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Décivilisation, déchristianisation ?

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Louis Daufresne - publié le 29/05/23
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Tandis que les enquêtes sociologiques accusent une sévère chute du catholicisme, la violence ne cesse de progresser dans la société. Lien de cause à effet ? La civilisation chrétienne n’était pas parfaite, répond Louis Daufresne, mais elle assurait la cohésion sociale par la maîtrise des mauvais instincts.

Y a-t-il un lien de cause à effet entre déchristianisation et décivilisation ? Plus la foi reculerait, plus la barbarie avancerait. Allons plus loin : les deux termes sont-ils synonymes ? L’un serait dans les mœurs ce que l’autre serait dans les cœurs. L’intérieur déteindrait sur l’extérieur. Pourquoi ce jeu de mots croisés ? C’est l’actualité qui le veut. D’un côté, l’historien Guillaume Cuchet, enquête Insee à l’appui, pointe la chute du catholicisme "qui passe de 43 à 25%, soit une quasi-division par deux en douze ans". De l’autre, la mort des trois jeunes policiers de Roubaix percutés par un chauffard alcoolisé et drogué amène Emmanuel Macron à dénoncer "les comportements irresponsables qui tuent". Son propos vise aussi l’assassinat d’une infirmière du CHU de Reims par un homme souffrant de troubles psychiatriques et la démission du maire de Saint-Brévin harcelé depuis des mois à cause du transfert dans une école de sa commune d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile qui y existait déjà.

Tous ces faits divers touchent des agents publics, gardiens de la paix, praticiens hospitaliers, élus locaux. Le camp présidentiel fustige à l’unisson "une société dans laquelle la violence effectivement est exacerbée" et devient de la "violence ordinaire", selon les mots de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Bien sûr, l’agression de l’édile ne peut être mise "sur le même plan" que les drames de Reims et de Roubaix, insiste l’entourage du chef de l’État, car "ils n’ont pas la même cause". Nous y voilà. Sur la cause de cette décivilisation. 

Sortir du déni

Écartons la polémique sémantique. Le mot est-il d’extrême-droite ? La lecture de ma précédente tribune suffit à saisir l’importance que j’accorde à cette étiquette commode, sceau de l’hérésie moderne. Certes, l’écrivain Renaud Camus, décidément dans tous les gros coups, avait intitulé un de ses livres Décivilisation. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le penseur du "grand remplacement" a le sens de la formule.

Mais comme le rappelait sur Europe 1 Olivier Véran, "le mot “décivilisation” a été employé par un sociologue juif qui s’appelait Norbert Elias, né dans les années 1930 et qui décrivait l’impact de la montée du nazisme dans les sociétés". Pour le porte-parole du gouvernement, "ce n’est pas l’apanage de M. Renaud Camus, de l’extrême droite".

Autre polémique à écarter, celle du calcul politique.

Nous voilà donc libre d’utiliser "décivilisation" et c’est ça qui compte. Emmanuel Macron vient de placer un concept très fort dans la fameuse fenêtre d’Overton, cadre qui régule les idées dont il est admis de pouvoir débattre dans une société où elles circulent librement. Car de quoi la France pourrait-elle se prévaloir si ce n’est de la civilisation ? Affirmer que la société, comme à Roubaix, fonce à contresens de sa vocation universelle, chrétienne ou républicaine, c’est enfin sortir du déni de réalité. 

Autre polémique à écarter, celle du calcul politique. Emmanuel Macron chasse-t-il sur les terres de Marine Le Pen pour ne pas lui laisser gagner les classes moyennes effrayées par "l’ensauvagement" dont elle parle "depuis des années" ? Oui, sans doute. Et alors ? Peu importe aussi que l’écologiste Sandrine Rousseau se lamente en disant qu’elle en a "marre de la complaisance d’Emmanuel Macron avec l’extrême-droite".

Nostalgie de la Terreur ?

Laissons-la à ses lubies. Ce qui importe, c’est la "cause" de la décivilisation. Ce mot, Sandrine Rousseau ne peut rien en faire. Son logiciel est configuré aux seuls algorithmes de la lutte sociale, de la combinaison dominants/dominés. Sous cet angle, la société Orange mécanique est inintelligible. Le logiciel de la gauche s’enferme dans un extrémisme fantasmé par la nostalgie de la Terreur, à l’image de l’écologiste Éric Piolle dont le tweet, mérite d’être lu : "Supprimons les références aux fêtes religieuses dans notre calendrier républicain : déclarons fériées les fêtes laïques qui marquent notre attachement commun à la République, aux révolutions, à la Commune, à l’abolition de l’esclavage, aux droits des femmes ou des personnes LGBT", écrit le maire de Grenoble. 

Ce pesticide idéologique s’emploie à faire de la France un terrain vague peuplé de mauvaises herbes. En quoi l’attachement aux révolutions favorise-t-il le vivre-ensemble ? 

La libération des mauvais instincts

Face à cette apocalypse, les catholiques ont beau jeu de plaider pour leur paroisse — qui est celle de la civilisation. Depuis des siècles, l’Église génère du narratif, un fond commun d’évidences — innervées par la foi, l’espérance et la charité — qui assurait la vitalité et la cohésion de l’Europe romanisée.

N’idéalisons pas la puissance de ce récit. À bien des égards, notre société est beaucoup moins violente que ne l’étaient celles qui nous ont précédés, où le christianisme ne voyait pas son autorité concurrencée par d’autres références. On pourrait citer en pagaille des faits de guerre que nul n’accepterait aujourd’hui, si l’on songe aux batailles meurtrières, aux guerres de religions. Souvenons-nous par exemple qu’un habitant sur six survécut au siège de La Rochelle par le cardinal de Richelieu.

Mais cette violence-là, si scandaleuse soit-elle au regard de ce que le Christ dit, n’a rien à voir avec celle qui gagne aujourd’hui, qui est une violence sans mémoire ni devoir, de type archéo-futuriste, à la Mad Max, où l’âme des hommes sera dévorée par la seule libération de leurs mauvais instincts. Cette violence-là, anarchique et inutile, ne peut qu’engendrer le tout répressif et la surveillance d’État.

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