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Saint Bernard de Clairvaux, le cistercien sans compromis

Saint Bernard de Clairvaux
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Anne Bernet - publié le 07/08/24
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Saint Bernard de Clairvaux, abbé fondateur hors-normes, théologien et mystique, réformateur et prédicateur, n’avait pas la réputation d’être accommodant : il ne prenait de gants avec personne. Benoît XVI a rappelé qu’on le considère comme le dernier Père de l’Église. Il est fêté le 20 août.

En cette fin des années 1080, le sire de Montbard, puissant seigneur grassement possessionné, s’avise d’accorder la main de sa fille Aleth à Tescelin de Fontaine, simple chevalier au service du duc de Bourgogne. Pourquoi cette décision, sachant que ce jeune rouquin n’a ni fortune, ni ambition ni protecteurs et qu’Aleth, fort pieuse, désire prendre le voile ? Tescelin, follement amoureux de cette jeune fille d’une rare beauté, a-t-il su plaider sa cause, attendrissant le père et la demoiselle ? Le mariage a lieu, il en naît six garçons et une fille, Ombeline, qui devra montrer du caractère pour s’imposer. 

Dieu ou rien

En 1090, enceinte, Aleth fait un rêve : elle met au monde un petit chien blanc et roux dont les aboiements emplissent l’univers. Un prêtre lui explique que son fils sera un prédicateur dont la parole secouera l’Église. Ce garçon, le troisième, prénommé Bernard, aussi roux que son père, devient en grandissant, remarquablement beau et manifeste une intelligence peu commune, en même temps qu’une attirance mitigée pour le métier des armes auquel le voue son extraction chevaleresque. Il dira un jour, ce qui résume son problème : "Plus facile à un chrétien d’être tué que de tuer."

Aleth ne contrarie pas ce fils qu’elle sent promis au service de Dieu mais disparaît alors que Bernard a seize ans, laissant mari et enfants en profond désarroi. Bernard va-t-il céder aux charmes du monde ? Alors qu’il se rend à un tournoi et passe la nuit dans un château, la dame des lieux s’introduit dans son lit. Face à la tentatrice, Bernard hurle au voleur, ce qui fait fuir l’impudique mais le fait passer, lui, pour un pleutre… Il s’en moque car la sauvegarde de sa vertu le méritait. Il a choisi : Dieu ou rien, la vie monastique dans sa rigueur primitive. Mieux, il entraîne ses frères dans son choix.

Il veut le dépouillement

Une nuit, Aleth apparaît, rayonnante de lumière céleste, à ses fils et les conforte dans leur choix. Cela n’aurait rien d’extraordinaire en cette époque pieuse si les jeunes seigneurs de Fontaine portaient leur choix sur Cluny ou l’une de ses fondations, ces grands monastères bénédictins qui rayonnent sur l’Europe de leur puissance et leur richesse mais richesse et puissance, Bernard, quêteur d’absolu, n’en a cure : il veut le dépouillement, le travail, le jeûne, l’inconfort, idéal qu’il fait partager à quatre de de ses frères, Nivard, rechignant d’abord à le suivre, puis à ses cousins, ses oncles et amis, de sorte qu’un matin de 1112, ils sont trente à se présenter à la porte du monastère de Cîteaux, fondé en 1098 par Robert de Molesme dans une misérable zone de marécages, où l’on s’astreint à vivre la règle de saint Benoît dans sa pureté primitive.

Bernard se montre le chef de file, l’inspirateur de cette jeunesse dorée qu’il a entraînée dans son aventure. N’est-ce pas sa devise : "Par la montée rude vers la Jérusalem céleste" ?

À dire vrai, l’expérience n’est pas concluante : la maison vivote, sans ressources ni vocations, au point que l’abbé, Étienne Harding, se demande s’il faut continuer. Cette arrivée massive de jeunes hommes change la donne. Certes, Bernard, migraineux et de santé fragile, semble peu fait pour cette rude existence, d’autant que les privations qu’il s’inflige sans modération vont ruiner définitivement son organisme mais il se montre le chef de file, l’inspirateur de cette jeunesse dorée qu’il a entraînée dans son aventure. N’est-ce pas sa devise : "Par la montée rude vers la Jérusalem céleste" ?

