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Père Federico Lombardi: “Benoît XVI a toujours abordé avec beaucoup de lucidité la question de la mort”

Le pape Benoit XVI

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I.Media - publié le 31/12/23
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Il y a un an disparaissait le pape émérite Benoît XVI, 9 ans après sa renonciation au siège de Pierre. "Il a vécu cette préparation à la rencontre avec Dieu avec lucidité, dans la foi, mais aussi dans la conscience du mystère", témoigne le père Federico Lombardi, directeur de la Fondation Ratzinger, qui a pu rencontrer Benoît XVI quelques jours avant sa mort. Entretien.

Dans la matinée du 31 décembre 2022 s’éteignait le pape émérite Benoît XVI, âgé de 95 ans, dans sa résidence du monastère Mater Ecclesiæ, au cœur des Jardins du Vatican. Une messe en sa mémoire est célébrée ce dimanche 31 décembre 2023 à 8h à la basilique Saint-Pierre, sous la présidence de son ancien secrétaire, Mgr Georg Gänswein, revenu d’Allemagne pour l’occasion.

Le père Federico Lombardi, ancien directeur de Radio Vatican et du Bureau de presse du Saint-Siège, a accompagné le pontificat de Benoît XVI durant sept années, avant de devenir en 2016 le président de la Fondation Ratzinger, qui fait vivre l’héritage intellectuel du pape et théologien allemand. A l’occasion d’une série de rencontres organisées au Vatican autour du thème "La vie, la pensée et l’héritage de Benoît XVI, à un an de sa mort", le père Lombardi revient pour I.Media sur son souvenir du pape émérite et de son approche de la mort.

Quel est votre dernier souvenir personnel de Benoît XVI ?
Père Federico Lombardi. Je l’ai rencontré pour la dernière fois le 1er décembre 2022, dans l’après-midi, avec les lauréats du prix Ratzinger. J’avais été surpris qu’il accepte cette visite, car il était très fatigué, mais il voulait respecter cette tradition. Nous avons pu faire une demi-heure de conversation, avec le jésuite français Michel Fédou, et le juriste américain Joseph Weiler, que Benoît XVI avait bien connu autrefois. 

Il avait des difficultés à parler, mais il montrait son intérêt, sa curiosité, en posant des questions précises, avec l’aide de son secrétaire Mgr Gänswein, qui faisait office d’interprète. Ce fut un dialogue très affectueux, qui a d’ailleurs donné lieu à la dernière photo connue du pape émérite, 30 jours avant son décès. Depuis plusieurs années, on savait que sa fragilité pouvait l’emporter, mais sa fin de vie est arrivée d’une façon relativement inattendue et rapide. 

Peut-on dire que sa façon de mourir a constitué d’une certaine façon la signature finale de son œuvre, de sa théologie, de son amour pour Dieu ?
J’en suis convaincu ! Benoît XVI a toujours abordé avec beaucoup de courage et de lucidité la question de la mort, de l’eschatologie, qui était un peu délaissée par les théologiens contemporains. C’est un thème caractéristique de sa réflexion théologique, reliée à une spiritualité personnelle autour de cette idée de la rencontre avec Dieu, de sa volonté de voir le visage du Seigneur. 

C’est donc un fil qui relie toute sa vie, toute sa spiritualité. Il a vécu cette préparation à la rencontre avec Dieu avec lucidité, dans la foi, mais aussi dans la conscience du mystère. Il a toujours dit que sa recherche théologique et sa lecture des Évangiles l’avait amené à reconnaître que cette dimension lui semblait de plus en plus mystérieuse. 

Cette dimension de recherche d’un Absolu relativise l’image qui fut souvent véhiculée de Joseph Ratzinger comme d’un penseur "conservateur", de droite, qui lui a longtemps valu une mauvaise presse notamment en France ?
Bien sûr, cette recherche radicale de Dieu n’est pas une question de droite ou de gauche, cela va bien au-delà du clivage traditionnel entre conservateurs et progressistes ! Il s’agit d’arriver au fond de l’existence humaine, au-delà des définitions superficielles.

