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Et si le combat spirituel concernait aussi notre rapport au temps ?

Aliénor Strentz - publié le 01/09/24
Tout chrétien est amené à vivre le combat spirituel pour ressembler de plus en plus au Christ, modèle de sa vie. Evagre le Pontique, Père de l’Eglise du IVème siècle, en avait fait son sujet théologique de prédilection. Il nous donne des clés pour discerner nos pensées limitantes, et garder le cap de l’espérance.

Evagre naît en 345 à Ibora, dans la Province du Pont (d’où son nom "le Pontique"), dans l’actuelle Turquie. 32 ans se sont écoulés depuis la publication de l’édit de Milan en 313, par lequel Constantin et Licinius ont accordé aux chrétiens de l’Empire romain, comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix. Désormais délivrés des persécutions, les chrétiens peuvent rendre compte de leur foi de manière plus apaisée. La seconde moitié du IVème siècle voit ainsi fleurir l’âge d’or des Pères de l’Eglise.

Evagre est d’abord connu comme lecteur de Basile de Césarée jusqu’à la mort du saint évêque en 379. Il a alors pour charge de proclamer les passages de l’Écriture dans la liturgie, et de chanter certaines parties de la liturgie. Vers 380, il est ordonné diacre à Constantinople. Les écrits d’un certain Pallade (qui connut personnellement Evagre) nous renseignent sur la vie mondaine d’Evagre à cette époque : "attiré par les beaux habits", imbu de sa personne, il tombe amoureux d’une femme mariée qui le poursuit de ses assiduités. Averti en songe par un ange, il fuit dès le lendemain vers Jérusalem où il tombe malade. Grâce à la rencontre de Mélanie l’Ancienne et aux conseils éclairés de cette "mère spirituelle", il prend l’habit monastique et part en Égypte, terre par excellence du monachisme. Il y reçoit l’enseignement des anachorètes puis devient lui-même un "père" pour d’autres. Son début de vie chaotique, sa conversion dans la douleur et ses combats spirituels lui ont donné une compréhension fine et perspicace des propres combats de ses frères et sœurs en Christ. C’est ce qui, encore aujourd’hui, nous le rend si proche.

Le combat des pensées

Selon Evagre, nous devons "nous détourner toute notre vie de tout mal", car "les démons qui président aux passions de l’âme persistent jusqu’à la mort". (Prière 136) Pour le moine, se détourner du mal n’est toutefois pas une fin en soi, mais une mise en route, un cheminement nécessaire, une attention constante à nos pensées, nos paroles, nos actions.

Evagre invite son lecteur à être particulièrement vigilant vis-à-vis des "logismoi", les pensées "tortueuses" qui nous éloignent de Dieu, selon l’expression tirée du livre de la Sagesse 1, 3. Nous ne sommes pas responsables si ces pensées ne font que nous traverser. En revanche, nous le sommes si nous y consentons et nous y complaisons.

Le rapport au temps perverti

Parmi les pensées "tortueuses", certaines touchent plus spécifiquement notre rapport au temps. Ainsi, Evagre nous explique l’action du démon pour nous éloigner de "l’ici et maintenant", seul temps possible pour notre rencontre avec le Dieu vivant.

Le Malin tourne notre attention vers le passé en provoquant en nous des pensées d’amertume, de rumination, de culpabilité, ou encore de mélancolie. Il agit aussi sur notre perception du présent, en nous inspirant l’ennui, voire le dégoût pour notre état de vie, notre travail. Enfin, il nous projette dans le futur, jamais de façon constructive bien sûr, mais pour nous conduire soit au désespoir en nous présentant un avenir des plus sombres, soit à l’orgueil avec des rêves de vaine gloire.

Selon Evagre, l’objectif du Malin en s’attaquant à notre perception du temps est de nous perturber dans notre relation personnelle à Dieu. Si nous cédons à ces mirages, nous perdons dès lors la signification de notre vie comme une histoire sainte de conversion et d’union à Dieu.

Quelques remèdes proposés par Evagre

Heureusement, Evagre, loin de nous laisser à notre propre faiblesse, nous donne des remèdes qu’il a lui-même éprouvés. Pour guérir notre mémoire tourmentée, Evagre conseille la pratique du souvenir de Dieu, en nous appuyant sur l’Écriture sainte. En faisant mémoire de l’Histoire sainte, le lecteur se souvient combien le Seigneur a toujours accompagné, guidé et protégé son peuple, et chaque âme en particulier. Son espérance est ainsi ravivée.

Evagre nous encourage aussi à rendre grâce pour tout, et ainsi à reconnaître la présence apaisante d’un Dieu aimant et parfait dans notre existence. Enfin, accomplir des actes de charité nous guérit de notre égocentrisme et nous pousse à collaborer à l’œuvre de Dieu pour soulager et réconforter nos frères et sœurs en humanité, dont la plupart errent sans but et sans conscience du vrai sens de la vie.

Par son enseignement intemporel qui puise sa source dans l’Évangile, Evagre le Pontique a quelque chose à dire à l’homme contemporain. Son message clé peut se résumer à cette citation tirée d’une de ses lettres : "Sois le portier de ton cœur". Nous sommes encouragés à observer les pensées qui surgissent dans notre champ de conscience tout au long de la journée, à les interroger, à les repousser si elles nous entraînent loin de notre union à Dieu. Evagre nous recentre sur la fin ultime de tant d’efforts, qui n’est pas la perfection morale, mais la contemplation joyeuse, paisible et éternelle de la Sainte Trinité.

Pratique

Vivre le combat spirituel avec Evagre le Pontique, Emmanuel Faure, Artège, 2012.

Aliénor Strentz est fondatrice du blog « Chrétiens heureux » et Missionnaire de l’Immaculée Père Kolbe. Elle est aussi docteur en ethnomusicologie et formatrice pour adultes. 
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