Les spécialistes de l’économie de la famille connaissent les liens qui existent entre famille et démographie et en particulier entre famille et fécondité. Comme les économistes catholiques de l’Association des Économistes Catholiques (AEC), ils ont analysé par ailleurs l’impact de la baisse de la fécondité comme de l’affaiblissement de la famille sur l’activité économique, en particulier via le rôle du capital humain et l’analyse de la production domestique (Cf. Jean-Didier Lecaillon, La Famille au cœur de l’économie, Travaux de recherche de l’AEC, Salvator, à paraître fin 2024). Malheureusement, beaucoup d’économistes négligent ces questions, même si certains prix Nobel s’y sont intéressés, comme Gary Becker. Les hommes politiques négligent pour leur part souvent ces sujets, qui relèvent du long terme, tandis que les gouvernements se contentent souvent de politiques à court terme, dépassant rarement la prochaine échéance électorale, alors que la démographie concerne le long terme et même les générations future. Voilà pourquoi on ne peut que saluer la prise de position récente de l’OCDE, qui regroupe les principaux pays développés à économie de marché.
Sous le seuil de renouvellement
Dans un communiqué de presse daté du 22 juin 2024, l’OCDE résume sa publication intitulée Panorama de la société, édition 2024. Le titre du communiqué de presse est en soi significatif : "Le déclin du taux de fécondité met en péril la prospérité des générations futures." L’introduction part d’un constat démographique, bien connu des spécialistes : "Il ressort d’un nouveau rapport de l’OCDE que le taux de fécondité a diminué de moitié dans les pays de l’OCDE au cours des 60 dernières années, ce qui fait peser un risque de déclin démographique et de graves difficultés économiques et sociales sur les générations futures."
Le rapport "montre qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE, l’indicateur conjoncturel de fécondité est passé de 3,3 enfants par femme en 1960 à seulement 1,5 en 2022, nettement au-dessous du seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme nécessaire pour maintenir une population constante en l’absence de migration. L’indicateur conjoncturel de fécondité est faible en Italie et en Espagne, à 1,2 enfant par femme en 2022, et au plus bas en Corée, avec une estimation à 0,7 enfant par femme en 2023". Dans ces conditions, "la faiblesse du taux de fécondité pourrait entraîner un déclin démographique à partir de la prochaine décennie, le nombre de décès dépassant celui des naissances pour la première fois depuis au moins un demi-siècle. Le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus pour 100 personnes d’âge actif devrait également doubler, passant de 30 en 2020 à 59 en 2060 dans la zone OCDE".
L’âge moyen des mères
Cela n’est pas sans conséquences : "La diminution de la population active qui en résulterait pourrait conduire à un vieillissement des populations, qui mettrait les pouvoirs publics à rude épreuve sur les plans social et économique, notamment pour augmenter les dépenses consacrées aux retraites et aux services de santé." Mais ce n’est pas tout :
Une deuxième tendance majeure mise en évidence dans le Panorama de la société tient au fait que l’âge moyen des mères à l’accouchement est passé de 28,6 ans en 2000 à 30,9 ans en 2022. La comparaison de cohortes de femmes nées en 1935 et en 1975 révèle que l’infécondité a peu ou prou doublé en Espagne, en Estonie, en Italie, au Japon, en Lituanie, en Pologne et au Portugal.
Le choix personnel d’avoir des enfants est influencé par divers facteurs, notamment les pressions économiques et sociales liées aux responsabilités parentales, ainsi que l’évolution de la société, par exemple la moindre stigmatisation de l’infécondité. Des approches pluridimensionnelles sont nécessaires pour promouvoir la natalité.
Le communiqué de l’OCDE se fait plus précis : "Alors que les pays de l’OCDE ont mis en place toute une série de mesures pour soutenir les familles, le coût économique et l’incertitude financière à long terme liés au fait d’avoir des enfants continuent d’influer considérablement sur la décision de devenir parent", a déclaré Stefano Scarpetta, directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE. "Il faut, pour faciliter les décisions dans ce domaine, garantir un soutien global et fiable aux familles. Cela tient notamment à des logements abordables, à des politiques familiales qui aident à concilier travail et vie de famille, et à la cohérence avec d’autres politiques publiques favorisant l’accès à des emplois de qualité et l’évolution professionnelle des femmes".
Agir sur le coût du logement
Le Panorama de la société montre que la hausse des coûts du logement depuis le milieu des années 2010 ajoute à la difficulté de créer des relations durables et de fonder une famille, les vingtenaires et les trentenaires étant toujours plus nombreux à vivre chez leurs parents pour des raisons financières. "L’accès à un logement abordable permettrait aux jeunes de fonder plus facilement une famille. Avec la hausse du nombre de ménages à deux revenus, des politiques publiques plus efficaces, qui contribuent à concilier obligations professionnelles et familiales, aideraient à améliorer la fécondité. Si, pendant longtemps, un taux d’emploi élevé des femmes a été associé à un taux de fécondité faible, cette corrélation est désormais positive, en moyenne, dans l’OCDE." L’OCDE ajoute enfin : "Les pays doivent aussi réfléchir à l’adaptation de leurs stratégies à un avenir où la fécondité sera faible. Il s’agira notamment d’adopter une approche proactive de l’immigration et de l’intégration, et de faciliter l’emploi de groupes sous-représentés. Une hausse de la productivité contribuerait également à atténuer les conséquences économiques et budgétaires d’une réduction potentielle de la main-d’œuvre."
On peut bien entendu contester certains éléments de l’analyse de l’OCDE, notamment sur l’immigration, car il est contradictoire de dire qu’il faut tout faire pour relancer la fécondité et en même temps de sous-entendre qu’on n’y arrivera pas, d’où l’appel à l’immigration. On peut aussi regretter que l’OCDE ne soit pas plus explicite sur les conséquences économiques négatives de cette baisse de la fécondité, alors que, comme le montre le professeur Lecaillon, une analyse via le capital humain explique le lien étroit entre famille, fécondité et dynamisme économique, ainsi qu’une vérité ignorée, celle de la production domestique, c’est-à-dire la contribution considérable des familles, notamment via l’éducation, à l’activité économique et à l’équilibre de la société.
Une politique globale envers la famille
Mais on doit avant tout retenir et apprécier le fait qu’un organisme aussi "politiquement correct" et prudent que l’OCDE a pris une position claire sur les liens entre famille, fécondité et avenir économique et social et s’inquiète des conséquences de cette situation pour les générations futures. Ce qui est aussi très positif, c’est que l’OCDE suggère une politique globale en faveur de la famille, y compris les questions du logement, de la conciliation travail et vie familiale, de la question des mentalités et de l’environnement, au sens large, de la famille. L’OCDE souligne même, comme on l’a vu, "la difficulté de créer des relations durables et de fonder une famille", ce qui est une façon de reconnaître l’importance non seulement de la famille, mais des familles durables, stables, ayant un vrai projet de vie commune, ce qui rejoint les conclusions du groupe de travail de l’AEC et de l’ouvrage de Jean-Didier Lecaillon et plus généralement l’enseignement constant de l’Église sur la famille : l’avenir de la société passe non seulement par la famille, mais par des familles stables et durables.