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Andrada Noa : “Je veux apporter de la beauté et de la douceur au monde”

Andrada Noa

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Mathilde de Robien - publié le 25/10/24
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Pour mieux comprendre la Bible, Andrada Noa, fondatrice d'Augustine Éditions, décide d’apprendre l’hébreu. De cette expérience linguistique hors du commun naissent une vocation – faire découvrir l'histoire des lettres – et une conversion spirituelle.

Il y a un an, Andrada Noa lançait sa propre maison d’édition, Augustine Éditions, en même temps que ses premières collections dont le petit joyau est un livre intitulé Le Jardin des Lettres. Un condensé d’intelligence et de poésie qui retrace l’histoire et la généalogie des lettres de l’alphabet. Contre toute attente, Andradra Noa, ex-journaliste, rencontre un vrai succès, notamment à travers les réseaux sociaux. Cette trentenaire originaire de Roumanie et installée en Alsace nourrit régulièrement de sa voix douce et de son univers qu’elle qualifie elle-même de "désuet" ses 70.000 followers sur Instagram. Une passion pour les lettres liée à son parcours spirituel, qui l’a menée d’un baptême orthodoxe à la foi catholique, en passant par une "nuit noire de l’âme". Une conversion à propos de laquelle elle reste discrète sur les réseaux mais dont elle témoigne pour Aleteia.

Aleteia : En un an, vous avez monté votre maison d’édition, publié votre livre qui s’est vendu à 1.500 exemplaires sans réseau de distribution, mais aussi des posters et des cahiers d’écriture. Vous avez créé un véritable univers sur un sujet de niche : l’histoire des lettres, qui attire 72.000 followers sur Instagram et 27.000 abonnés sur TikTok. Comment expliquez-vous un tel succès ?
Andrada Noa : Une amie me disait que le besoin de poésie manque sur la pyramide de Maslow. Nous avons tous un besoin poétique, et ce besoin est loin d’être comblé de nos jours. Donc quand on fait défiler son fil d’actu sur les réseaux et que l’on voit quelque chose de beau, on est touché. C’est pour cette raison que je m’efforce d’apporter du soin et de la douceur dans les visuels, dans la manière de parler, pour que ça respire, et que cela touche le besoin poétique des gens. Et ce que j’adore ressentir, et que j’essaie de provoquer chez les autres, c’est cette joie intense qui se produit quand on a un déclic, quand on comprend quelque chose, quand on fait un lien logique, étymologique ou historique entre deux choses. Le jour où j’ai appris que "omicron" voulait dire "petit o" et "omega" "grand o", quelle joie ! Une joie que j’aime transmettre et j’imagine que ceux qui me suivent aiment la ressentir aussi.

Quelle est votre formation et comment en êtes-vous arrivée à Augustine Editions ?
J’ai fait une Licence de langues et interculturalités, un Master de relations internationales et un Master de journalisme. J’ai travaillé pour la radio et la presse nationale quotidienne. J’aime les mots, la parole, le récit, et je pensais que le métier de journaliste me comblerait. Mais j’ai eu davantage l’impression de participer au bruit et à la laideur du monde plutôt que d’apporter de la beauté. J’ai voulu changer de vie pour apporter de la beauté et de la douceur au monde. Au début, je ne savais pas trop comment. Je suis partie de ce que je savais faire : monter des vidéos, mettre en page, éditer, dessiner… J’avais des histoires à raconter. J’avais envie de créer quelque chose qui m’appartienne, d’où le choix de l’autoédition. Je veux faire vivre mes créations, avec mes valeurs, choisir mes papiers, mes couleurs, créer une voix, un univers… J’ai commencé sans business plan, sans stratégie pour les réseaux sociaux, en préparant mes commandes sur la table de la salle à manger avec ma mère et ma meilleure amie, jusqu’à ce que je sous-traite le stockage et la préparation des commandes. J’ai appris sur le tas ! J’ai réalisé qu’il fallait suivre son stock le jour où on m’a demandé un poster que je n’avais plus !

