectuel ? Voilà l’une des promesses qu’Heliospect Genomics vendrait à ses clients, pour la modique somme de 50.000 dollars. Cette start-up américaine spécialisée dans le domaine de la prédiction génomique est au cœur d’une enquête menée par une organisation ultra militante britannique Hope Not Hate qui aurait infiltré la société et réalisé des enregistrements et vidéos cachés, mis en ligne le 18 octobre 2024. La start-up collabore avec le couple Malcolm et Simone Collins, figures controversées du mouvement pronataliste, qui rêvent de "repeupler la Terre avec des bébés optimisés". D’après The Guardian, qui relaie et complète l’enquête, cinq couples auraient déjà eu recours à la fécondation in vitro puis à la sélection de leurs embryons derrière cet objectif. "Il y a des bébés en route", affirmait en 2023 Michael Christensen, PDG danois d’Heliospect et ancien trader des marchés financiers. Ils doivent être nés. On espère pour eux qu’ils correspondent bien aux attentes de leurs parents, et qu’ils sont déjà capables de distinguer Bach de Mozart, de compter leurs petits pois jusqu’à trente et de calculer la masse volumique de leur lait en poudre. Je plaisante, bien sûr…
Le mythe du bébé amélioré
En réalité, le mythe du bébé amélioré ne date pas d’hier. Dans les années quatre-vingt, en Californie, un homme d’affaire fortuné avait créé une "banque de sperme de génies". Il contactait les prix Nobel, les scientifiques, les universitaires pour les convaincre de lui léguer leurs précieux gamètes... 230 bébés sont ainsi nés de cette prétendue élite génétique. Ce qui est nouveau, c’est que nous ne sommes plus dans des méthodes empiriques comme celle du tri des donneurs. Nous sommes dans la sélection de ceux qui seront conçus. Et cela, avec l’aide d’outils biotechnologiques et numériques de plus en plus poussés.
Heliospect n’est pas une clinique de procréation artificielle. Elle travaille sur le développement d’algorithmes qui seraient en mesure d’analyser les données génétiques des embryons, ce qu’ils appellent "notation polygénique". L’objectif étant de les trier et de sélectionner ceux dont le profil correspondra le plus aux attentes parentales. La start-up travaille sur le QI, mais ce n’est pas la seule option qui intéresse les concepteurs et biologistes… D’autres critères, dont la détection est déjà bien maîtrisée, entrent en compte également (sexe, couleur des yeux, des cheveux, taille, prédispositions à l’obésité...) et d’autres font l’objet de recherche. Les embryons, pour être passés au crible, auront dû être conçus in vitro pour être mis à disposition de biologistes et techniciens. Les algorithmes analysant les données génétiques des embryons seraient capables, selon la start-up, de prédire le QI que développera plus tard l’enfant. Passer par leur système, se vantent-ils, entraînerait un gain de QI moyen de plus de six points…
Consentement à vie
Heliospect affirme qu’elle a créé ses outils de prédiction grâce à l’immense base de données médicales UK Biobank à laquelle elle avait accès pour un projet visant à "améliorer les prédictions du risque génétique" pour diverses maladies. UK Biobank est une structure financée principalement par le ministère de la Santé, et donc le contribuable, et pas des œuvres de bienfaisance, et qui regroupe les informations médicales d’un demi-million de britanniques volontaires. Ces informations vont du profil génétique à des scintigraphies cérébrales, des tests cognitifs, les dossiers scolaires et médicaux… L’objet de cette immense banque de données est de nourrir la recherche médicale de manière globale, dans des secteurs très variés.
L’être humain ne peut se résumer à son code génétique, comme on placerait un code barre sur son front qui, par un lecteur magique, nous dirait tout de lui.
D’après l’enquête, les britanniques qui ont donné leur consentement à vie pour entrer dans ce programme sont informés que leurs données seront utilisées "pour soutenir un large éventail de recherches visant à améliorer la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies, ainsi que la promotion de la santé dans l’ensemble de la société". Se faisant, ils renoncent à tous leurs droits et mettent à disposition l’ensemble des informations concernant leur santé et leur profil génétique. Il va sans dire que rien ne serait possible sans ces immenses bases de données, et que leur existence ainsi que leurs champs d’action, plus ou moins contrôlées, capables du pire comme du meilleur, sont très problématiques.
Augmenter le QI ? Une arnaque
Évidemment, trier les embryons en fonction de leurs options, comme on choisit une voiture, ne permet pas d’augmenter leur QI. C’est juste un tri qui se fonde sur des données connues concernant un ou plusieurs gènes. S’en suit la décision d’implanter dans l’utérus l’embryon qui aurait, au stade de quelques cellules, la meilleure note !
