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Leur nombre varie de quelques dizaines à quelques centaines selon les semaines, mais le rite est immuable : chaque jeudi matin à 7h10 précises - afin de permettre sa retransmission sur Radio Vatican - les Polonais du Vatican et ceux qui sont en pèlerinage à Rome se retrouvent pour une messe sur la tombe de Jean Paul II, “leur” pape, l’homme qui a redonné sa dignité à un peuple écrasé par le joug communiste. “Je me souviens très bien de la réaction des gens en Pologne, dans la rue, quand ils ont appris l’élection de l'archevêque de Cracovie, le 16 octobre 1978”, se souvient un Polonais désormais installé en France. “Les médias contrôlés par le régime en ont parlé de façon assez brève et il n’y a pas eu de grande manifestation de joie massive, mais dans la façon que les gens avaient de se tenir, de marcher dans la rue, il y avait une énergie, une fierté retrouvée. Ils se tenaient droit. Jean Paul II avait redonné de l’espoir à tout un peuple. Ce moment est inoubliable”, reconnaît-il.
Situer l’héritage de Jean Paul II à Rome, c’est donc d’abord reconnaitre les drapeaux rouge et blanc des nombreux groupes polonais, visibles tous les jours, et lors de tous les Angélus et toutes les audiences générales. Pour des millions de Polonais de toutes générations, le pèlerinage à Rome est une expérience incontournable, y compris pour des personnes de condition modeste qui économisent plusieurs années pour faire ce voyage sur les traces de leur pape, qui régna plus d’un quart de siècle. Souvent, la messe du jeudi matin sur la tombe de Jean Paul II est célébrée par le cardinal Konrad Krajewski, actuel préfet du dicastère pour le Service de la charité. Il a servi intimement le pontife polonais en tant que cérémoniaire pontifical durant les dernières années de sa vie, lorsque sa maladie nécessitait beaucoup de délicatesse et d’ingéniosité pour lui faire endosser ses habits liturgiques et le soutenir physiquemement lors des célébrations. Le regard attentif et inquiet de Mgr Krajewski reste visible sur de nombreuses photos de l’époque.
Mais cet attachement dépasse le périmètre des seuls ressortissants polonais, et touche parfois des profils plus inattendus, comme ce jeune prêtre du Bénin croisé lors de la messe du jeudi matin, et qui, sans jamais avoir mis les pieds en Pologne, a pris l’initiative d’apprendre la langue polonaise par passion pour ce pape mystique et intellectuel dont il a voulu saisir la pensée dans son texte original. Pour les pèlerins italiens, français ou encore américains, la tombe de Jean Paul II demeure également un passage incontournable lors de leur visite au Vatican. Il n’est pas rare d’entendre des enfants nés largement après 2005, et ne l'ayant donc pas connu, questionner leurs parents sur ce personnage dont ils perçoivent l’importance en remarquant le nombre de personnes en prière devant sa tombe.
Populaire dans l'âme des Romains
Autour du Vatican et dans la ville de Rome, le visage de Jean Paul II apparaît encore dans de nombreux magasins de souvenirs, dans les communautés religieuses et dans les paroisses. Dynamique curé de la paroisse Saint-Bonaventure, dans un quartier périphérique et difficile de la capitale italienne, don Stefano Cascio montre fièrement les photos de Jean-Paul II venu bénir l’église en travaux à la fin des années 1970, alors que la municipalité communiste de Rome menaçait d’en empêcher la construction : une histoire qui faisait alors écho à ses propres combats comme archevêque de Cracovie. “Tant que sa santé le lui a permis, il a été très attaché à son rôle d'évêque de Rome, visitant presque toutes les paroisses de son diocèse”, se souvient don Stefano, admiratif de son courage physique et spirituel, et qui est entré au séminaire sous son pontificat, avant d'être ordonné prêtre par Benoît XVI en 2008.