Sans prendre de gants avec personne

En 1115, Étienne l’envoie fonder en Champagne, au lieu-dit Clairvaux. À 25 ans, le voici abbé. Trop jeune peut-être, car il exige de ses moines qu’ils pratiquent les privations qu’il s’inflige, ce que même ses frères de sang trouvent exagéré ; il regrettera un jour ses excès et s’en corrigera. Il n’est pas plus tendre avec les laïcs qui viennent le consulter, attirés par sa précoce réputation  de sainteté et qu’il maltraite en toute bonne conscience, s’attirant un blâme du pape inquiet de l’influence de ce garçon abrupt qui ne prend de gants avec personne. Le comble est que cela plaît, tant il est vrai que les âmes ont besoin d’absolu et de grands desseins ; plus Bernard est intransigeant, plus il attire. Son frère Nivard, resté dans le monde, son père le rejoignent et revêtent l’habit blanc des cisterciens. Ombeline, mariée et dont il blâme l’attirance pour le monde, se retire chez les religieuses de Jully avec sa fille. C’est sa famille entière qu’il entraîne sur le chemin du Ciel, y compris son oncle maternel, André de Montbard, parti en Terre sainte, qu’il encourage à fonder une "sainte milice" de moines soldats voués à la défense du royaume latin de Jérusalem, l’Ordre du Temple dont Bernard rédige la Règle. 

À partir de 1118, Clairvaux essaime en France puis dans toute l’Europe. Bernard fondera 78 maisons. En 1119, au chapitre général cistercien, le jeune abbé ose plaider l’indépendance du nouvel ordre vis-à-vis de Cluny et des bénédictins noirs. Il ose aussi dénoncer leur goût du luxe, l’ornementation outrancière de leurs églises, bannissant des siennes ces sculptures exubérantes qui font le charme du roman bourguignon mais qu’il accuse de détourner de l’oraison. Il ose même blâmer la conduite de l’épiscopat. Ses amis disent qu’il "est très absolu", façon aimable de dire qu’il va trop loin. Cela n’empêche pas qu’à son vif regret, car il aimerait s’adonner à la prière et à l’étude, il est de plus en plus consulté, sollicité, se muant en conseiller des rois et des papes.

Un Juste pour les juifs

En 1130, au synode d’Étampes, il défend Innocent II contre l’antipape Anaclet qui met l’Église au bord du schisme. En 1146, Eugène III lui fait prêcher la croisade à Vézelay. Apprenant que les princes germaniques et certains croisés profitent, ayant pris la route des Balkans vers l’Orient, de leur passage en Allemagne pour agresser les communautés juives, Bernard se rue à Spire, dénonce ces pogroms, fulmine contre leurs auteurs auxquels il assène que "toucher un juif, c’est blesser la moelle même du Christ". Les violences s’arrêtent, et Bernard reste pour les juifs une figure de charité et de compassion, un Juste. C’est à Spire encore qu’ayant, à l’issue de sa prédication, entonné le Salve Regina, il s’entend souffler d’En-Haut un dernier verset : "O clemens, o pia, o dulcis Virgo Maria." Quoi d’étonnant s’agissant de ce chevalier de Notre-Dame qui, lorsqu’il dit la salutation angélique, entend la Vierge répondre à son "Je vous salue, Marie", "Je vous salue, Bernard !"

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Saint Bernard de Clairvaux prêchant la croisade.

Docteur de l’Église

Malgré lui, la seconde croisade se solde par un déshonorant échec, dont certains, et le pape, cherchent à lui faire porter la responsabilité alors qu’il était opposé au projet et jugeait la lutte contre l’hérésie cathare dans le Midi plus urgente. C’est en semi disgrâce qu’il meurt à Clairvaux, le 20 août 1153. Ce n’est qu’à l’annonce de son décès que la catholicité prend la mesure de la perte. Bernard est porté sur les autels en 1174, à une vitesse record. Pie VIII l’élève en 1830 au rang de docteur de l’Église. 

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