Votre livre raconte, de manière graphique et érudite, la généalogie des lettres, en passant par l’hébreu, le grec, le cyrillique, le phénicien, le syriaque ou encore l’étrusque. D’où vient cette passion pour les lettres ?
C’est en lien avec mon parcours spirituel. Quand j’ai recommencé à lire la Bible il y a quelques années, je me suis interrogée sur des phrases, des mots, que je ne comprenais pas bien. J’ai eu besoin de revenir à l’hébreu pour comprendre la Bible. "Tsela" par exemple est traduit par la côte d’Adam, mais ce mot signifie aussi à côté, contre. Est-ce que c’est "contre", en opposition, ou "contre", comme un tuteur qui soutient ? Une langue fascinante mais incompréhensible pour moi à l’époque ! J’ai donc commencé à apprendre l’hébreu pour comprendre le contexte linguistique, la famille des langues sémitiques, et aussi la façon d’écrire. Je l’ai comparé avec l’araméen, et me suis rendu compte que des familles de lettres étaient reliées entre elles. J’ai eu besoin de dessiner l’évolution des lettres et des écritures, et c’est ainsi que j’ai imaginé un arbre phylogénétique des lettres.

Mais d’où viennent toutes ces connaissances ?
Elles proviennent de mes lectures, jusqu’à tard le soir ! Quand je refuse un dîner en disant que je suis "déjà prise", cela signifie que je vais me faire une tisane et que je vais étudier tard le soir avec mon chien sur les genoux !

Chaque lettre a donc une histoire ?
Chaque lettre a une histoire, qui nous vient généralement du Moyen-Orient, inspirée par un hiéroglyphe (avec un usage différent de ceux de la langue égyptienne) adapté au tracé protosinaïtique (que l’on a retrouvé dans le Sinaï, sur des pierres), et qui a donné en ligne directe l’alphabet phénicien. Une grande partie des lettres ont leur source dans le phénicien. Le phénicien a donné une branche araméenne, qui donne elle-même l’hébreu, l’arabe, le samaritain… et une autre branche sud arabique. L’étrusque copie le phénicien, le latin copie l’étrusque… Chaque langue a connu des adaptations, et c’est ainsi que l’on peut découvrir l’évolution des caractères.

Vous dites que votre parcours spirituel a pris un tournant lorsque vous avez "recommencé" à lire la Bible, quel est votre parcours spirituel ?
Je suis baptisée orthodoxe. Une partie de ma famille est très orthodoxe mais mes parents non. J’ai eu la chance d’être scolarisée dans l’enseignement catholique privé, où j’ai adhéré sans résistance à la foi catholique qui m’a accompagnée jusqu’au début de ma vingtaine. Ensuite je suis allée travailler à Paris et j’ai traversé cette période que saint Jean de la Croix appelle "la nuit noire de l’âme". J’ai vécu cette vie moderne, vide de sens et vide de présence, et je me suis retrouvée assez malheureuse, et entourée de beaucoup de personnes encore plus malheureuses que moi ! Je me suis dit que quelque chose n’allait pas dans cette façon de vivre. Je ressentais un manque, comme si tout d’un coup le monde n’était plus habité. On est beaucoup trop occupé par soi-même, sans aucune considération pour ce qui nous dépasse ou qui dépasse notre nombril. Ce n’est pas une bonne recette pour la joie intérieure et pour la paix.

Comment avez-vous réagi ?
Je me suis dit "Dieu me manque !", et je me suis retournée vers lui par des lectures, notamment la Bible, mais aussi saint François de Sales, sainte Thérèse d’Avila, sainte Hildegarde de Bingen, ou encore le livre Mysticisme d’Evelyn Underhill. À partir de là, j’ai entamé un chemin de conversion. Je me suis prise d’affection pour la messe traditionnelle, c’est un tel concentré de beauté ! Je commence mes journées par une prière, même courte, je demande à Dieu de me guider vers sa volonté, vers les plans qu’il a pour moi, j’aspire à offrir mes journées à Dieu.

Pourquoi avoir choisi "Augustine Editions" comme nom de marque ?
Tout simplement parce que ce projet correspond à un moment de conversion et que je suis une lectrice très fervente de saint Augustin.

Avez-vous des projets à venir ?
Bien sûr ! J’ai bien plus d’idées que de temps pour les réaliser ! En novembre je sors un jeu de sept familles sur les lettres. Pour l’année prochaine, j’ai en tête de nouvelles collections autour de la botanique, des valeurs hellénistiques, de l’histoire de l’art… Je le dis avec beaucoup d’humilité et de précaution car cela peut paraître présomptueux mais j’ai le sentiment, dans le succès de cette petite entreprise, d’être accompagnée. Autant de chance, d’alignement des événements favorables, d’opportunités, d’accueil... Je fais des erreurs aussi mais jamais irrémédiables. J’ai le sentiment que je ne réussis pas toute seule.

Pratique

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