Pour certains Romains plus détachés de l'Église, la succession de trois papes non-italiens demeure toutefois une réalité difficile à assimiler, comme le prouve cette scène récemment observée dans un restaurant proche du Vatican. Pointant du doigt les tableaux représentant les papes de l’époque contemporaine exposés sur les murs du restaurant, une femme élégante les indique en ces termes : “Quello è il Polacco, e quello il Tedesco” - “Celui-là est le Polonais, et celui-là l’Allemand”. Cette façon de désigner Jean Paul II et Benoît XVI par leur nationalité est relativement courante à Rome, et manifeste la difficulté des habitants de la Ville éternelle à “adopter” un pape venu d’ailleurs, même si, depuis plus 45 ans, cette réalité rythme la vie de l’Église locale.
En rupture avec le pape François ?
Venu d’Argentine, avec une façon de s’exprimer souvent déroutante et provocante, le pape François a parfois choqué les visiteurs polonais en donnant l'impression de s'agacer d'une forme de culte de la personnalité autour de Jean Paul II. Sa courte homélie lors de la canonisation d’avril 2014 avait déçu de nombreux pèlerins. Sur un registre plus académique et intellectuel, la changement de direction à la tête de l’Institut Jean Paul II pour la famille, organisé durant l’été 2019, est apparu pour certains comme une façon de liquider l’héritage du pontife polonais.
Cette interprétation est récusée par l’actuel président de cette institution désormais rebaptisée “Institut pontifical de théologie Jean Paul II pour les sciences du mariage et de la famille”. Interrogé par I.MEDIA en 2023, Mgr Philippe Bordeyne expliquait que “ce qui nous sert aujourd’hui à penser le mariage et la famille, c’est à la fois une éthique personnelle et conjugale, et une éthique sociale. La doctrine, c’est tout cela. Mais cela va de pair avec une compréhension fine des difficultés mais aussi des chances d’aujourd’hui. Ce travail correspond au vœu du pape François pour l’Institut Jean Paul II : j’essaie d’assumer l’ampleur des changements actuels, et d’aller puiser des ressources dans la tradition doctrinale, mais aussi dans la philosophie et les sciences humaines, pour montrer que la pertinence de l’Évangile reste étonnante aujourd’hui”.
Dans cette optique, faire de la philosophie personnaliste de Jean Paul II une pensée “fixiste”, sans actualiser son héritage intellectuel en tenant compte des défis actuels, ne serait pas lui rendre justice. Mais inversement, d’autres s’inquiètent de voir un certain relativisme se faire jour dans l’Église, notamment sur les questions liées aux mœurs et à la sexualité. Certaines propositions du Synode allemand, ont ainsi suscité une véritable consternation au sein de l’Église catholique en Pologne, tout comme certaines déclarations du pape François sur la guerre en Ukraine, dossier sensible dans lequel son positionnement face à la Russie est perçu comme trop complaisant. Par ailleurs, la déclaration doctrinale Fiducia supplicans, ouvrant la voie aux bénédictions non-liturgiques de personnes de même sexe vivant en couple, y a suscité de vives incompréhensions, certains y voyant une rupture avec l’éthique conjugale promue par Jean Paul II.
Une forme de réhabilitation ?
Ce débat sur l’héritage du pontife polonais sera réinvesti en avril 2025, lors du 20e anniversaire de la mort de Jean Paul II. Dans le contexte du Jubilé, cette commémoration donnera certainement l’occasion à ses plus anciens collaborateurs et au pape de lui rendre un hommage appuyé, après de nombreuses attaques médiatiques sur sa gestion des affaires d'abus, qui ont fragilisé la perception de son pontificat, certains remettant même sa canonisation en question.
L'heure est-elle à une forme de réhabilitation de Jean Paul II ? Le récent document Dignitas infinita le cite à douze reprises. Et lors de l’audience générale de mercredi dernier, François a salué la mémoire de celui qui le fit cardinal en 2001. “En regardant sa vie, nous pouvons voir ce que l’homme peut accomplir en acceptant et en développant en lui les dons de Dieu : la foi, l’espérance et la charité”, a affirmé le pontife, demandant à tous de rester “fidèles à son héritage” et donc de “promouvoir la vie et ne pas se laisser tromper par la culture de la mort”. La promotion de la “civilisation de l’amour” contre toutes les polarisations et tous les égoïsmes demeure donc d’actualité et constitue un héritage vivant du pontife polonais.