Après trois semaines de compétition, on peut déjà tirer un certain nombre d’enseignements de la dixième Coupe du monde de rugby qui se déroule en France. Le public est très présent même pour des matchs de niveau secondaire, et l’organisation fonctionne bien malgré des difficultés persistantes pour entrer et sortir des stades. Les trois nations favorites sont au niveau des attentes : l’Afrique du Sud, l’Irlande et la France ont montré de très belles dispositions. Mais les leçons sont sans doute ailleurs.
Les mêmes autour de la table
Comme évoqué lors d’une précédente chronique, le fossé va grandissant entre les dix grandes nations, et les dix autres qui sont incapables de rivaliser au même niveau. Le constat était du même ordre par le passé, mais il va s’aggravant. Le rugby est en train de rater son développement mondial et la Fédération internationale pêche par un manque de vision sur le sujet. Même si elle a décidé d’assouplir les règles permettant à des joueurs d’être sélectionnés par deux pays au cours de leur carrière, on est très loin du compte. Sans décision radicale d’investissement profond pour développer le rugby dans de nouvelles terres, le futur continuera de se jouer autour des mêmes à la table du banquet qui est bien étroite quand on le compare au football, au basket, au handball et même au volley-ball.
Il est temps de modifier rapidement les règles pour garantir une meilleure protection des joueurs.
L’autre sujet qui continue d’inquiéter le monde du rugby, c’est celui de la santé des joueurs. Tout le monde a suivi la blessure de l’emblématique capitaine de l’équipe de France Antoine Dupont, victime d’une fracture de la mâchoire après un plaquage très dangereux d’un joueur de la Namibie. Il semble que la guérison avance bien et tout le monde espère le retour de notre jeune prodige pour le quart de finale du 15 octobre prochain. On nous dit que les médecins donneront leur avis bien sûr, mais la motivation est extrême chez le joueur comme chez les entraîneurs pour que Dupont soit titulaire, en espérant qu’il ne soit pas à nouveau blessé au même endroit.
Les limites du raisonnable pour la santé des joueurs
Il y a quelques jours, un des sommets de la compétition a opposé les Sud-africains aux Irlandais, et on a vu un niveau d’engagement physique sans précédent avec une violence souvent à la limite, sans pour autant qu’elle fût sanctionnée ou qu’un joueur eût été blessé. Et c’est bien là que le bât blesse. Car le règlement actuel permet ce niveau de défi physique et nous atteignons les limites du raisonnable pour la santé des joueurs. Elles semblent même déjà dépassées depuis un moment, tant on voit la multiplication de cas de troubles cérébraux irréversibles chez d’anciens joueurs, notamment ceux des lignes avants. Le silence est rompu et les témoignages s’enchaînent, tous plus glaçants les uns que les autres.
La vieille maxime qui réclame du pain et des jeux est éternelle, et ces furieux combats créent certes un grand enthousiasme auprès du public, mais il est temps de modifier rapidement les règles pour garantir une meilleure protection des joueurs. Ceux qui ont pris courageusement cette route ne l’ont jamais regretté, notamment Jean Todt, qui a tant œuvré pour rendre la Formule 1 beaucoup plus sûre, sans que le spectacle en ait été aseptisé bien au contraire. Une commotion cérébrale est certes moins impressionnante qu’un pilote carbonisé dans une voiture, mais nos joueurs si formidables méritent de pouvoir exercer leur métier et étaler tout leur talent sans courir de tels risques. Le rugby qui se targue constamment de ses fameuses "valeurs" doit rapidement balayer devant sa porte sur ce sujet capital.