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Qu’ils paraissent loin les étés où, la nuit tombante autour du feu, reprenant notre souffle entre deux volutes de fumée qui, soudain, étouffaient nos narines, nous chantions ce petit âne gris qui remontait la Durance au temps des transhumances, honnête et courageux. Écrite au moment où l’industrialisation du monde agricole atteignait un tournant, la chanson d’Hugues Aufray évoquait dans le cœur du petit garçon que j’étais alors une indicible tristesse que je ne pouvais nommer mais qui, je le sentais bien, dépassait le triste sort de la bête de somme.
La monture des modestes
De l’Aliboron de la fable de La Fontaine au Cadichon de la Comtesse de Ségur, et de manière plus contemporaine, Modestine qui accompagne Stevenson dans son Voyage avec un âne dans les Cévennes, Anatole dans la bande dessinée Philémon ou encore le dessin animé Shrek, l’âne s’il est parfois assimilé à une forme d’ignorance est bien davantage décrit comme compagnon fidèle et brave. Muet le plus souvent, il parle et se fait même presque prophète dans la Bible avec l’ânesse de Balaam. Il est la monture des modestes, soulage des fardeaux et se montre fidèle pour les travaux ardus. Têtu avec ceux qui le maltraitent, il se dévoue envers ceux qui le traitent bien.
Il est celui sur lequel Marie se rend en grande hâte à Bethléem pour le grand recensement, celui dont le souffle réchauffe le tout-petit dans la mangeoire de la crèche. Il est aussi celui qui portera la mère tenant dans ses bras son fils dans la fuite en Égypte, avant d’être intronisé officiellement comme monture de Jésus pour l’entrée à Jérusalem, le conduisant vers sa Passion et les bras de son Père.
Brave et fidèle, honnête et courageux
Au moment de franchir le seuil d’une nouvelle année, tandis que nous sentons le sol sous nos pas se dérober parfois et le paysage alentour se faire plus flou, plus fragile, moins certain, pourquoi ne pas nous laisser inspirer par cet animal ? Choisir de faire confiance à celui qui se révèle à nous comme le Maître de Bonté et qui nous appelle à le suivre sur le juste chemin. Refuser avec entêtement les conseils et les menaces des méchants qui cherchent à nous attirer à eux en nous détournant du chemin le meilleur. Accepter de nous tordre parfois les chevilles, et même de glisser, sur ce fameux chemin où les cailloux sont parfois aiguisés et où les pierres roulent sans prévenir sous les pas maladroits. Croire que la charge qui pèse sur notre dos n’est pas trop lourde car nous savons bien que celui qui nous demande d’avancer à sa suite, jamais ne nous encombrerai d’un poids que nous ne pourrions porter.
Être brave et fidèle, honnête et courageux. En sachant que nous ne le sommes pas vraiment. Mais désirer l’être. De toutes ses forces. Et avancer. Avancer encore. Avancer toujours, tant que nous reconnaissons que celui qui nous guide est celui qui nous donnera un jour la plénitude de ce que nous désirons maintenant. Et que le reste, avec ses cris et ses fureurs, ses séductions et ses chatoiements, n’a pas vraiment d’importance. En 2020, Hugues Aufray ajouta un dernier couplet à sa chanson :
« Enfants inconsolables de grâce ne pleurez plus
Dans une modeste étable votre âne est revenu
En cette nuit de Noël vénérer l'enfant-nu
Réchauffer dans sa crèche le tout petit Jésus
Réchauffer dans sa crèche le tout petit Jésus. »
Finalement, que nous souhaiter de meilleur que d’essayer d’être tout au long de l’année à venir, ceux qui portent la présence du Christ dans le monde et qui, en son nom, cherchent à prendre soin du prochain ? Oui, avancer en 2024 comme des ânes, c’est tout l’inverse de vivre bêtement !