Mais l’être humain ne peut se résumer à son code génétique, comme on placerait un code barre sur son front qui, par un lecteur magique, nous dirait tout de lui. Cette pensée est celle d’un autre âge, où le déterminisme génétique prenait trop de place dans les esprits. L’intelligence n’est pas simplement déterminée par le QI. De même que le QI n’est pas déterminé par un ou deux gènes. L’intelligence est un phénomène complexe, multiforme, profondément humain et évolutif. La génétique y joue sa partie, sans doute avec l’interaction complexe de dizaines de gènes, mais cette partie est plus que limitée. C’est sans compter tout ce qui se joue dans la vie : quel environnement, quelle vie in utero, quels apprentissages dans l’enfance, quelles expériences, quel travail, quelles aspirations, quel entourage, quelles difficultés, quels échecs, quels succès, quelle culture, quels pays, quels amis, et bien sûr, quel corps, quels sens, quelle sensibilité ? Bref, quelle vie ! C’est tout cela, et plus encore, qui joue dans la construction d’une intelligence, toujours singulière et unique.
La porosité entre eugénisme négatif et positif
L’idée qu’il faudrait en passer par la technique pour faire des enfants de manière "sécurisée" s’installe sournoisement. Comment s’étonner ? La pression est là. Nos sociétés sont déjà très acclimatées par ce qu’on peut appeler un eugénisme négatif. On peut qualifier d’eugénisme négatif tout ce qui vise à trier, éliminer, empêcher la naissance de bébés présentant des anomalies ou ne correspondant pas aux critères recherchés. Cette pression pèse sur les femmes et les couples lorsqu’un doute s’insinue sur la santé de l’enfant à naître. Le cas le plus tristement emblématique étant celui des diagnostics de trisomie 21, conduisant à un avortement dans plus de 95% des cas. L’eugénisme "positif", lui, se décrit comme celui qui vise la naissance d’enfants selon certains critères, perçus comme étant avantageux, qu’ils soient médicaux ou non. C’est exactement ce dont on parle ici, avec cette absurde prétention à améliorer le QI d’un enfant.
Or, la frontière entre ces deux formes d’eugénisme est très ténue. La ligne de démarcation ne peut s’écrire de manière claire, immuable, intemporelle. Dès lors, attendu que la première est quasiment "entrée dans les mœurs", étatisée, remboursée même dans certains pays, comme le nôtre, par l’assurance-maladie, le basculement vers cette deuxième forme d’eugénisme, qui n’est que l’autre face d’une même médaille, peut s’opérer. Et s’insinuer dans les pratiques, les projets de recherche, les rêves de profit et les mentalités.
Otage de sa conception, quel droit d’être soi ?
Notre société ne pense pas assez ce qui se passe autour de la procréation artificielle. Du côté de l’enfant, comme de celui qui conçoit le projet. Parmi les 230 bébés nés de la banque des génies, il y a Tom, conçu avec un donneur diplômé du MIT doté de 160 de QI. Tom confie s’être senti toujours "obligé de faire quelque chose de ce merveilleux matériel génétique" par lequel il avait la chance d’exister. Il savait dans quelles conditions il était né, sa mère lui rappelait sans cesse. Comment un enfant accueillera-t-il l’idée qu’il existe parce qu’il a obtenu le droit de naître "sous conditions", à la suite d’un tri, d’une amélioration, d’un contrat posé sur lui ? Un enfant programmé génétiquement, fabriqué "sur mesure" pour s’ajuster au désir de celui, celle ou ceux qui l’auront commandé, peut-il vivre paisiblement cette situation et s’épanouir sans y penser ? Peut-il être complètement lui-même ? Mais surtout, n’oublions pas la magnifique complexité de l’être humain. Un jour un Tom sera peut-être créé avec le gène de l’oreille absolue. Mais qui dit qu’il aimera la musique ?
Une société de moins en moins meilleure
Et du côté des concepteurs ? Comment cette toute-puissance qui s’immisce dans le mystère de la naissance pourrait-elle rester sans effets délétères ? En réalité, cette quête de perfection est une illusion. Et un lieu de perdition. Elle est et sera source d’immenses désillusions. Au motif d'épargner quelques souffrances, elle pourrait bien en engendrer de nouvelles... Et si, à mesure que la technique courre derrière l’illusion de perfectionner l'espèce humaine, dans cette tentation de vouloir rendre autrui "meilleur", ce serait nous-même, et notre société que nous rendions moins meilleurs ?