Ils sont encore quelques-uns à pouvoir témoigner de l’incroyable fécondité de la vie de Jean Merlin (1931 - 1994). Le 14 janvier 2024, trente ans jour pour jour après la mort de ce diacre parisien entièrement dévoué aux plus pauvres, beaucoup étaient réunis à l'église Notre-Dame de Clignancourt (XVIIIe arrondissement de Paris) pour la clôture de la phase diocésaine de son procès en béatification. C’est dans ce quartier populaire que Jean Merlin a passé une grande partie de sa vie à servir les plus vulnérables, comme travailleur social mais surtout comme chrétien engagé.
Né à Grenoble d’un père anticlérical et d’une mère chrétienne, il se montre très tôt sensible à l’injustice et à la misère. "Je crois que l’élément déclencheur a tout de même été son service militaire en Algérie", témoigne auprès d'Aleteia Yvonne Schneider-Maunoury, présidente de l'association les Amis de Jean Merlin. De l’autre côté de la Méditerranée, Jean se fait connaître pour son sens de la charité et sa proximité avec les enfants des rues à qui il distribue des vivres, faisant fi des railleries de ses camarades. "Il a pris le parti des plus pauvres, et en rentrant il a voulu s’engager pour eux", ajoute celle qui l’a connue pendant vingt ans à Notre-Dame de Clignancourt.
Une fois en France, il intègre sur concours le bureau d’aide sociale du XVIIIe arrondissement de Paris. Par son travail d’enquêteur social, Jean Merlin se consacre entièrement aux plus pauvres, sur le terrain, alors même que sa licence de droit lui aurait permis de rechercher un poste plus élevé. Il y restera jusqu’à sa mort, assistant les sans-abri, les familles en difficultés sociales, financières ou affectives. "Jean était donné à tout le monde. Il avait la réputation dans son travail de s'occuper des dossiers les plus difficiles. Il restait souvent jusqu’à très tard dans la nuit pour que le dossier soit solide", assure encore Yvonne Schneider. "C'était quelqu’un de très déterminé, surtout pour obtenir le droit et la justice pour les pauvres dont il s’occupait".
Infatigable artisan de la charité
À côté de ses engagements professionnels, il fonde après le dur hiver 1986 l’association Solidarité Clignancourt, qui deviendra à sa mort Solidarité Jean-Merlin. Avec d’autres bénévoles, il se démène pour distribuer des repas, trouver des logements pour les sans-abri, et met en place le tout premier système de domiciliation. "Cela a permis aux gens vivant dans la rue d’utiliser une adresse pour pouvoir faire des démarches administratives", explique de son côté Jean-Pierre Volkringer, ancien président de Solidarité Jean-Merlin. Encore aujourd’hui, l’association domicilie pas moins de 3.500 sans-abri et sans-papiers. "Certains disaient parfois qu’il en faisait trop", soulève Yvonne Schneider.
On ne peut pas faire ce qu’il a fait si l’on n’a pas une relation intime avec Dieu.
Son inlassable engagement pour les pauvres trouve racine dans sa foi, qu’il entretient par une vie de prière intense. Le 3 mai 1980, il est ordonné diacre permanent à Notre-Dame de Clignancourt, se nourrisant des écrits des pères de l'Église, de sainte Thérèse d'Avila ou encore de saint Jean de la Croix. "J’étais très attiré par ses homélies, il nous secouait et exhortait les paroissiens à s’investir pour les pauvres, assure Jean-Pierre Volkringer. Sans cela, je ne me serais sans doute pas engagé dans l’association." Pourtant, Jean Merlin est resté particulièrement discret sur sa foi, dont il parlait peu. "Être avec les autres, c’est déjà faire l’expérience de la transcendance", avait-il l’habitude de dire. "Il s'exprimait peu sur sa foi, mais il la vivait", souligne Yvonne Schneider-Maunoury. "On ne peut pas faire ce qu’il a fait si l’on n’a pas une relation intime avec Dieu. Un excellent travailleur social ne fait pas ce que Jean a fait, il ne donne pas tout son salaire pour payer les factures des personnes en difficulté, il ne fait pas monter un sans-abri chez lui pour la nuit. Pour continuer à aller contre vents et marées, il faut avoir une certitude et une force qui viennent d’ailleurs."
Jean Merlin s’éteint le 14 janvier 1994 à l’hôpital Bichat de Paris, des suites d’une occlusion intestinale prise en charge trop tardivement. Epuisé et amaigri, il a passé les dernières années de sa vie en partageant les souffrances de ceux qu’il voulait aider, dans un total dénuement. Lorsqu’il est pris en charge à l’hôpital, les médecins et les infirmières le croient même sans-abri. "Il se nourrissait mal pour pouvoir donner plus. Il n’avait jamais un sou sur lui parce qu’il donnait tout, jusqu’à sa vie même", assure Yvonne Schneider-Maunoury. Jean-Pierre Volkringer ajoute : "Le prêtre qui a célébré ses obsèques m’a dit qu’il s’était converti en voyant la foule venue nombreuse, qu’il avait ainsi compris que Jean avait raison : c’est à travers les pauvres que l’on voit Jésus-Christ."