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Le télétravail, un obstacle au lien social ?

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Pierre d’Elbée - publié le 19/09/24
Le télétravail a moins la cote ces derniers temps. Sans ces sensations physiques multiples qui rendent la relation vivante et naturelle, observe le consultant en entreprise Pierre d’Elbée, le lien social perd en qualité, au détriment de la confiance.

L’association Wake Up Café fêtait tout récemment ses dix ans d’existence au service de la réinsertion durable de personnes sortant de prison. À cette occasion, j’ai animé un café philo sur le thème « comment reconstruire le lien social » avec une cinquantaine de personnes, professionnels de la réinsertion, du droit, de la santé, responsables d’associations, bénévoles… On y a parlé de bienveillance, de relations authentiques, d’initiatives de la rencontre, de dialogues difficiles et pourtant réussis, de fêtes, de solidarité dans l’effort et pas seulement dans les déclarations… C’était passionnant. La question du lien social est l’affaire de tous, pas seulement des citoyens ou des associations, mais aussi des entreprises et du monde du travail, tout simplement parce qu’on y passe beaucoup de temps, et qu’on y rencontre des personnes avec qui l’on est bien obligé d’entrer en relation. Mais, notamment depuis le Covid, le télétravail vient renouveler la réflexion sur le sujet. En instaurant une relation professionnelle éloignée, mais qui se veut efficace, il interroge sur la qualité du lien social qu’il induit.

Le télétravail, pratique, mais pas sans défaut

Commençons par les lieux communs positifs : du côté des employés, le télétravail évite les transports, permet de gagner du temps, il rend possible le travail pour nombre de parents obligés de rester chez eux quand leur enfant est malade, il accroît l’autonomie des salariés, il rend l’organisation du travail plus souple, et contribue à maintenir un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Côté entreprises, le télétravail permet de réaliser des économies, d’améliorer la qualité de vie de ses salariés, et donc leur motivation, de diminuer l’absentéisme. 

Pour le négatif, il engendre souvent un sentiment de solitude ou d’éloignement, rend la relation moins souple que dans la proximité de locaux communs, les distractions sont nombreuses chez soi, à l’international se pose forcément la question des fuseaux horaires pour des réunions communes, l’assistance technique (informatique) est plus difficile à mettre en œuvre… Mais intéressons-nous au lien social induit par le télétravail. 

Le télétravail diminue la sensation du lien social

Le lien social passe tout d’abord par des sensations extrêmement diverses : la vue et l’ouïe, certes, mais aussi toutes ces petites perceptions dont parle Leibniz, ce cocktail de microsensations disparates que l’on perçoit en présence physique des autres, provoquées par le mouvement à peine audible des gestes, le froufroutement des vêtements, la respiration, le murmure d’une ambiance de travail, les cliquetis des bijoux, le son des claviers… Ces sensations cumulées offrent des informations cruciales, comme la proxémie qui concerne la (bonne) distance physique entre les personnes lors d’un dialogue : elle peut être ressentie comme intrusive, agressive, ou agréable, conviviale… Toutes ces sensations supposent une présence physique. 

Aristote parlait des sensibles communs, comme ce bonjour cordial perçu simultanément à travers une voix chaude, une poignée de main conviviale et un regard bienveillant : ils provoquent ensemble une sensation positive. A contrario, l’expression d’un visage fermé, le tambourinement des doigts et la brusquerie des gestes alertent sur l’intention de l’interlocuteur… Toutes ces sensations apportent des informations qui rendent la relation vivante et naturelle, alors que l’écran peut justement faire écran, c’est-à-dire devenir un obstacle au flux naturel de la communication. On assiste alors à une véritable fringale sensorielle dans le cadre du télétravail, un déficit de réalité sensible difficile à identifier, et pourtant très réel, et qui est au fondement de la préférence universelle pour une interrelation en présence de l’autre, des autres. La science elle-même observe que pour bien communiquer, le cerveau a besoin d’interactions physiques, et qu’un écran interposé diminue sensiblement l’empathie. 

Compenser la pauvreté du lien social via l’écran

Le sentiment de confiance se fonde en grande partie sur ces sensations. Le manque de signaux positifs crée toujours une appréhension. Si la relation via l’écran est forcément plus pauvre qu’une mise en présence physique, il faut alors la compenser par un échange de qualité. Toujours prendre le temps d’installer la relation par des mots d’accueil, des gestes de reconnaissance, de convivialité. Ne pas aller droit au but, ne pas aborder l’objectif utile sans être passé d’abord par une attitude d’altérité, d’accueil personnalisé… C’est précisément le rôle d’un manager de les mettre en œuvre, surtout auprès des nouvelles générations qui semblent particulièrement demandeuses de télétravail. L’écran constitue un premier lien technique. À nous de le transformer en lien humain et professionnel. 

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