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Dans la faiblesse, le courage du cœur

PARA-AVIRON-JO-AFP

Podium du para aviron lors des Jeux paralympiques de Paris, 1er septembre 2024.

Blanche Streb - publié le 02/09/24
La force des athlètes paralympiques est une leçon de vie. Pour l’essayiste Blanche Streb, ils nous montrent que c’est dans l’épreuve de leur faiblesse, qu’ils trouvent le courage du cœur.

Nos sociétés postmodernes nous élèvent beaucoup dans l’idée que grandir va de pair avec s’endurcir. Des épreuves, on dit qu’on les "endure". Ce verbe vient du latin indurare, qui contient le mot "dur". Oui, la vie est dure, et c’est la vie… Il faut se blinder, serrer les dents, s’endurcir, parce que c’est comme ça qu’on peut grandir, devenir fort et survivre !

L’une des grâces des jeux paralympiques, qui met à l’honneur tant de personnalités extraordinaires, est de rendre vivante cette énigmatique et parfois agaçante phrase de saint Paul : "Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort" (2 Co 12, 10). La cérémonie d’ouverture nous a offert plusieurs témoignages de personnes devenues handicapées à la suite d’une maladie ou d’un accident. Des témoignages beaux et puissants. Évidemment, les épreuves traversées les ont transformées. Comment en serait-il autrement ?

Comme tout le monde

Lucie Retail, amputée des quatre membres, nous a édifiés par ses paroles : "J’ai un corps qui a survécu. En effet, il ne ressemble plus au code de féminité, mais pour moi c’est le plus fort et le plus beau. Il est plus fort et plus beau qu’il n’a jamais été. […] Parfois je me sens belle, parfois je me sens moche, parfois je me sens forte, parfois je me sens faible, comme tout le monde. Comme avant et comme tout le monde." Dans un monde où l’apparence compte tant, où certains se rendront malades pour quelques kilos en trop ou quelques désagréments esthétiques, son témoignage est une claque. 

"J’ai un corps qui a survécu. En effet, il ne ressemble plus au code de féminité, mais pour moi c’est le plus fort et le plus beau."

Martin Petit, quant à lui, influenceur et grand sportif devenu tétraplégique à 25 ans, nous explique ce que le handicap a produit en lui : « Finalement j’ai pris confiance en moi. Et ce qui est très étonnant est que j’ai beaucoup plus confiance en moi maintenant alors que je réponds peut-être certainement moins aux diktats que nous impose la société. […] Je pense que c’est un travail corporel, mais qui se passe aussi un peu plus haut, au niveau cérébral. »

Ce courage qui vient du cœur

Il y a quelque chose de vrai dans l’idée qu’il faut se fortifier en endurance, en capacité à résister aux coups durs de la vie. Mais cela n’impose pas de s’endurcir. La force, ce n’est pas la dureté. Au contraire, une âme forte est une âme souple. S’il fallait trouver un synonyme à force, ce serait courage qui endosserait le mieux ce rôle. Ce mot si fort qui vient du mot cœur… Bien sûr, le courage n’est pas l’apanage de ceux qu’on croit fort. Si on se croit fort, on n’a pas besoin de courage. D’ailleurs, se croire juste fort est un leurre. C’est souvent là qu’advient la chute. De même, se croire juste faible est un piège, ou une fuite. C’est bien dans la faiblesse ou dans l’épreuve qu’on doit le plus faire nos preuves. Et nous avons tous, en nous, d’immenses forces de vie. En réalité, la fragilité vient créer en nous un manque qui peut nous inspirer à rechercher —  et donc à recevoir ou à trouver — force et courage. C’est ainsi que ces témoins et ces athlètes paralympiques du monde entier qui illuminent Paris sont pour nous des témoins de courage et de force, avec et malgré leurs fragilités.

Au fond, comme le bon grain et l’ivraie, et comme nous le redit joyeusement Lucie Retail, la force et la faiblesse cohabitent en nous : « Parfois je me sens forte, parfois je me sens faible. » D’ailleurs, on peut se demander si la faiblesse en tant que telle existe, ou si elle n’est pas d’abord, seulement et toujours, un simple manque de force. Ainsi on comprend pourquoi force et manque de force cohabitent.

S’endurcir, une illusion

Revenons à la phrase révolutionnaire de saint Paul : "Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort." L’apôtre des nations, qui a ouvert les yeux en commençant par perdre la vue, sait de quoi il parle. Dans la faiblesse, quand la force vient à nous manquer, le manque réalise un appel d’air. C’est alors que le souffle (l’Esprit !) peut s’engouffrer. La faiblesse laisse la place à la force. La vraie force. Dieu lui-même l’a enseigné à Paul : "Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Co 12, 9). Croire qu’il faut s’endurcir entretient l’illusion que cela pourrait nous éviter de souffrir. Cela empêche surtout de vivre. Et c’est une fermeture à la Grâce. Au fond, ce n’est pas notre carapace qui doit être solide, mais notre foi. Pensons à David devant Goliath : il était en bien mauvaise posture… Pourtant, David est saisi de la déroutante intuition qu’il n’est pas seul. Alors, il enlève sa cuirasse et s’avance, désarmé, ou plutôt, armé de sa puissante confiance en Dieu. Il sait que le Seigneur est maître du combat… La suite, on la connaît. Finalement, quand je suis faible j’accepte avec confiance ce que je dois vivre. C’est alors que je laisse la grâce agir. Et c’est alors que je suis fort. 

Au fond, ce qui peut être change un destin, c’est, face à une épreuve, ce consentement parfois surnaturel qui permet de passer du "pourquoi" au "comment". S’évertuer à faire taire les "pourquoi" pour commencer à croire et espérer qu’il existe déjà un "comment". Comment vais-je, comment allons-nous, continuer, traverser, surmonter… ? 

La vulnérabilité, source de fraternité

Évidemment, ce ne sera pas possible par nos seules forces humaines. Cette force passera aussi par les autres : ceux qui se tiennent présents à nos côtés, ceux qui nous inspirent, nous montrent l’exemple. C’est aussi le message de Martin Petit :

Comment on arrive à se rendre visible, et comment on arrive à intéresser les gens, à se poser les bonnes questions et à être des alliés pour nous parce qu’on en a besoin ? La société fait corps ensemble, on fait ensemble. Et on a besoin de s’entraider, de s’écouter. […] Le handicap, tout le monde peut être concerné du jour au lendemain, à un moment il faut arrêter de se cacher. Venir nous chercher, c’est nous donner la possibilité de rendre les lieux accessibles ; si tu le rends accessible pour une personne en fauteuil, tu le rends aussi accessible pour une personne âgée. Finalement, quand tu rends accessible, tu rends accessible pour tout le monde.

La vulnérabilité est une puissante source de fraternité et de liens humains. Elle est notre point commun. Ces jeux paralympiques sont inspirants et nourrissent un véritable respect de la vie et de l’autre. Dans une société gangrénée par un eugénisme consensuel, réjouissons-nous de cet hymne à la vie.

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