L’insistance de Benoît XVI sur les minorités créatives apparaît-elle prophétique aujourd’hui, à la lumière de la crise institutionnelle traversée par l’Eglise notamment en Allemagne, son pays d’origine ?
En effet, il a toujours porté un regard lucide sur son propre pays, du fait d’abord de son expérience de prêtre, durant laquelle il a vu l’Église se détacher de son ancrage social, populaire… Il ne se faisait pas d’illusion sur la possibilité pour le catholicisme de demeurer un phénomène de masse, compte tenu de la sécularisation. Il préférait cultiver un enracinement et voyait des signes de vitalité dans des groupes proposant des nouvelles approches, comme, en Italie, Communion et Libération. Il avait une relation très forte avec don Luigi Giussani, le fondateur de ce mouvement.

Il défendait aussi la foi du peuple, les dévotions populaires, notamment dans les sanctuaires mariaux, se dressant contre les "intellectualismes" des théologiens qui méprisaient la foi vécue par les couches populaires d’une façon plus simple et plus traditionnelle. Il a parlé du crépuscule de la conscience de la présence de Dieu à l’horizon de notre culture contemporaine, considérant que son rôle était de parler du Dieu de Jésus-Christ dans une époque qui l’a écarté de la vie sociale. 

L’effacement de la présence de Dieu dans le monde contemporain était pour lui le premier défi auquel se confronter. Il a cherché des signes de renouveau, à travers des expériences nouvelles de vie communautaire et de témoignage

Avec les orientations du Chemin synodal, l’Église en Allemagne s’est détachée de son héritage ?
Ces évolutions rejoignent une tendance dont s’inquiétait en effet Benoît XVI. Ses relations avec l’Église de son pays d’origine, et aussi avec le monde académique, ont souvent été difficiles. On se souvient notamment de son conflit avec Hans Küng, mais ce n’est pas un cas unique. Joseph Ratzinger reprochait à certains théologiens allemands leur manque de sens ecclésial, avec un mode de pensée détaché de la foi de l’Église, une tendance à la critique marquée par une forme d’autosuffisance, détachée de l’institution.

Pour lui, pour faire face à la sécularisation, l’Église en Allemagne devait cultiver un enracinement spirituel sérieux plus que de multiplier des prises de position publiques sur des sujets ne relevant pas de sa compétence. 

Je me souviens de son dernier discours à Fribourg-en-Brisgau en 2011, qui fut reçu avec beaucoup de perplexité par le monde académique et institutionnel. Il avait remis en question la lourdeur de la bureaucratie ecclésiale, entretenue par des conditions fiscales avantageuses. Il a exprimé des critiques très directes sur la situation de l’Église en Allemagne, relevant des réalités positives mais aussi trop de lourdeurs institutionnelles.

Ce regard critique sur une théologie trop "autoréférentielle" constitue  un pont avec l’enseignement de son successeur, le pape François, malgré toutes leurs différences ?
Je crois qu’il y avait des convergences en effet, même si Benoît XVI est demeuré en retrait. Par exemple, sur la question de la synodalité, François a pu s’appuyer sur certaines réflexions de son prédécesseur, dont il appréciait la grande liberté spirituelle. La renonciation de Benoît XVI avait été un signe évident de sa grande liberté intérieure. Mais ensuite, chaque pape agit selon des situations qui doivent être comprises dans leur spécificité et dans leur diversité. 

Comment la Fondation Ratzinger fait-elle vivre son héritage ?
Certains projets restent à définir, mais nous continuerons notamment à soutenir des travaux de théologie, mais aussi des recherches touchant à la place de l’Église dans la culture contemporaine, au thème de "la raison ouverte", en dialogue avec les différentes disciplines. Cela ne se limite pas à l’étude de la seule pensée de Joseph Ratzinger, même si de nombreux doctorants s’y intéressent. 

Nous voulons favoriser un renouvellement générationnel, au-delà du premier cercle de ses disciples et des "ratzingériens de fer". Nous voulons offrir un service d’appui, un point de contact, notamment pour des étudiants venus d’Afrique. Récemment, nous avons organisé un colloque à la Grégorienne afin d’étudier les discours de Benoît XVI au monde de la culture, et les faire ainsi connaître à de nouvelles générations de jeunes adultes.

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