Ils ont trop de vacances, sont tout le temps absents, n’ont plus le niveau et sont dépassés par leurs élèves. Ils sont nuls, mal élevés, zappeurs et pourvus de parents démissionnaires. De qui parle-t-on ? Des profs, des élèves et des parents ! Fût un temps où « l’instruction publique » respectait les parents, « premiers éducateurs » de leurs enfants, déléguant à l’école les apprentissages intellectuels : français, mathématiques, histoire-géographie et sciences. Si l’école privée catholique rappelle encore cette primauté des parents sur l’école, chaque réforme scolaire ajoute de nouvelles missions à l’institution. Faut-il passer le permis de conduire à l’école ? Y apprendre à se laver les dents ? Voire apprendre des choses avec lesquelles les parents sont en désaccord ?
Les parents, premiers éducateurs
Pourquoi les parents sont-ils les premiers éducateurs de leur enfant ? Non pas parce qu’ils sont compétents : un bon éducateur spécialisé est mieux formé en psychologie et en développement de l’enfant ! Mais les parents ont un atout supplémentaire : ils aiment leur enfant, sont souvent prêts à déplacer des montagnes pour lui et l’accompagnent sur la durée. Un excellent prof, une assistante sociale dévouée, un psy bienveillant seront présents quelques mois, quelques années. S'ils pourront être de bonnes ressources ponctuelles pour des enfants, ils ont leur propre vie, leur carrière, les limites d’un engagement extérieur. Les parents, même imparfaits, sont présents toute la vie, ou presque. Si chacun a dans son histoire scolaire le bénéfice d’une rencontre avec un professeur marquant, il n’est pas rare d’être aussi victime d’un jugement couperet, comme Alexandre, pharmacien, à qui son professeur principal de 3e avait prédit qu’il n’aurait jamais son bac ! Ses parents n’y avaient heureusement pas cru.
Être parent, c’est évidemment aimer son enfant de manière inconditionnelle, mais c’est aussi le préparer à vivre avec d’autres qui l’aimeront de manière « conditionnelle » : s’il est sympa, gentil, drôle, pertinent, etc. Eduquer vient du latin « ex ducere » qui signifie « emmener plus haut ». Éduquer un enfant consiste à le préparer à avoir une belle vie… sans ses parents, en étant libre, autonome et fécond. Aimer son enfant, c’est prendre soin de lui et de ses besoins, mais pas satisfaire tous ses désirs. Évidemment, au sein de la famille, on s’adapte à chacun, on tient compte des fragilités et des défauts, mais il est aussi nécessaire d’apprendre à s’adapter aux autres pour pouvoir vivre en société. En étant confronté, à l’école, à d’autres, adultes ou enfants, qui bousculent un peu son petit cocon, l’enfant va petit à petit se décentrer de lui-même, apprendre les codes du « vivre ensemble » et comprendre qu’il n’est pas le centre du monde.
Prof, un métier de planqués ?
On envie leurs vacances, la sécurité de l’emploi, leur grande liberté pédagogique... On les dit planqués, mais planqués de quoi ? Être professeur, c’est être en contact avec la réalité de la société, avec tous les milieux, des plus défavorisés aux plus nantis. Ils ont des fournées d’élèves à découvrir chaque année, à qui s’intéresser, auxquels s’adapter, puisque l’élève de 2024 n’est pas celui de 2002 et encore moins de 1985. S’adapter aux élèves et s’adapter aux parents, relève parfois du sacerdoce ! Certains professeurs sont surinvestis, d'autres absents. D'autant qu'il doivent aussi s'adapter aux modes éducatives ! Titouan a besoin de se balancer sur sa chaise pour apprendre, qu’à cela ne tienne, l’école investit dans des fauteuils ergonomiques pour enfants « dynamiques ». Dans la classe, il y a aussi Jérémie qui a besoin de se lever, Charlotte qui pense à voix haute et Kévin qui pose des questions toutes les cinq minutes, sans attendre la réponse. Si on ajoute les enfants dyslexiques dotés d’un ordinateur, l’enfant à handicap avec AESH et l’enfant phobique scolaire qui ne vient qu’à mi-temps, reconnaissons que l’on demande beaucoup de souplesse et d’adaptation aux professeurs !
Ce que vivent les professeurs s’appelle en systémie « des injonctions contradictoires » : comme il est impossible de satisfaire toutes ces attentes, ils sont perpétuellement en échec.
Ils sont à la croisée des attentes des parents, des enfants, et de l’administration : emmener les élèves jusqu’au bac, avec un programme unique, en s’adaptant aux intelligences multiples, aux implications différentes (toutes les familles n’ont pas les mêmes attentes de niveau scolaire), en compensant les inégalités de naissance et en respectant les valeurs des familles. Ce que vivent les professeurs s’appelle en systémie « des injonctions contradictoires » : comme il est impossible de satisfaire toutes ces attentes, ils sont perpétuellement en échec. La tentation est ainsi grande pour certains de mettre tout ce petit monde dans un sac fourre-tout et de se protéger en râlant. Ce qui fait dire à Eugénie, ingénieure reconvertie en prof de maths : « J’adore mon boulot, il est essentiel et a du sens, mais j’évite absolument la salle des profs qui me plombe ! ».
Du côté des professeurs, la tentation d’être « des sachants »
Pendant longtemps, les professeurs ont été plus instruits que les parents de leurs élèves, et forts d’une formation universitaire élitiste disposaient d’un statut social reconnu. Aujourd’hui, ils sont titulaires d’un Master 2 comme un tiers de la population, leur salaire ne fait pas d’envieux et l’accès au savoir permet aux parents d’être parfois plus informés en matière de psychologie ou de pédagogie. Pourtant certains enseignants peuvent avoir une posture de « sachants » à la place de parents qui seraient inappropriés : démissionnaires, laxistes, absents, etc, alors même qu’ils sont eux-mêmes à la maison, des parents… tout aussi imparfaits.
Finalement, parents et professeurs ont un même objectif : permettre aux enfants d’acquérir des savoirs pour gagner en autonomie et en liberté. Dans les écoles Espérance-Banlieue, parents et professeurs décident des sanctions en concertation. Une bonne manière de faire équipe pour aider l’enfant à grandir. Sans en arriver à la sanction, se rencontrer, se connaître, comprendre comment chacun fonctionne et quelles sont les attentes permettent de travailler dans le même sens. Pour la réussite de l’élève. C’est essentiel parce que le monde a besoin de leur énergie !