La nomination de l’Argentin Victor Manuel Fernandez à la tête du dicastère pour la doctrine de la foi signe un acte déterminant du pontificat de François : il exprime l’objectif constant du pape argentin depuis son élection de mettre la doctrine au service de la pastorale et non plus l’inverse. "Faire passer l’homme et l’Évangile avant toute chose", préconisait-il dès le début de son pontificat. Cette ligne maintenue malgré les critiques et les incompréhensions prend encore plus corps avec la nomination du nouveau préfet de la Doctrine de la foi. Son intervention avant la tenue du synode sur la synodalité, événement crucial du pontificat, n’est pas non plus fortuite. Elle marque la volonté du pape qu’il puisse déboucher sur des innovations pastorales concrètes. Et faire évoluer aussi les mentalités catholiques.
Un chemin pédagogique
Fidèle au principe de réalité ( "La réalité est supérieure à l’idée") qui le guide personnellement, le pape jésuite entend que dorénavant la théorie s’applique au réel et non plus à un idéal abstrait, inaccessible voire écrasant pour l’homme ou la femme simple. Désormais l’annonce de la miséricorde doit promouvoir sur le rappel à l’ordre, le contrôle et la sanction comme le souligne François dans la lettre de mission adressée au nouveau préfet.
Le Pape n’oppose pas la loi et la vie comme on lui en fait le procès parfois. Mais comme il le précisait lors d’une audience générale, "la nouveauté radicale de la vie chrétienne est que ceux qui ont la foi sont appelés à vivre dans l’Esprit saint, qui les libère de la Loi et en même temps l’accomplit selon le commandement de l’amour". Cet "en même temps" papal, ou jésuite diront d’autres, ne veut pas dire qu’il ne faut pas observer les commandements, mais les considérer, a nuancé François, comme une pédagogie, un chemin devant amener à Jésus (11 août 2021).
Une grande amitié
Victor Manuel Fernandez est souvent décrit comme un fils spirituel de Jorge Mario Bergoglio. De fait, une grande amitié humaine et spirituelle lie les deux hommes depuis fort longtemps. Signe de leur profonde entente, les deux hommes portent la même croix pectorale représentant le Bon Pasteur portant une brebis sur ses épaules. Fernandez fut l’un des contributeurs de l’exhortation apostolique Amoris lætitia publiée à la suite du synode des évêques de 2014 et 2015 sur la famille. On se souvient que dans ce document, une note de bas de page controversée ouvre la possibilité de communion pour les personnes divorcées-remariées, au terme d’une période d’accompagnement spirituel.
Accorder une attention prioritaire aux personnes déclassées, lointaines, repenties et écrasées par un faix trop lourd à porter par elles-seules.
Auparavant, le cardinal Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, s’était spécialement déplacé à Rome pour défendre auprès de Benoît XVI, la cause de son ami Fernandez, quand sa nomination comme recteur de l’université catholique d’Argentine avait été bloquée par Rome. "Ne te laisse pas voler ta dignité !", avait-il alors exhorté son protégé. Bergoglio avait fini par obtenir gain de cause. En 2007, ils avaient fait partie tous deux du groupe de rédaction du document d’Aparecida, qui concluait la Ve conférence des évêques latino-américains. Ce texte met l’accent sur l’importance de la religiosité populaire, le décentrement de l’Église vers les périphéries existentielles et la conversion pastorale de chacun des acteurs baptisés de l'Église. Ce document est considéré comme la charte programmatique du pontificat actuel. Plus tard, deux mois à peine après son élection à la papauté, François avait fait archevêque son compatriote et ami Fernandez, première nomination épiscopale de son pontificat.
La théologie du peuple
Victor Manuel Fernandez est probablement celui dans l'entourage du Pape qui non seulement connaît le mieux sa pensée, mais excelle à l’expliquer et à valoriser sa "substantifique moelle", à savoir sa source d’inspiration dans la théologie du peuple argentine dont il est lui-même fortement imprégné (lire son livre : Ce que nous dit François, Éditions de l'Atelier, 2014). Le nouveau préfet est un pédagogue hors pair des intuitions théologiques et pastorales du pontificat actuel. Il souligne volontiers l’axe presque obsessionnel de celles-ci : accorder une attention prioritaire aux personnes déclassées, lointaines, repenties et écrasées par un faix trop lourd à porter par elles-seules.
Théologien pourvu d’une vaste culture éclectique, le nouveau préfet était considéré comme un de ses détracteurs par l’un de ses prédécesseurs, le cardinal allemand et ratzingerien Gerhard Muller, aujourd’hui leader de l’opposition cardinalice au pape François. "L'Église du Dieu trinitaire n'a pas […] besoin de nouvelles fondations ou de modernisation, comme si elle était devenue une maison délabrée et comme si des hommes faibles pouvaient vaincre le divin maître d'œuvre", a riposté sur un site catholique italien l’ancien préfet en apprenant sa nomination. Victor Emmanuel Fernandez est l’auteur d’une série d’ouvrages à caractère pratique et grand public qui s’intitule "Se libérer de…" (des difficultés familiales, de la peur des autres, d’addictions et d’obsessions, de la tristesse, etc.). Plusieurs de ses livres ayant eu du succès en Argentine ont été publiés en France par les Éditions Salvator.
Une personnalité d’avenir
Le compatriote du Pape remplacera donc à l’automne prochain le jésuite espagnol Luis Ladaria au terme de son mandat de six ans. Cette promotion d’un prélat lui étant personnellement proche, par les idées et dans la vie, est un signal fort que lance le pape à celles et ceux en particulier qui penseraient — ou espèreraient — que son pontificat est une parenthèse : avec cette nomination, le processus de réformisme missionnaire initié en 2013, et s’inscrivant dans le sillage du concile pastoral et œcuménique de Vatican II, est non seulement poursuivi mais conforté avec l'arrivée à la tête d'un influent dicastère romain d'une des principales têtes pensantes du pontificat. Victor Emmanuel Fernandez, âgé seulement de 61 ans, se trouve aussi être une personnalité d’avenir.