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L’amour se commande-t-il ?

Mariage Eglise Couple Prêtre
Luc de Bellescize - publié le 02/11/23
Le véritable amour allie la passion du sentiment et l’engagement de la raison. C’est en aimant Dieu, source de tout amour, que l’amour se construit et s’unifie, explique le père Luc de Bellescize.

"Passez notre amour à la machine / Faites-le bouillir / Pour voir si les couleurs d'origine / Peuvent rev'nir / Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau d'javel / Des sentiments / La blancheur qu'on croyait éternelle / Avant" (Alain Souchon). Le clip de la chanson commence dans une église devant un prêtre qui vient de recevoir l’engagement des époux à s’aimer, dans le bonheur et dans les épreuves, tous les jours de leur vie. S’engager à aimer... A priori, c’est incompatible avec l’amour. 

Ressentir ou s’engager ?

L’amour est enfant de bohème, il passe comme passe un ange, il s’enfuit comme le sable fin entre les doigts de ceux qui veulent le retenir. On court derrière son sillage comme une poussière d’étoile que le temps dissipe. Il n’y a de philtre d’amour que dans les romans et dans les mythes. "L’encre des billets doux pâlit entre les livres de cuisine", chante Brassens, qui évoque la triste marguerite que l’on finit par effeuiller dans le pot au feu, comme si l’amour était incompatible avec l’habitude, la routine, le quotidien des jours. Comment promettre un jour de s’aimer toujours ? Évidemment, pour celui qui passe son temps à écouter au fond de soi "son p’tit cœur qui bat", pour celui qui mesure sa vie à l’émotion ressentie, on aime parce qu’on aime, jusqu’au jour où l’on cesse tout simplement d’aimer. "Je t’aime, moi non plus", chantait Gainsbourg qui a eu comme amantes Brigitte Bardot, Jane Birkin, Bambou et tant d’autres plus ou moins connues. 

"J’aime parce que j’aime", dit saint Bernard de Clairvaux dans son commentaire du Cantique. Par un certain mystère, parce que cela m’est donné. Mais il écrit ensuite : "J’aime pour aimer...". L’amour allie donc la folie du sentiment et l’engagement de la raison, l’imprévu et la décision, le passage de l’ange et le choix de la fidélité. Je célébrais un mariage à Saumur hier. Les fiancés étaient là parce qu’ils s’aimaient, bien sûr. Ce n’était pas un mariage arrangé. Mais ils se sont engagés à s’aimer. Ils se sont promis de s’aimer fidèlement. Il y a donc un commandement de l’amour. Mais pour cela il faut dépasser, élever le simple sentiment de l’amour vers l’engagement libre de sa volonté. Il est l’étincelle première mais le feu doit être entretenu. L’amour est donc aussi volontaire. Il est une décision parfois héroïque de l’âme, plus grande que les circonstances ou les événements changeants de la vie. Le cœur de l’homme n’est pas fait pour butiner mais pour s’attacher. Dom Juan n’a jamais vraiment aimé… 

Trois ordres de l’amour

Il y a trois ordres de l’amour que le Christ unifie tout en respectant leur hiérarchie. L’amour de Dieu, qui est premier. C’est le commandement du Shm’a Israël — "Écoute Israël, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit" (Dt 6, 4-5) — , puis l’amour du prochain et l’amour de soi. Aimer Dieu et son prochain comme soi-même. Souvent nous inversons les ordres. Nous commençons par nous-mêmes, puis s’il nous reste du temps nous nous occupons un peu des autres, puis, quand nous serons bien vieux nous nous tournerons peut-être vers Dieu. 

Alors je serai vieux 
Et je pourrai crever 
Je me cherch'rai un Dieu 
Pour tout me pardonner

chantait Balavoine, qui est mort sans avoir eu le temps de vieillir. La cité terrestre exalte "l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu", disait saint Augustin. Si nous exaltons l’amour de nous-mêmes au-dessus de tout, alors nous érigeons une société narcissique où chacun cherche à consommer le monde pour mieux nourrir l’enflure démesurée du Moi. Nous entrons dans une civilisation nombriliste où les hommes se sentent beaucoup, comme des labradors quand ils cherchent à faire connaissance. "Tu t’sens comment ? J’me sens bien, j’me sens pas trop." Eugénie Bastié écrit dans La Dictature des ressentis : "Notre civilisation reposait sur la raison, l'écrit, la lenteur, la longueur et la capacité d'abstraction. La nouvelle civilisation numérique repose sur l'émotion, l'image, la vitesse, l'extrait et la culture du […] “moi je”." Il faut donc commencer par aimer Dieu source de tout amour. "Messire Dieu premier servi", disait sainte Jeanne d’Arc

Comment aimer Dieu ?

Mais comment aimer Dieu ? Voilà une vaste question... Dieu seul peut nous donner de l’aimer, en nous donnant part à son Esprit qui crie en nous : Abba, Père ! dit l’apôtre aux Romains (cf. Rm 8, 15).  Dieu seul peut nous donner les mots pour le prier : "Seigneur ouvre mes lèvres, dit le premier office du jour, et ma bouche publiera ta louange." 

Aimer Dieu est donc une grâce de Dieu. Mais c’est aussi une décision que celle d’aimer Dieu.

 "Prends Seigneur et reçois toute ma liberté, ma mémoire mon intelligence toute ma volonté et donne-moi seulement de t’aimer", disait saint Ignace de Loyola. Aimer Dieu est donc une grâce de Dieu. Mais c’est aussi une décision que celle d’aimer Dieu. Celle de pratiquer sa foi, celle d’incarner l’amour de Dieu dans le quotidien des jours, par la prière, la pratique des sacrements et le service de nos frères. Aimer Dieu passe par nos lèvres, nos mains et nos pieds. Nous sommes une religion de la chair, de l’incarnation, de la pratique. "Si tu dis que tu aimes Dieu que tu ne vois pas et que tu n’aimes pas ton prochain que tu vois, tu es un menteur", dit l’apôtre Jean (Jn 4, 20). C’est pour cela que le Seigneur répond à la question du plus grand commandement en unifiant la diversité des amours.

L’amour de Dieu se vérifie dans l’amour de l’autre, et c’est la conscience que Dieu m’aime qui me donne la grâce de pouvoir nous aimer nous-mêmes, en évitant et l’exaltation de l’orgueil et la détestation de soi. "Car il est plus facile que l’on croit de se haïr, écrit Bernanos. La grâce serait de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus Christ." Je récite souvent cette prière d’un prêtre franciscain, le père Viktrizius Weiss. Je vous l’écrit afin qu’elle se grave en nos cœurs : 

Seigneur,
Donne-moi de T'aimer d'un amour fort et brûlant, et d'aimer en Toi tous les hommes, et tout ce qui est bien, vrai et beau.
Donne-moi un grand courage pour faire peu de cas des choses du monde quand elles voudraient s'interposer entre Toi et moi. 
Donne fidélité et joie dans la vocation que Tu as choisie pour moi.
Donne-moi la grâce d'y œuvrer et d'y réaliser de grandes choses, en profonde humilité et droiture de cœur.
Et efface la dette de mes péchés.

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