Un coup de fil de l’école, une découverte sous un matelas, une annonce inattendue… et c’est tout un monde qui s’effondre. L’image que les parents s’étaient faite de leur enfant – raisonnable, poli, sans histoire – vole soudain en éclats et la confrontation avec la réalité est parfois douloureuse. "Un choc", pour Charlotte, mariée et mère de quatre enfants, cadre dans la banque à Marseille, bouleversée par un appel du directeur du collège lui apprenant que son fils aîné, 14 ans, envoyait depuis des mois des messages injurieux à l’un de ses camarades de classe. "Au début je n’y ai pas cru, ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être mon fils, j’ai pensé que le directeur devait faire erreur", se souvient-elle. Jusqu’au moment où elle a interrogé l’intéressé qui a reconnu les faits de harcèlement. "Une douche froide. J’étais tellement choquée que je n’ai pas pu réagir tout de suite." Passés les grands éclats de voix, la discussion, le conseil de discipline et les punitions, Charlotte ne peut pas s’empêcher de se demander comment cela a pu arriver. "Je n’arrête pas de m’interroger : Qu’est-ce qu’on a mal fait ? Qu’est-ce qu’on a raté dans son éducation ? Son comportement est tellement à mille lieues des valeurs qu’on a cherché à lui inculquer !"
Un sentiment d’échec qui affecte aussi les parents de jeunes adultes, lorsque ces derniers n’empruntent pas le chemin qu’ils avaient tracé ou imaginé pour eux. Un métier qu’ils ne jugent pas sérieux, un mariage déconcertant, une grossesse imprévue… Dans son livre Ce que j’aurais aimé savoir avant que mon enfant devienne adolescent, Gary Chapman, le célèbre thérapeute américain qui a théorisé les cinq langages de l’amour, confie avoir reçu dans son cabinet beaucoup de parents, déçus ou désemparés face au comportement de leur enfant. "Ils partent du principe que s’ils avaient été de bons parents, leur enfant n’aurait pas pris de telles décisions", analyse Gary Chapman. "La réalité, c’est que les ados sont humains, que les humains sont libres de leurs choix et que certains de ces choix peuvent faire naître de la souffrance."
Une question qui n’a pas lieu d’être
Pour Nadine Grandjean, fondatrice du Cabinet de conseil conjugal et familial Raphaël, se demander ce qu’on a raté dans l’éducation de son enfant est vain et inutile. "C’est une question culpabilisante, or rien de bon ne sort de la culpabilité", souligne-t-elle. "Ce que j’entends dans cette question, c’est : "qu’est-ce qu’on a fait pour avoir un enfant raté", et ça, c’est inacceptable, on ne peut pas aller sur ce chemin-là." Une personne ne peut en effet être définie par ses mauvaises actions. Veillons à distinguer l’enfant de sa faute, aussi grave soit-elle. À l’instar de Dieu qui déteste le péché, mais non pas le pécheur, des parents peuvent condamner la faute mais pas la personne qui la commet. Dieu lui-même ne condamne pas. Il ouvre toujours son cœur et offre sa miséricorde.
Relativiser
Il est bon aussi de relativiser, de prendre du recul. Il arrive que la moindre sortie en dehors du cadre établi, la moindre originalité, soient considérées comme une catastrophe. Mais est-ce que, par son attitude, l’enfant se met en danger ? A-t-il un comportement à risque ? Y a-t-il eu un manque de discernement entre le bien et le mal dans son geste ? Sa maturité était-elle suffisante pour lui permettre de discerner ? Est-il dans le regret ? Est-ce simplement que ses choix ne correspondent pas à ce que ses parents espéraient ? Prenons l’exemple d’une jeune fille qui se ferait faire un tatouage ou un piercing. Cela n’est pas forcément ce que des parents auraient souhaité pour leur fille mais cela l’empêche-t-il de croître ? Non ! Cela la met-il en danger ? Non plus !
N'oublions pas, notamment pour les adolescents, que l’opposition, la provocation, est pour eux une manière d’exister. "L’enfant a besoin de s’opposer pour se construire, pour exister", souligne Nadine Grandjean. Enfin, une autre manière de relativiser est de regarder tout ce dont on peut être fier dans l’éducation de son enfant. Une bêtise, une erreur de discernement, une faute… n’efface pas les talents et les qualités qu’un enfant possède et dont les parents peuvent être fiers.
S’interroger
Si la culpabilité n’a pas lieu d’être, il convient néanmoins de s’interroger sur l’éventuel mal-être d’un enfant qui l’aurait poussé à mal agir. "Ses gestes, son attitude, sa manière de provoquer, tout cela peut être des symptômes qui manifestent un mal-être plus profond. Il faut alors aller voir ce qu’il y a derrière ce mal-être", souligne Bérengère de Charentenay. Il n’est pas question de déresponsabiliser l’enfant mais d’écouter ce qu’il a à dire.
Pour Nadine Grandjean, l’écoute, dans ce cas, est primordiale. "Il s’agit d’apprendre à écouter, à décoder ce que l’enfant veut dire à travers son attitude. Le plus dur, pour le parent, c’est d’écouter son enfant sans chercher à se justifier. Sans quoi l’enfant ne se sentira pas compris. C’est héroïque d’écouter le mal-être de son enfant sans répondre, mais parfois c’est magique", assure la conseillère.
"Être un parent parfait, ce n’est pas possible, en revanche, être un parent aimant, ça c’est important."
Ces moments de crise invitent à interroger le mal-être de l’enfant mais aussi à se remettre en question en tant que parent : le cadre imposé à son enfant est-il suffisamment clair ? Le couple est-il aligné sur les limites à poser ? C’est aussi le moment de faire le deuil de cette perfection que l’on croyait atteindre, pour soi et pour son enfant. "On est parfait ou vivant, mais pas les deux à la fois", aime rappeler Bérengère de Charentenay. "Être un parent parfait, ce n’est pas possible, en revanche, être un parent aimant, ça c’est important".
Ne pas perdre espoir
Accepter les choix de son enfant n’efface pas la douleur, mais il serait vain de se laisser gagner par le découragement. "Il y a toujours l’espoir d’une rédemption future", souligne Gary Chapman. Certains enfants se perdent et ce sont de grands drames pour des parents. Néanmoins, nul ne peut juger ici-bas de la réussite ou de l’échec d’une éducation. Les saints offrent de nombreux exemples en ce sens, de saint Augustin, "mauvais garçon" devenu docteur de l’Église, à Léonie Martin, enfant au caractère difficile dont le procès de béatification est en cours.
"En matière d’éducation, personne ne peut se vanter d’avoir réussi ou se désoler d’avoir échoué, et personne ne peut s’estimer quitte."
À travers ses Confessions dans lesquelles il regrette ses nombreux égarements passés, saint Augustin démontre qu’il n’est jamais trop tard pour suivre le chemin du Christ. L’exemple le plus tardif de conversion et par là même le plus frappant est celle du Bon Larron, crucifié aux côtés de Jésus et à qui Jésus promet le Paradis (Lc 23, 43). "Ses parents se sont peut-être désolés devant le comportement de leur fils, ils ont peut-être pensé qu’ils avaient tout raté. Et pourtant, ce brigand est le seul saint canonisé de son vivant, par Jésus en personne !", soulignait il y a quelques années Christine Ponsard. "En matière d’éducation, personne ne peut se vanter d’avoir réussi ou se désoler d’avoir échoué, et personne ne peut s’estimer quitte."