L’Église est présente auprès des détenus depuis l’époque constantinienne, obéissant à la parole du Christ venu "chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19, 10). À la suite de saint Vincent de Paul, aumônier royal des galères dès 1619, de nombreux aumôniers manifestent la proximité de l'Église de France dans les prisons. Tous les six ans, ceux-ci se retrouvent pour partager leur expérience et réfléchir à leur mission. Cette année, c’est à Lourdes qu’ils travailleront sur le thème “Rejoints par le Christ, cheminer ensemble au pas de l’autre” du 10 au 13 octobre.
À cette occasion, l’aumônier national catholique des prisons, Bruno Lachnitt, rappelle la double nécessité de cet engagement, pour servir le besoin spirituel des détenus, reconnu par l’État laïc. Mais aussi pour la crédibilité de l’Église et du message évangélique qu’elle clame : Jésus lui-même s’est fait proche des pécheurs. "Les plus grands pécheurs font les plus grands saints", assure même Bruno Lachnitt à partir de l’exemple de Jacques Fesch, condamné à mort pour homicide et désormais en route vers la béatification. Car la mission d’un aumônier de prison est celle-ci : redonner confiance et "accompagner les prisonniers vers le meilleur d’eux-mêmes".
Aleteia : Pourquoi votre mission d’aumônier catholique est-elle nécessaire ?
Bruno Lachnitt : Notre mission d’aumônerie est nécessaire à deux titres. D’abord d’un point de vue légal puisque la République reconnaît à chacun le droit d’exercer le culte de son choix, de sorte que l’État prévoit des aumôniers dans les lieux où les personnes sont empêchées de le pratiquer : hôpital, armée, prison... Ainsi honore-t-il le droit des personnes détenues à satisfaire un besoin spirituel. La loi prévoit ainsi l’existence d’aumôniers de prison, catholiques notamment. Mais la présence auprès des détenus est aussi nécessaire du point de vue de l’Église, qui répond à ce besoin spirituel. En effet, en se faisant proche de ceux qui sont en prison, les chrétiens sont au plus près de ce que dit l’Évangile, de ce qui en est la "substantifique moëlle". Jésus lui-même est venu manger avec les publicains et les pécheurs, provoquant la colère des pharisiens (cf. Mc 2, 15 et sq.). Le "Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19, 10). Où l’entendre mieux qu’en prison ? Voilà qui est essentiel pour l’Église tout entière.
Durant cette période singulière, la soif de Dieu s’exprime davantage, comme dans les hôpitaux d’ailleurs.
Quels sont les besoins spirituels spécifiques des prisonniers ?
La prison est un moment particulier, durant lequel on se retrouve face à soi-même, on relit sa vie, on essaye de comprendre comment on en est arrivé là… C’est donc un temps privilégié pour une démarche spirituelle. Les détenus ne sont pas forcément pratiquants en dehors, mais durant cette période singulière, la soif de Dieu s’exprime davantage, comme dans les hôpitaux d’ailleurs. Fragilisé, on est plus ouvert pour faire un chemin et se poser des questions. Les aumôniers, dont 65% de laïcs, sont là pour rencontrer et accompagner les prisonniers vers le meilleur d’eux-mêmes. Cela peut passer par l’administration des sacrements, mais pas seulement, bien que la messe soit célébrée pour les prisonniers. La relation commence par un premier acte de foi de l’aumônier : ne pas réduire la personne à l’acte qui l’a conduite en prison. Dans sa manière d’être, il manifeste alors qu’elle porte quelque chose de plus noble et de plus grand que ce qu’elle pense alors que les détenus ont souvent une vie cabossée et n’ont pas confiance en eux.
Comment votre regard sur l’humanité a-t-il évolué depuis que vous fréquentez les prisonniers ? Je ne sais pas…parce qu’il n’était pas négatif avant de devenir aumônier de prison ! Peut-être que mon regard a évolué en ce sens qu’il est devenu concret, que j’ai vécu une forme de conversion intérieure. On peut avoir un présupposé positif sur l’humanité, des idées à ce sujet, mais le vivre dans la rencontre avec quelqu’un, c’est autre chose. Plus on est confronté à des situations où cet acte de foi en la bonté des hommes est difficile, plus l’on vit ce que l’on dit, et c’est un chemin de conversion.
Les colonnes de l’Églises elles-mêmes ne sont-elles pas un renégat (saint Pierre) et un persécuteur (saint Paul) ?
Comment résonne en vous la possible béatification de Jacques Fesch ?
J’ai vu le seul-en-scène qui reprend son parcours et ces cinq heures qui ont changé sa vie. Voilà un parcours assez exceptionnel, extraordinaire ! Il est fort de voir avancer la béatification de quelqu’un qui fut condamné à mort. Les colonnes de l’Églises elles-mêmes ne sont-elles pas un renégat (saint Pierre) et un persécuteur (saint Paul) ? Les plus grands pécheurs font les plus grands saints et la médiocrité dans le péché se retrouve souvent dans la sainteté. Il y a là une conversion à faire pour accueillir le fait que les personnes qui ont été des grands pécheurs sont proches du Christ, mais c’est une bonne nouvelle pour des détenus. Ils ne sont ni réduits à ce qu’ils ont fait, ni à leur passé. Jésus, dans l’Évangile, ne cesse d’ailleurs pas d’ouvrir la porte aux pécheurs et d’assurer que l’on n’est pas enfermé dans son passé. Les publicains et les prostituées nous précèdent dans le Royaume de Dieu…(cf. Mt 21, 31)
